Malgré le dispositif institutionnel renforcé par le régime en place, le gré à gré continue de plus belle dans notre pays. Le système de santé n’a pas été épargné. Entre juin et juillet, plusieurs entreprises ont été épinglées pour violation de procédure de passation de marchés. Tout le monde semble connaître les règles du jeu. Les entreprises bénéficiaires de ces procédures ne veulent pas de bruits, celles qui sont ‘’lésées’’ ruent dans les brancards. Mais au-delà des dysfonctionnements relevés et le fait que le gré à gré semble avoir mauvaise presse, tout n’est pas irrégulier du point de vue de la loi….
Au mois d’avril dernier, la presse sénégalaise se faisait écho d’un marché de gré à gré dont l’Agence de régulation des marchés publics (Armp) avait sevré le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Mme Awa Marie Coll Seck. Son souhait de lancer un marché par entente directe pour un montant de 9.6 milliards de F Cfa n’a pas pu se concrétiser. Il s’était heurté à un refus catégorique de la Direction des marchés publics et de l’autorité de régulation des marchés publics (Armp) qui n’ont pas avalisé le choix porté sur Mecomar, une structure établie au Maroc, particulièrement à Casablanca. Le marché était relatif à l’acquisition de 162 ambulances et de 4 unités mobiles pour renforcer le parc automobile de structures de santé. Ses arguments relatifs au caractère impérieux de l’urgence n’ont pas convaincu même s’il était question de sauvegarde de la vie et de priorité.
L’Armp a cassé ce marché tout en notifiant que "la conclusion du marché par entente directe n'est pas conforme à la réglementation. C'est pourquoi, elle a ordonné la conclusion du marché dans le respect de la réglementation des marchés publics’’.
Zones d’ombre dans l’acquisition de matériels médicaux
Une recommandation qui a été mise en pratique mais qui n’a pas constitué un frein à la violation des procédures de passation de marché aussi bien dans le système de santé que dans d’autres secteurs.En l’espace d’un mois ou deux, ce sont plusieurs dossiers qui sont déposés sur la table de l’Armp et la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) pour dénoncer des attributions injustifiées ou illégales de marché.
Dans cette dynamique, figure le dossier de l’entreprise Technologies services. Elle s’était érigée vertement, au mois de juin dernier, contre l’acquisition de matériels bio médicaux au profit du centre National de transfusion sanguine de Dakar.
Elle a saisi l’autorité contractante pour contester la décision de la commission des marchés vu qu’elle a rempli, selon ses dires, toutes les conditions en fournissant un équipement haut de gamme, avec des performances conformes aux exigences du cahier des charges techniques’’, mais sa proposition a été rejetée.
Motif avancé par l’autorité contractante : ‘’Certains paramètres de dosage précisés dans le cahier des charges n'ont pas été spécifiés dans la fiche technique de l'automate d'hémostase proposée par le requérant, notamment le dosage de l'activité de liaison à la ristocétine et de l'antigène du facteur Willebrand; le dosage des facteurs de la coagulation FV ; FVII ; FVIII ; FIX’’ entre autres arguments techniques.
Les conclusions de l’Armp ont tiré au clair cette affaire. ‘’L'examen de l'offre technique du requérant montre que ce dernier a bien mentionné dans son offre d'automate d'hémostase, sur la partie relative aux tests de routine, bilan de thrombophilie et tests spécialisés’’. Il s’y ajoute que ‘’l'autorité contractante s'est fondée sur des sous-critères non prévus dans le DAO, faisant ainsi entorse au principe de transparence et d'égal traitement des candidats. Qu'au vu de ce qui précède, le rejet de l'offre de Technologies Services au lot 4, est malfondé. Qu'en conséquence, il y a lieu d'annuler l'attribution provisoire et d'ordonner la reprise de l'évaluation. Que le recours ayant prospéré, il y a lieu d'ordonner la restitution de la consignation’’.
Des aires de stockage de la Pharmacie d’approvisionnement aiguisent des appétits
Un cas parmi d’autres publiés sur le site de l’Armp. Elle a, dans cette optique, rendu publique au mois de juin dernier sa décision en faveur de la société Thiaroye construction. Celle-ci venait d’introduire un recours pour contester l'attribution provisoire du marché relatif à la réhabilitation des aires de stockage de la Pharmacie nationale d'Approvisionnement (PNA), lancé par le Conseil National de Lutte contre le Sida (CNLS). A l’origine de ce litige : l'attribution provisoire du marché en faveur de son unique concurrent EGCC dans le cadre de cette procédure, pour un montant de 21 060 000 F CFA hors taxes hors douane et un délai d'exécution de six (6) semaines, supérieurs à ceux figurant dans son offre qui se chiffre à un montant de 17 643 000 F CFA hors taxes hors douane pour un délai de quatre (4) semaines. Le requérant renseigne, par ailleurs, que l'attributaire provisoire du marché ne disposait pas à l'ouverture des plis de certaines pièces administratives.’’
Un dossier aux relents d’entente directe qui a été traité avec diligence par l’Armp qui a battu en brèche la thèse de l’autorité contractante comme quoi ‘’l'entreprise Thiaroye Construction n'a pas proposé un personnel qui satisfait au critère de qualification relatif au personnel fixé dans le DAO, même si le fait de positionner les quatre profils ci-avant listés au poste de conducteur des travaux ne dénote pas d'une bonne organisation du soumissionnaire’’.
L’Armp a cassé le marché avec comme argument : ‘’La non-acceptation pour examen détaillé de l'offre du requérant par la commission des marchés n'est pas justifiée. Qu'il y a lieu, en conséquence, de reprendre l'évaluation.
Des arguments fallacieux pour légitimer le gré à gré ?
Si la contestation fait partie intégrante des procédures d’attribution de marchés (voir ailleurs), les motivations sont tout aussi diverses. Sur les 262 différents cas de recours relevés dans le rapport de 2013 qui couvre la période 2012, 92 recours ont été rejetés, contre 82 ayant obtenu gain de cause, 80 ayant été déclarés irrecevables, 6 relevant d’une décision d’incompétence du Crd et 2 ayant fait l’objet de décision de sanction.
Mais dans le secteur de la santé, des entreprises soumissionnaires flairant le parfum d’une entente directe, qui viole les règles du jeu, se fondent souvent sur une évidence : l’existence de pots-de-vin qui privilégient un concurrent au détriment d’autres. Ils ont tendance à contester et à exiger l’annulation d’une procédure.
Dans un ouvrage intitulé ‘’villes corrompues, du diagnostic aux remèdes’’, et préfacé par l’institut de la Banque mondiale, les auteurs américains mettent en lumière la corruption dans la passation des marchés qui se drape sous diverses formes.
Prenant l’exemple de l’administration municipale, ils ont pointé l’index sur ‘’une collusion entre soumissionnaires conduisant à des prix plus élevés pour la ville avec une augmentation qui peut ou non faire l’objet d’un partage avec les fonctionnaires corrompus’’.
Dans ce scénario, les dessous de table occupent une place de choix. Ils sont généralement ‘’versés par les entreprises aux fonctionnaires municipaux afin de truquer la concurrence dans la passation des marchés’’. Suivent ‘’les pots-de-vin aux fonctionnaires municipaux chargés de la relation avec le fournisseur choisi’’. Les auteurs font savoir que ‘’l’existence de ce type de corruption risque de favoriser des offres anormalement basses qui, inférieures aux estimations, permettent de remporter le contrat. Ces propositions sont ensuite ‘’rectifiées’’ par rapport aux calculs initiaux du fournisseur corrompu par des surcoûts ultérieurs et des changements apportés aux spécifications du contrat, puis approuvées par le fonctionnaire acheté’’.
Construction de poste de santé de Ndiamboursine à Patar Sine
Le Maire de la Commune de Patar Sine a saisi le CRD d'une demande d'autorisation pour la continuation de la procédure avec un avis négatif émis par le Service régional des Marchés publics de Kaolack relativement au rapport d'évaluation des offres et au procès-verbal. Il lui était reproché la non-publication de l’Appel d’offres dans un quotidien de grande diffusion par la Commune de PATAR SINE relatif à la construction d'un poste de santé pour un montant de cinquante millions mille (50 001 000) F CFA. ‘’Ayant décidé d'utiliser les quarante-cinq millions (45 000 000) F CFA pour la construction et la somme restante pour les équipements, l'autorité contractante n'a pas procédé à la publication de l'avis d'appel d'offres dans un journal quotidien de grande diffusion’’. Saisie, elle a demandé une autorisation pour continuer la procédure’’, consciente d’avoir commis un manquement à l'obligation de publication de l'avis d'appel d'offres dans un quotidien de grand tirage. Elle s’est répandue en excuses.
Il est aussi notifié que ‘’pour la passation des marchés de travaux de montants estimatifs inférieurs à 50 millions F CFA TTC, ainsi que des marchés de fournitures et services à l'exclusion des marchés de prestations intellectuelles de montants estimatifs inférieurs à 25 millions F CFA TTC, les communes publient par affichage public, à la fois au niveau de leurs sièges, de ceux des préfectures ou sous-préfectures dont elles relèvent, et des Chambres de métiers couvrant leurs localités, leurs avis généraux et spécifiques de passation de marchés, ainsi que les avis d'attribution provisoire. L’Armp a fini par donner raison au Service Régional des Marchés public de Kaolack qui est fondé à réserver son avis de non-objection non sans mettre en exergue l’existence d’une concurrence effective. Elle lui a autorisé, en conséquence, ‘’à titre exceptionnel, la continuation de la procédure sous réserve du respect de l'obligation de publicité dans les autres étapes de la procédure, notamment la publication de l'avis d'attribution provisoire dans un journal de grande diffusion’’.