Temps d’apprentissage pas suffisant, réduction des budgets des établissements, volonté de privatiser l’école publique, nouvelles dispositions sous-régionales, non-valorisation de l’enseignant. Les résultats du baccalauréat sont plus que médiocres cette année et les arguments avancés sont aussi nombreux que les jours de grèves. Mais les acteurs sont au moins d’accord sur un point : c’est que la solution passe par l’application des recommandations issues des assises de l’éducation. Seulement, les syndicalistes sont prêts à jurer qu’il n’y aura pas de mise en œuvre. Ils préparent déjà la bataille de l’année prochaine. AG prévue le jour même de la rentrée scolaire.
Les résultats du baccalauréat 2015 ne sont que provisoires pour le moment parce qu’étant ceux du premier tour. Mais ils sont déjà reconnus par tous comme catastrophiques. D’autres utilisent même le terme hécatombe. Et le moins qu’on puisse dire est que les résultats n’ont surpris personne. Tous nos interlocuteurs affirment à l’unanimité n’avoir pas été étonnés de ce qui est sorti de l’examen du bac.
L’heure est d’abord aux regrets. ‘’Quand une série entière n’a pas d’admis, c’est que c’est scandaleux’’, s’insurge Oumar Waly Zoumarou, coordonnateur adjoint du Grand cadre (version Dianté) qui donne l’exemple de certaines régions comme Kaffrine et Ziguinchor. Au bout du fil, Zoumarou rappelle d’emblée qu’un pays pauvre comme le Sénégal ne peut pas se permettre d’avoir des taux de réussite aussi bas.
Cette position est aussi celle de Cheikh Mbow, coordonnateur de la Cosydep qui se dit inquiet des résultats aussi médiocres, et qui d’ailleurs ne datent pas d’aujourd’hui. ‘’Nous avons besoin d’un système fort qui fait des résultats. Voilà plus de 30 ans que nous sommes entre 30 et 40% de taux de réussite. C’est vraiment faible. Chaque année, on fait les mêmes constats. Il est temps de corriger et d’aller vers l’amélioration du système’’.
En attendant cette amélioration, voyons les causes de cet échec massif. Le temps d’apprentissage est sans nul doute un facteur explicatif déterminant. Tous nos interlocuteurs se retrouvent sur ce point. Mais les enseignants eux ne cherchent pas midi à 14h pour trouver le coupable. Pour eux, le principal responsable est l’Etat. Abdou Faty le coordonnateur de l’autre Grand cadre se veut formel. ‘’C’est l’irresponsabilité cumulée de l’Etat qui signe des accords sans les respecter et oblige les enseignants à aller en grève’’, peste-t-il. Il en veut pour preuve l’absence de concrétisation du principal accord qui est le paiement des rappels.
Quoi qu’il en soit, ces différents mouvements ont sérieusement affecté le quantum horaire. Il est peut-être important de rappeler après l’inspecteur d’académie de Dakar que les candidats actuels ont été en classe de Seconde quand il y a eu cinq mois de grève en 2012. Autrement, durant les 3 années de leur cycle secondaire, ces élèves ont connu deux années scolaires sauvées de justesse.
Cette absence de respect des engagements traduit aux yeux d’Oumar Waly Zoumarou une volonté de tuer l’école publique et sa gratuité. ‘’Il y a une volonté manifeste de privatiser l’école. C’est l’Etat qui organise l’échec pour que les enfants aillent dans le privé’’, charge-t-il. Abdou Faty ne parlerait pas de privatisation, mais il reste convaincu que les gouvernants actuels ne croient pas à l’école sénégalaise. ‘’Ils font de la politique. L’école n’est pas une priorité pour eux. Mais nous, nous allons la défendre’’, promet-il.
Les autres arguments du Cusems
Autre facteur explicatif, la réduction des budgets des établissements du moyen secondaire, des Inspections académiques (IA) et des Inspections de l’éducation et de la formation (IEF). ‘’Il y a des établissements où il manque des papiers. Il n’y a plus de bac blanc’’, regrette Abdou Faty. Le même constat est fait par M. Zoumarou qui affirme que des établissements se sont retrouvés sans laboratoire. Par conséquent, il y a eu des élèves en série S qui n’ont pas fait le moindre travail pratique. Dans ces conditions, conclut-il, ‘’10% (au premier tour), c’est salutaire. On pourrait se retrouver avec des taux plus bas’’.
A côté de ces explications, les syndicalistes ajoutent une autre liée au comportement des hommes. Les deux rivaux qui s’affrontent autour du Grand cadre sont d’accord pour désigner Serigne Mbaye Thiam comme le principal problème de l’école. Le ministre de tutelle est peint comme un adepte de décisions unilatérales, réfractaire au dialogue et surtout ayant ‘’un agenda hautement politicien’’. Zoumarou en arrive d’ailleurs à demander que l’éducation ne soit plus confiée aux politiques ‘’qui ont d’autres préoccupations’’, mais plutôt à la société civile : technicien ou intellectuel.
A côtés des arguments avancés par Abdou Faty et Oumar Waly Zoumarou, d’autres ont présenté une autre lecture des résultats. Il s’agit de Ndongo Sarr du Cusems et Cheikh Mbow de la Cosydep. Ces deux ont trouvé des facteurs parfois plus structurels que conjoncturels. Le premier sur la liste du Cusems est lié au nombre, les effectifs pléthoriques. ‘’On ne peut pas faire le suivi dans une classe de près de 100 élèves. Les écoles qui font de bons résultats comme Mariama Ba ont des effectifs réduits et toutes les conditions nécessaires. Ailleurs, les enseignants se trouvent souvent avec 100 à 140 copies à corriger. Il leur faut au moins 45 jours pour terminer. Cette correction est différente de celle d’un examen. Ici, il s’agit de permettre à l’élève de connaître ses lacunes pour les corriger. Les professeurs ne peuvent pas tout corriger correctement. L’évaluation est biaisée’’, souligne Ndongo Sarr.
L’autre élément, d’après lui, est que dans plusieurs établissements, les enseignants qui tiennent les classes de Terminale n’ont pas l’expertise nécessaire. Très souvent, on fait appel à des professeurs d’enseignement moyen qui ne sont pas préparés à cette tâche. D’où, ajoute-t-il, la pertinence de passerelles professionnelles. Outre ces considérations précédant l’examen, il y a celles liées directement à celui-ci. Notre interlocuteur révèle qu’il y a un processus d’harmonisation du baccalauréat dans l’espace Uemoa. Cela s’est traduit cette année par le changement des formats des épreuves, particulièrement l’histoire et la géographie. ‘’Beaucoup de correcteurs n’étaient pas imprégnés. Ils n’ont pas compris. Certains enseignants ont été conviés à un séminaire, mais ça a touché très peu de collègues. Il fallait attendre d’atteindre le maximum’’, relève-t-il. Le camarade d’Abdoulaye Ndoye estime qu’expliquer l’échec massif par des grèves serait réducteur, car même les écoles privées sont touchées alors qu’elles n’ont pas connu de perturbations.
Ubbi tey AG tey
Cheikh Mbow également s’est focalisé sur des aspects comme le système d’orientation et d’évaluation et le curriculum. ’’Notre enseignement a une tendance encyclopédique. Nous devons arrêter avec le mimétisme’’, préconise-t-il. Outre les programmes, il y a les hommes. M. Mbow regrette la non-valorisation de la fonction enseignant. Il estime que tout est fait pour que l’enfant ne respecte pas son maître. ‘’Quand je parle de valorisation, il ne s’agit pas d’une valorisation financière, mais le statut et la dignité de l’enseignant’’. Toute chose qui fait que les acteurs sont unanimes pour dire que l’enseignant n’est plus motivé. Il n’est plus engagé.
Face à ce tableau plus que sombre, l’on se demande s’il y a alors une solution pour redresser la situation. Oui ! répondent-ils en chœur. La réflexion est faite et les solutions sont déjà trouvées avec les assises de l’éducation. Il ne reste que la mise en œuvre. Mais là aussi, les syndicalistes se montrent très pessimistes. Oumar Waly Zoumarou déclare n’avoir noté aucune volonté d’appliquer les recommandations. Pas plus que les accords du 30 avril 2015. Il accuse d’ailleurs le Premier ministre de s’emmurer dans un silence depuis que le protocole a été signé.
Abdou Faty se montre plus catégorique. Il est sûr que le gouvernement ne s’acquittera pas de son devoir, parce que pas préoccupé par l’école. De ce fait, il avertit déjà que l’année scolaire prochaine ne sera pas abordée dans un climat de paix. Au contraire, son organisation va faire le monitoring de tous les accords non respectés pour les livrer à la presse et aux autres entités de la société. Et pour mieux montrer que l’année va démarrer par des hostilités, Abdou Faty promet d’appeler ses camarades à tenir des assemblées générales partout dans le pays, le jour même de la rentrée scolaire. ‘’À la place de ubbi tey jang tey, il y aura ubbi tey AG tey’’, prévient-il. Pas sûr que cela fasse plaisir à cheikh Mbow et la Cosydep.