Dakar, 23 juil 2015 (AFP) - C’était le voisin idéal: assidu à la mosquée du quartier, aidant les démunis et l’équipe de foot. A Ouakam, près de Dakar, où il est jugé pour crimes contre l’humanité dans son pays, on "prie" pour la libération du président tchadien déchu Hissène Habré.
"Nous avons prié pour que Hissène Habré soit libre et nous allons continuer à le faire", clame Youssou Ndoye, un chef coutumier des lébous, une des plus anciennes communautés de Dakar.
"Hissène Habré est un bon musulman, un bienfaiteur. Il aide les gens du village lors des fêtes religieuses. Il donne beaucoup d’argent", dit ce notable de Ouakam, une banlieue abritant une des deux maisons de l’ex-dirigeant tchadien (1982-1990), réfugié au Sénégal depuis sa chute.
Le procès pour "crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de torture" devant un tribunal spécial africain a été ajourné mardi au 7 septembre, dès le lendemain de son ouverture, pour permettre à ses avocats commis d’office de prendre connaissance du dossier, l’accusé refusant de se défendre devant une juridiction qu’il récuse.
"Le renvoi du procès est une victoire pour Habré et tous les Ouakamois. La vérité finit toujours par triompher", se réjouit Djibril Mbodj, un agent municipal.
Dans ce quartier populeux de pêcheurs aux ruelles débouchant sur des constructions anarchiques, une route bitumée mène chez les Habré, une maison à la devanture et à la cour fleuries. Les portes sont closes et un gardien interdit d’y entrer ou de filmer l’intérieur.
Hissène Habré "est un bon voisin. Il s’habille correctement, tient un chapelet et prie régulièrement avec nous à la mosquée et lors des fêtes religieuses", dit Modou Faye, un habitant, désignant un espace réservé à ces cérémonies.
"Quand Wade a voulu l’extrader, on s’est réunis pour prier à la mosquée" afin de l’en empêcher, ajoute ce maçon de 40 ans.
Le président Wade avait menacé en juillet 2011 de renvoyer Hissène Habré au Tchad et en janvier 2012 de l’extrader vers la Belgique.
- Mécène du club de foot -
A 72 ans, en détention depuis deux ans, l’ex-président tchadien "est plus proche de la mort. Pourquoi l’arrêter?", se demande Mor Ngom, un voisin.
Papa Doudou Thiam, un des responsables de l’Union sportive de Ouakam (USO), une équipe de la Ligue 1 de football, raconte que Hissène Habré "a soutenu le club en donnant des conseils et en faisant des contributions financières mais ce ne sont pas des montants extraordinaires", sans donner de chiffre.
Cette image paisible contraste avec les quelque 40.000 morts de la répression sous son régime, selon les estimations d’une commission d’enquête tchadienne.
Mais le Sénégalais Abdourahmane Guèye, partie civile au procès, considère que le dictateur déchu a su jouer sur la fibre religieuse de ses compatriotes.
"90% des Sénégalais sont des musulmans. On croyait que c’était un bon type mais les gens ne le connaissaient pas", dit M. Guèye.
Ancien fournisseur d’or et de bijoux aux militaires français déployés au Tchad, arrêté en 1987 sous l’accusation d’être un "espion de Kadhafi", le dirigeant libyen de l’époque, ennemi juré de Hissène Habré, il a passé plus de dix mois en détention.
Au Sénégal, le président déchu "est venu avec beaucoup d’argent, en portant des boubous, en allant dans les mosquées pour montrer qu’il est un bon musulman", explique Abdourahmane Guèye.
L’argent qu’il a emporté dans sa fuite - 8 milliards de FCFA de l’époque, ont affirmé mercredi les ministres tchadiens de la Justice et de la Communication, soit l’équivalent de 25 millions d’euros - lui ont permis, selon les organisations de défense des droits de l’Homme, de "se tisser un
puissant réseau de protection au Sénégal".
"Mais maintenant, les gens le connaissent et la vérité va sortir", veut croire Abdourahmane Guèye, "c’est ce qu’on a attendu pendant des années".
mrb/sst/fra