A quelques jours de l’ouverture du procès de Hissein Habré, le consortium de sensibilisation sur les Chambres africaines extraordinaires (CAE) a organisé hier un débat public sur son déroulement. Occasion pour le Procureur général de dévoiler la chronologie du procès, les sanctions encourues par l’ex-président tchadien, ainsi que les voies de recours.
L’heure de la vérité approche pour Hissein Habré dont le procès s’ouvre le 20 juillet. L’ex-président tchadien, inculpé pour crimes internationaux, est accusé d’avoir causé 40 000 morts durant son règne, du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. Si jamais il est reconnu coupable, il peut être condamné à 30 ans de travaux forcés ou à la perpétuité. Le procureur général Mbacké Fall l’a révélé hier, au cours du débat public organisé par le Consortium de sensibilisation sur les Chambres africaines extraordinaires (CAE), en collaboration avec l’Institut des droits de l’Homme. Selon ses explications, l’accusé pourra faire appel, comme le parquet général. Toutefois, il a précisé que ‘’cet appel est possible uniquement sur les droits civils et interviendrait au cas où une de ces parties n’est pas d'accord avec le montant des indemnités ou dommages et intérêts qui lui ont été attribués’’.
Le Sénégal a certes aménagé la prison du Cap Manuel où Hissein Habré est en détention préventive, mais l’ex-homme fort de N’Djaména pourrait, en cas de condamnation, demander à purger sa peine dans un autre pays membre de l’Union africaine (UA). Néanmoins, a renseigné Mbacké Fall, ‘’aucune mesure d’assouplissement de la peine ne sera possible et Habré ne peut en aucun moment espérer une grâce ou une amnistie’’.
Le procès va durer 3 mois
Le Procureur général Mbacké Fall est aussi revenu sur le déroulement du procès. A l’en croire, il va durer trois mois. Du moins concernant les débats ainsi que les plaidoiries et le réquisitoire du parquet qui doivent prendre fin le 22 octobre pour permettre à la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE) de vider. Par rapport aux débats d’audience, dans un premier temps, les juges vont recueillir les dépositions des experts et des témoins de contexte. Ces derniers devront édifier sur la biographie de Hissein Habré, sur sa personnalité mais également sur le contexte politique pour comprendre les faits survenus sous le règne de l’ex-président tchadien. Après l’enquête de personnalité, ce seront ensuite les débats au fond. ‘’C’est à partir de ce moment que les victimes et témoins vont comparaître pour que le tribunal puisse instaurer les débats sur les crimes reprochés à Hissein Habré’’, a renseigné le parquetier.
Selon ses précisions, parmi les témoins et victimes, il y aura des membres des Adjaray, arabe, Zagawa ainsi que des populations du Sud du Tchad qui ont fait les frais de régime répressif de Habré. Ainsi, ils seront entendus par rapport aux crimes contre l’humanité. Par la suite, les auditions porteront sur les crimes de guerre, puis sur les crimes de tortures. « Là, également des témoins et victimes de même que des experts, notamment des anthropologues qui ont exhumé les corps, des balisticiens vont défiler à la barre », a renseigné M. Mbacké Fall, tout en précisant que des témoins à décharge sont également convoqués. Au total, c’est une centaine de victimes témoins qui sont convoquées. Celles qui ne pourront pas venir au Sénégal seront entendues, grâce à un système de visio-conférence.
Le réquisitoire du parquet et les plaidoiries de la défense vont boucler cette phase. Ladite phase se déroulera-t-il avec ou sans l’inculpé qui a décidé de boycotter le procès ? ‘’Deux options s’offrent aux juges’’, selon le procureur général. Le juge peut commettre un huissier pour servir à l’inculpé une sommation à comparaître. ‘’Si l’accusé n’obtempère pas, l’huissier constate sa résistance et dresse un procès-verbal au président’’, a-t-il poursuivi, tout en ajoutant que le juge peut décider de contraindre l’accusé à venir. A défaut, il peut s’en passer. Dans ce cas, a expliqué le magistrat, ‘’la loi fait obligation au greffier d’audience de faire des comptes-rendus qu’il doit lire à l’inculpé. S’il y a des actes, ils doivent être signifiés à l’accusé en prison’’.
ME ASSANE DIOMA NDIAYE, AVOCAT DES VICTIMES
‘’Il faudra se battre pour obtenir des indemnités’’
Après plusieurs années de bataille, les victimes présumées du régime de Hissein Habré peuvent déjà crier victoire, dans la mesure où, selon Me Assane Dioma Ndiaye, ‘’les victimes ne feront leur deuil que quand elles sauront ce qui s’est passé’’. ‘’Quand vous perdez votre époux, votre père, votre fils pour des raisons que vous ignorez, parce qu’il y a suspicion d’appartenance à un groupe qui est hostile au pouvoir, vous êtes traumatisés à vie et vous avez besoin d’exorciser votre traumatisme’’, a soutenu l’avocat des victimes. Avant d’ajouter que ‘’c’est pourquoi les victimes espèrent d’abord la vérité des faits’’, avant de penser à des réparations pécuniaires ou des réparations de réhabilitation ou de nature à exorciser leur traumatisme.
Seulement, il faudra mener une autre bataille pour la réparation, surtout en cas de condamnation. En fait, d’après le procureur général, ‘’si une sentence est rendue, une sentence de condamnation par exemple, à partir de ce moment, une phase d’action civile va s’ouvrir. Au cours de cette phase, les victimes pourront se constituer partie civile’’. Selon ses explications, trois types de réparations sont prévus par les CAE. Il s’agit de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation. Seulement à ce niveau, Me Assane Dioma regrette que le patrimoine de Hissein Habré ne puisse pas servir à payer les indemnisations. A l’en croire, l’inculpé ne dispose que de deux immeubles à Dakar or, leur total fait moins de 2 milliards. ‘’Il n’y a pas non plus grand-chose, du point de vue de ses avoirs bancaires’’, s’est désolé l’avocat qui mise beaucoup sur le fonds d’indemnisation prévu par les statuts des CAE. Le hic, a ajouté Me Ndiaye ; ‘’il n’a pas été mis en place. Donc, il faudrait se battre pour cela’’.