Il a vu rouge. On lui a jeté des pierres. Pourtant, le président de la République était venu inaugurer trois pavillons de 1 044 lits qui visent à permettre de réduire le déficit de logements au campus social de l’Ucad. Dans une université divisée en proportions électoralistes, l’autorité et le respect dus à une institution ont été bafoués au grand jour. L’assassinat de Bassirou Faye est toujours vivace dans le cœur de centaines d’étudiants.
L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) est une zone sans lex. Même le chef de l’Etat n’est pas à l’abri des humeurs des étudiants. Pourtant, il était venu pour inaugurer trois pavillons au campus social. Ils vont permettre de résorber le déficit de lits à l’Ucad. Mal lui en a pris...
La tension est palpable. A quinze jours de la commémoration du décès tragique de Bassirou Faye, les étudiants reviennent sur le lieu du crime. Sur le balcon du 1er étage du pavillon D de l’Ucad, deux étudiants tiennent une banderole : «Justice pour Bassirou». Derrière eux, un étudiant encagoulé est enveloppé dans des habits rouges. A travers les fenêtres, sur la terrasse des différents pavillons, le rouge flotte pour rappeler au chef de l’Etat que les étudiants ne sont pas enchantés par sa visite. Ce sont des chemises, des draps, des casquettes.
Au pied de l’immeuble, la foule d’étudiants a du mal à contenir sa colère. Ils scandent : «Assassin», «Justice». Les policiers encaissent. Stoïques. Provocateurs, ils chantent et applaudissent. Ils multiplient les va-et vient entre les pavillons A et D. Ils s’arrêtent devant les Forces de l’ordre qui cristallisent la rancœur des étudiants. «Policiers assassins», ressassent-ils.
Défilant sous les pavillons, les dignitaires sont systématiquement hués. La tension monte. Le public pousse les barrières. Les hommes de tenue restent zen. Cette réaction n’altère pas la détermination des étudiants décidés à élever la voix pour se «faire entendre» sur l’affaire Bassirou Faye.
Il est 16h. Macky Sall n’est encore pas sur les lieux. Le Mouvement des élèves et étudiants Républicains (Meer) essaie d’exister au sein du campus qui vote pour la contestation. Ils sont noyés et chahutés : «Vous êtes des corrompus ‘’goor djiguène’’.» Les minutes passent, la colère s’entasse.
Arrestation d’étudiants
Il est 19h... Le cortège présidentiel, en provenance de l’Ucad II, avance vers le «territoire ennemi». Debout dans sa voiture, il est entouré d’une foule qui scande «Président». Le déchaînement de colère s’ensuit. Les pierres pleuvent en direction du véhicule présidentiel. La sécurité couvre le chef suprême des Armées. C’est la débandade. C’est la consternation. Jusque-là sereine, la police réplique en lançant des grenades lacrymogènes. Elle repousse les «perturbateurs» et met la main sur plusieurs manifestants. Le calme revient. Le Président poursuit son chemin pour aller inaugurer trois bâtiments d’une capacité de 1 044 lits. Au grand bonheur de tous les étudiants.
Macky Sall boit le cocktail
Divisée en proportions électoralistes, l’Université de Dakar est une cité inexpugnable. En mettant les pieds hier à l’Ucad, le chef de l’Etat a sans doute mesuré les risques qu’il encourait sans imaginer que la ligne rouge serait franchie. Le cocktail était explosif : A 15 jours de l’anniversaire du décès de Bassirou Faye, les étudiants n’ont pas laissé passer l’occasion pour déverser leur courroux sur lui et Mary Teuw Niane.
Il renonce à visiter la 168 A
Le ministre de l’Enseignement supérieur est le bouc émissaire idéal. Il symbolise les réformes universitaires qui sont à l’origine de la hausse des frais d’inscription, de la suppression de plusieurs bourses. Malgré la pression, le chef de l’Etat a continué à lui manifester sa confiance. Dans ce contexte d’insécurité, le chef de l’Etat a renoncé à visiter la chambre 168 A où il logeait quand il était étudiant. Cela devait constituer le clou de sa visite. Raté !
Ce n’est pas étudiant...
Ce n’est pas étudiant. Les Républicains sont choqués par les écarts de comportements de certains étudiants qui ont souillé la devise de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar : Lux mea lex... En cours de route, ils ont dû oublier leurs cours d’éducation civique. Sinon, ils n’auraient jamais «caillassé» le véhicule présidentiel.
Ce n’est pas étudiant... Les contradictions et les sentiments de colère ne peuvent pas justifier ces agissements des gens appelés à prendre le relai pour poursuivre le rayonnement de ce pays. L’assassinat de Bassirou Faye est une indicible douleur qui est venu rallonger la liste des étudiants tombés sur le front. Peut-il expliquer cela ? Ceux qui ont offensé la République l’invoqueront pour justifier leurs actes.
Cette scène va continuer à faire encore propager l’image d’un Temple du savoir où l’impunité et le désordre se mêlent. Depuis deux ans, l’Ucad agonise sous nos yeux qui banalisent certains comportements qui l’éloignent de plus en plus des standards internationaux. L’Ucad doit retrouver ce Lux qui a toujours constitué son Adn. Ce qu’elle n’aurait dû jamais perdre.