Mamadou Tall, expert en décentralisation et ancien directeur de l’Ecole nationale d’administration (ENA), estime que la dernière réforme des collectivités locales, dénommée Acte III de la décentralisation, s’est déroulée dans la précipitation.
"Ce que je constate, c’est que c’est un projet de loi qui a été élaboré et examiné dans la précipitation. On ne peut pas mener une réforme de cette nature en moins de deux ans", a dit M. Tall dans une interview publiée mercredi par le journal Le Quotidien.
"La réforme de 1996 nous a pris quatre années et six mois, avant que nous soumettions le projet de réforme de la décentralisation à l’autorité. Une réforme majeure mérite qu’on lui accorde le temps, l’intérêt et la concertation" nécessaires, a-t-il soutenu.
Il avait participé à la réforme des collectivités locales, qui a consacré en 1996 le transfert de nombreuses compétences – dont l’éducation, la politique culturelle et de jeunesse, la santé publique et l’action sociale - de l’Etat vers les communes, les conseils régionaux et ruraux.
En 1996, "les partenaires techniques et financiers, l’Administration, la société civile, les autorités déconcentrées, les élus locaux et les journalistes avaient tous été consultés pour ce projet", a rappelé M. Tall.
"C’est pourquoi, lorsque nous avons présenté le projet à l’Assemblée nationale, le vote s’est déroulé sans débat. Parce que le texte était déjà connu" du public, a-t-il fait valoir.
L’Acte III de la décentralisation, objet d’un projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en décembre dernier, devrait notamment se traduire par une suppression des régions. Sur cette base, cette réforme va doter les départements de conseils élus, créer de nouvelles communes et transformer les communes d’arrondissement en communes de plein exercice.
L’expert Mamadou Tall se dit opposé à la suppression de la région par cette réforme. "Les raisons qui ont prévalu pour la suppression de la région ne me semblent pas tout à fait pertinentes", a-t-il affirmé, en proposant "que nous réorganisions les régions en pôles de développement viables".
"On devait se demander pourquoi les régions n’ont pas atteint leurs objectifs, plutôt que de les supprimer. Je ne suis pas pour la suppression de la région", a-t-il insisté.
"Ce qui était plus intéressant, a-t-il ajouté, c’était de proposer au président de la République des pôles territoriaux, mais en définissant leur statut. Je propose que ces pôles territoriaux soient des collectivités locales". "Les pôles territoriaux devraient recevoir des programmes et projets publics et harmoniser le développement régional."
"Ce que j’ai entendu comme argument ne me convainc pas. Et il ne faut pas que nous puissions arriver à une réforme qui puisse remettre en cause l’unité nationale", a averti l’ancien directeur de l’ENA.
Il pense que "le niveau départemental ne paraît pas être l’échelon pertinent pour la coordination régionale, après la suppression de la région".
"Pour la communalisation intégrale, il faut se rendre compte que les moyens de fonctionnement des communautés rurales sont insuffisants. Dans certaines communes, le salaire du maire va dépasser le budget. Cela veut dire que ces gens (les conseillers municipaux) vont vivre de ressources publiques qu’ils vont se partager entre les 45 départements", a analysé l’expert.
"D’où va-t-on tirer toute cette masse financière ? Ils (le gouvernement et le chef de l’Etat) n’en parlent pas. Ils ne disent pas comment le financement du développement local va se faire, ni combien cette réforme va coûter", a-t-il signalé.
"L’Acte III de la décentralisation devrait trouver, dans le Code général des collectivités locales, un embryon de fiscalité locale pour le département, mais ce n’est pas le cas", a relevé M. Tall.