Les risques d’une candidature plurielle dans les rangs de la coalition de la mouvance présidentielle deviennent de plus en plus grands au regard des différentes positions adoptées par les uns et les autres au sein de Benno bokk yaakaar. Au moment où certaines franges du Parti socialiste (Ps) promettent un candidat socialiste contre vents et marées, à Yoonu Askan wi (YAW), le porte-parole invite les forces de gauche à ne pas se priver d’une candidature au premier tour de la prochaine élection présidentielle et d’une liste aux législatives futures. Dans cet entretien, Madièye Mbodji jette aussi un coup d’œil sur la gestion du pays par le régime de Macky Sall. Le militant de gauche se désole que la gouvernance de rupture, la gestion sobre et vertueuse, la moralisation des pratiques politiques, le changement positif des mentalités et des comportements, tardent à devenir une réalité. Entretien.
Quelle appréciation faites-vous du Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC) qui, d’après certaines indiscrétions, n’est pas une initiative de Macky Sall mais existerait depuis les années 1980.
Personnellement, je ne me souviens pas d’un tel plan datant des années 80. Les années 80 et 90 me laissent plutôt le souvenir douloureux des ‘’plans d’ajustement structurel’’ et autres ’’nouvelle politique industrielle’’ ou ‘’nouvelle politique agricole’’ dictés par le Fmi. Peu m’importe au demeurant que le PUDC ait été inventé ou non par le chef de l’Etat. En tout cas, c’est lui qui le met en œuvre au profit des populations sénégalaises, aux yeux de qui ce programme répond à des besoins concrets d’ordre économique, social et culturel. Je déplore cependant deux faits : son démarrage plutôt tardif, trois ans après l’arrivée du président Sall à la magistrature suprême, et son exécution confiée au PNUD. Certes cet organisme des Nations unies est généralement bien apprécié, mais en la circonstance, il faudrait vraiment désespérer du Sénégal et des Sénégalais si nous nous trouvons incapables de trouver des nationaux capables d’exécuter correctement un tel programme, avec toute la compétence, l’expertise, l’expérience et le sérieux requis pour la réussite de tout projet de développement endogène et durable.
Qui parle de développement communautaire, parle de l’agriculture. Comment voyez-vous la campagne pré-hivernage avec la distribution des semences ? Dans certaines contrées du pays déjà, l’on déplore la qualité de ces semences. Est-ce que cela ne participe pas à paralyser le secteur agricole ?
Il faut commencer par rappeler que la campagne agricole 2014-2015 n’a guère été fameuse, les chiffres officiels indiquant par exemple seulement 278 000 tonnes d’arachide collectées (pour une capacité globale de trituration de 400 000 tonnes par la seule SUNEOR !). Dans ma région natale de Louga, plusieurs zones (communes de Thiyel dans le Linguère ou de Gandé dans le Louga- pour ne citer que ces deux cas) n’ont pratiquement rien récolté, ni graines, ni fourrage, au grand dam des populations et du bétail. Un de nos camarades paysans de cette contrée me soulignait récemment leur grande inquiétude quant à l’hivernage en cours du fait de semences tout-venant à la qualité douteuse et en quantité largement insuffisante (19 villages de la Commune de Thiyel non servis en semences, pour les autres, 25 kg de graines non décortiquées par responsable de ménage, à raison de 280 F/kg), conduisant déjà à un bradage de leurs bêtes de la part des éleveurs.
Et l’annonce d’un hivernage faible en pluies, faite bien tardivement du reste par les services de la météo nationale, serait très peu rassurante si elle devait se confirmer. Au total, l’on est donc loin du compte : une agriculture qui ne résout pas encore les questions essentielles de la maîtrise de l’eau, de la disponibilité en qualité et en quantité des intrants tels que les semences et les engrais, sans oublier l’urgence de lots suffisants de matériel agricole adapté ainsi que d’une réforme foncière au service d’abord des paysans producteurs. Une telle agriculture, malgré les moyens importants investis, peinera encore longtemps à satisfaire nos exigences de développement et de souveraineté économique.
Le développement communautaire va de paire avec la décentralisation. Quel bilan faites-vous de la réforme de l’Acte 3 de la décentralisation, après un an de mise en œuvre ?
Nous de Yoonu Askan Wi avons très tôt déploré le passage précipité et au forceps à l’Acte 3 de la décentralisation, à travers l’adoption par l’Assemblée nationale de la Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales, contrairement à la démarche de larges concertations annoncées par le président de la République. Quelle pertinence et quelle urgence y avait-il à découper en deux phases cette réforme ? Quid jusqu’à ce jour des pôles régionaux de développement ? Quelle politique d’aménagement équitable, viable et durable du territoire ? Quel découpage territorial rationnel et viable ? Quelle coopération décentralisée et quelle intercommunalité pour un accès avantageux au marché financier ? Quels moyens et stratégies pour impulser un vrai développement local, apte à promouvoir des collectivités soutenables, à la fois espaces de vie et de travail ? Les autorités ont eu le tort de n’avoir pas bien mûri les réponses à ces questions, préférant mettre à la place de petits calculs politiciens. Il n’est donc pas étonnant que les exécutifs locaux crient un peu partout au manque de moyens et que le ministre de tutelle lui-même parle d’une évaluation urgente à faire, en vue certainement d’apporter les correctifs nécessaires à cet Acte 3.
En dehors de la réforme de l’Acte 3, il y a également la réforme du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui tranche les avis au sein de l’hémicycle. Quelle est votre opinion sur la question ?
Abroger la ‘’Loi Sada Ndiaye’’ en ramenant la durée du mandat du président de l’institution parlementaire à 5 ans, c’est-à-dire à la durée de la législature, n’est que justice et qui plus est, parfaitement conforme aux conclusions des Assises nationales et au projet de constitution élaboré par la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI). Cohérence pour cohérence d’ailleurs, c’est tout le bureau de l’Assemblée nationale et pas seulement le président qui, à mon sens, doit être élu pour la durée de la législature, en lieu et place de petits calculs alimentaires destinés à faire goûter à la soupe à tour de rôle ! Couper les voies de la transhumance d’un parti à un autre, d’une coalition à une autre ou d’un groupe parlementaire à un autre, me semble aussi être une bonne mesure, de même que l’application du principe de la parité à l’élection des membres du Bureau de l’Assemblée.
Par contre, à mon avis, rien, sauf là aussi de petits calculs politiciens, n’obligeait la majorité à élever au 10ème des membres de l’Assemblée le nombre de députés requis pour la constitution d’un groupe parlementaire, c’est-à-dire présentement élever la barre de 10 à 15 députés. Pourquoi refuser de promouvoir la pluralité et la diversité démocratiques au sein du Parlement, pourquoi chercher à corser la possibilité de constituer des groupes ? Certainement pas pour des raisons d’économie, car là il faudrait en toute conséquence, entre autres mesures opportunes, diminuer par exemple le nombre pléthorique de vice-présidents (8 présentement, soit plus que l’Assemblée nationale française qui en compte 6).
Rendre plus difficile le déploiement de l’opposition au sein du Parlement, dissuader les alliés de toute volonté éventuelle de faire bande à part, tels sont probablement les petits calculs politiciens sous-jacents, valables certainement à la guerre comme à la guerre, mais qui en rien, ne consolident ni ne font avancer la construction de la démocratie dans notre pays. Il faut donc, au nom de l’intérêt général et des générations futures, éviter d’enrober de sucre (la parité et le mandat du Président à 5 ans) de mauvaises réformes (rendre plus difficile la constitution de groupes parlementaires), afin de les faire mieux avaler par l’opinion. Une telle démarche, à mon avis, n’est pas porteuse de progrès, et il faudra y prêter attention à l’occasion de la révision attendue de la Constitution de notre pays.
Justement, la réduction du mandat présidentiel tarde à se concrétiser. Pensez-vous que le président Macky Sall soit dans les dispositions de respecter cet engagement pris devant le peuple sénégalais ?
Je commence par ce dernier aspect : le respect de la parole donnée, c’est le respect de soi-même, c’est le respect du citoyen électeur. Déroger à ce principe sacré, c’est se mettre à dos le peuple et les citoyens électeurs. Le président Abdoulaye Wade l’a appris à ses dépens et à sa grande surprise. Pour le président Sall, je crois que lui-même en est parfaitement conscient, le référendum est, de l’avis de tous nos spécialistes en droit constitutionnel, la seule voie légale et légitime, j’ajouterais éthique, honorable et porteuse, en vue non seulement de réduire son mandat de 7 à 5 ans, contrairement à l’avis de certains de ses proches, mais aussi plus globalement de faire adopter les réformes institutionnelles indispensables à la refondation de notre République malmenée par plus de 50 ans de présidentialisme néocolonial, autocratique et prédateur.
On vous voit de plus en plus en marge de la mouvance présidentielle. Vous retrouvez-vous dans la gestion de Macky Sall ? Qu’est ce qui ne vous agréé pas dans sa politique depuis son installation au pouvoir ?
Nous sommes un parti souverain, un collectif organisé qui réfléchit et débatte démocratiquement en son sein, avant de prendre toute décision importante pour lui-même, pour notre pays et notre continent. Personne ne pourra jamais nous empêcher d’exprimer nos points de vue critiques ni nous faire faire quelque chose à laquelle nous ne croyons pas. Jusqu’au moment où je vous parle, YAW est membre de la majorité populaire et citoyenne qui a porté Macky Sall au pouvoir, et membre de BBY. Cependant, nous avons très tôt marqué nos désaccords avec cette coalition qui, au lendemain des élections, n’a pas réussi à se déployer autour d’une plate-forme politique explicite et partagée, avec des structures horizontales et verticales dignes de ce nom, c'est-à-dire fonctionnant régulièrement et démocratiquement selon des normes partagées. C’est cela la faiblesse congénitale de BBY.
Le dire, c’est se conformer à la vérité, le régime du président Macky Sall compte à son actif d’importantes mesures et réalisations comme la lutte contre l’enrichissement illicite, le développement des infrastructures, les investissements consentis en faveur de l’autosuffisance alimentaire, la réduction ou le blocage des prix de plusieurs denrées ou produits de première nécessité, la diminution des impôts sur les salaires et des coûts du loyer, les efforts fournis en matière de couverture maladie et de protection sociale, etc. Toutefois, l’emploi des jeunes reste une grosse équation à résoudre, les secteurs publics de l’école et de la santé continuent d’entretenir des feux jamais réellement éteints.
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La gouvernance de rupture, la gestion sobre et vertueuse, la moralisation des pratiques politiques, le changement positif des mentalités et des comportements, tout cela tarde à devenir une réalité enracinée dans le corps social sénégalais.
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Sur un plan plus fondamental, comme écrit dans le Document d’orientation de la Confédération des forces de gauche dénommée Confédération pour la Démocratie et le Socialisme (CDS), l’appartenance du Sénégal à la zone Franc, avec une monnaie rattachée à l’Euro, est reconnue comme la cause de l’incapacité de notre pays à sortir du cercle vicieux de la dépendance et de la pauvreté. En outre, il s’avère impératif de s’opposer, ici et maintenant, à toute politique d’accroissement de la mainmise étrangère sur notre économie et d’accentuation de la soumission de notre Etat, que portent le Plan Sénégal émergent (PSE), les Accords de partenariat économique (APE) avec l’Union Européenne, et les accords militaires avec les grandes puissances impérialistes, la France et les Usa en particulier. Il faut certes le souligner avec force, ces exigences-là interpellent au premier plan la gauche sénégalaise et son propre projet alternatif de société.
Comment comptez-vous aborder les prochaines joutes électorales ? Allez-vous continuer à soutenir le président Macky Sall ?
A dire vrai, cette question vient récemment seulement d’être inscrite à l’ordre du jour de nos instances nationales. Probablement notre Conseil général, instance suprême après le congrès, convoquée au mois d’août prochain, aura à avancer sur la décision à prendre.
Mon avis est qu’il faut s’attendre à une floraison de candidats et de listes en 2017. Personnellement, pour des raisons sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir, mon option est celle d’un couplage des élections présidentielles et législatives en février 2017. Je vois mal comment les forces de gauche, alliées à des forces vives acquises aux conclusions des Assises nationales, pourraient se priver d’une candidature au premier tour de la présidentielle et d’une liste aux législatives. Yoonu askan wi et la CDS en décideront, dans l’intérêt supérieur de notre peuple.