Les passations de marchés publics au Sénégal suscitent toujours des controverses et des suspicions. Le ministre de la Santé et de l’Action sociale l’a certainement appris à ses dépens ; elle qui s’est vu indexer dans un marché de plus 150 ambulances pour lequel une entreprise marocaine a fait une «offre intéressante». Dans cette interview avec Le Quotidien, Pr Awa Marie Coll Seck explique les motivations de son ministère, égrène ses regrets, tout en affichant néanmoins sa «volonté» de continuer son travail, toujours dans la «plus grande transparence».
Ces derniers temps, votre ministère a été éclaboussé par un marché d’ambulances qui serait en phase d’être attribué à des Marocains. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?
Tout est un parti d’un vœu de donner aux Sénégalais l’accès aux soins dont ils ont besoin, surtout à l’intérieur du pays. Tout le monde a fait le constat que dans les villages, les populations n’ont pas suffisamment de moyens de transport, elles n’ont pas beaucoup de logistiques. J’ai voyagé dans tout le Sénégal et j’ai vu la souffrance des populations, même les honorables députés aussi ont toujours posé ce problème.
Alors, nous avons eu une offre qu’on pourrait même qualifier de spontanée, venant des Marocains. On a discuté et exprimé nos besoins à 160 ambulances, bien qu’on ait un besoin de 500. Ils ont dit qu’ils sont capables de livrer le nombre demandé avec un différé et une possibilité de payer en cinq ans, avec la maintenance et tout le service après vente nécessaire. C’était vraiment une bonne offre pour certains. Moi aussi, je l’ai trouvée intéressante. Néanmoins, j’ai voulu encadrer cette offre en demandant à mes services de respecter toutes les étapes imposées par le Code des marchés.
Dès qu’on a eu une certitude que l’offre était vraiment intéressante, on a effectué une visite au Maroc pour voir les capacités de cette entreprise. C’est par la suite qu’on a voulu introduire le dossier au niveau des Finances qui étaient aussi d’accord. On a suivi une procédure normale : la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) d’abord, qui a considéré effectivement qu’il y a une urgence. Mais pour la Dcmp, ce n’était pas suffisant pour aller jusqu’à un gré à gré. Elle nous a alors demandé de nous rapprocher de l’Agence de régulation des marchés publics (Armp) pour un arbitrage, ce qui a été fait.
La commission s’est alors réunie et nous a demandé d’ouvrir le marché en urgence, mais en l’ouvrant aux autres, ce qui a été également fait. Quand le marché a été ouvert, nous avons été presque jusqu’au bout de la procédure. On avait sept entreprises qui avaient postulé, dont une étrangère. Seulement à quarante huit heures du dépouillement, l’entreprise étrangère a soulevé des questions qui ont été étudiées par l’Armp. Mais avant, le juge des marchés avait demandé qu’on bloque la procédure, comme c’est la règle. Quelques semaines après, l’Armp a fait ses analyses sur les questions soulevées par ce postulant avant de le débouter, nous permettant donc de continuer le processus. Tout en demandant aussi à la Dcmp de prolonger le délai d’ouverture du marché, pensant même qu’il pourrait y avoir d’autres postulants.
Aujourd’hui, on est dans la phase qui a été ouverte depuis une semaine et on va bientôt dépouiller les offres, comme un marché normal qui a été fait en urgence.
A vous entendre, la démarche de transparence a toujours été de mise dans cette procédure…
Depuis le départ, on a voulu effectivement adopter une démarche de transparence et c’est peut-être ce qui est frustrant. Rappelez-vous que dès que nous sommes arrivés dans ce pays, en voulant travailler avec Monsieur le président de la République, il nous a dit à tous qu’il voulait qu’on opère des ruptures dans la façon de gérer les choses. Il a souhaité vraiment que certaines pratiques qui existaient peut-être ne se fassent plus. Donc, depuis que nous sommes là, tous les marchés qui ont été faits ont été passés dans la transparence. Maintenant, c’est la première fois qu’on a eu une offre qui nous permet de donner aux populations en une fois 160 ambulances, c’est-à-dire ce que nous avons fait en trois ans. C’était une belle opportunité pour nous, mais quand on voit, malgré toute la volonté de transparence, qu’on fait l’objet d’attaques injustifiées dans la presse, ce n’est pas encourageant. Mais bon, je considère que ce n’est pas un problème parce que c’est ça aussi la vie. On ne peut pas avoir des responsabilités dans un Etat et ne pas recevoir des coups. L’essentiel pour moi est de continuer à faire le travail dans la plus grande transparence et en respectant les textes en la matière.
Est-ce que ces lenteurs dans la mise à disposition des ambulances ne vont pas accentuer les décès maternels enregistrés chaque jour à l’intérieur du pays ?
Si je pouvais faire une étude, je pourrais vous dire que durant un an et demi qu’a duré cette affaire, on a perdu plein de femmes qui ont fait des hémorragies et qui n’ont pas pu être évacuées faute d’ambulances. Aussi, pourrais-je vous dire que des enfants, des personnes accidentées et d’autres personnes sont morts sans doute parce qu’ils n’ont pas pu être évacués dans les hôpitaux pour être sauvés. Et ces drames-là, c’est tous les jours que Dieu fait. On a de réels problèmes d’ambulances pour régler tous ces problèmes.
Il était question une fois d’extraire certains produits d’usage sanitaire des procédures de passation des marchés. Ne pensez-vous pas qu’il soit temps d’aller à cela pour éviter ce qui est en train de se passer avec les ambulances ?
Je sais que beaucoup d’institutions sont en train de voir comment améliorer le Code des marchés. C’est vrai que ce code a été fait au départ pour plus de transparence, mais également pour plus d’efficacité. Or, on a l’impression qu’il y a beaucoup de blocages et qu’au bout, on perd énormément de temps. Ce code, il faut le dire, est à l’origine de beaucoup de lenteurs dans la réalisation de grands projets qui existent au Sénégal.
Donc, vous êtes pour l’extraction de certains produits de la procédure de passation des marchés ?
Oui, je suis pour parce que vous savez, la santé est tellement urgente. Je vous donne l’exemple des constructions. Je prends Cascas, Gandiaye, Niakhar, des centres de santé devaient y être érigés depuis des années. C’était le cas aussi avec l’hôpital de Fatick qu’on vient juste d’inaugurer. Il y a tellement de choses qui se sont passées dans ces structures de santé qu’il est temps qu’on accélère les travaux, mais dans la transparence.
Le secteur de la santé a un budget assez conséquent, mais on ne voit pas beaucoup de réalisations à cause des lenteurs dans les constructions. Vous voyez fréquemment un entrepreneur qui a gagné un marché et qui n’a même pas les moyens de faire les bâtiments qu’on lui a demandé de faire. Il s’arrête à 15% des travaux et reste six mois sans poser une seule brique. On lui fait une lettre de sommation, le lendemain il revient pour poser quelques briques et disparaître encore pour quelques mois. Je trouve ce procédé inacceptable et il va falloir corriger. Je pense qu’il est quand même temps d’alléger certaines procédures pour nous permettre d’avancer. Le seul problème, c’est que les gens ont eu peur des abus et cette peur-là a entraîné peut-être une rigueur un peu trop importante. Je pense que pour un pays en développement, qui a son Plan émergent et qui se bat pour aller de l’avant, il faut une certaine flexibilité dans certaines procédures pour accélérer les réalisations.