Les 13 années de conflits autour des terres de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD) ont finalement abouti à un accord signé, le 9 mai dernier, entre les populations riveraines et les autorités. Seulement, l’installation de cette infrastructure a laissé des stigmates qui risquent d’être pérennes. Les populations restantes sur les sites vivent dans la psychose et le désespoir d’un déménagement forcé et des promesses jamais tenues des autorités étatiques.
Le village de Khessouhate a été créé, il y a 800 ans. Il est aujourd’hui subdivisé en trois quartiers : Katialicke, Mbadate et khessoukhate. Il est peuplé de sérères. Ce village de la commune rurale de Keur Moussa a toujours vécu dans l’anonymat jusqu’au jour où l’ancien président de la République Me Abdoulaye Wade a annoncé la délocalisation de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor à Diass et non à Keur Massar (dans la région de Dakar) comme prévu par son prédécesseur Abdou Diouf. Ce fut une grande joie dans le village, vite transformée en grosse désillusion.
AIBD, l’histoire d’une prédiction
Enfin, l’heure de la réalisation de la prédication des ancêtres était venue. Le vieux Diombel Dione, 83 ans, révèle : «Nos parents nous racontaient que leur ancêtres avaient fait un songe dans lequel des oiseaux faisaient descendre des gens dans cette forêt. Mais dans ces rêves, jamais il n’a été question de déplacement». En effet, contrairement à la vision de leurs ancêtres, l’aéroport international Blaise Diagne, qui s’étend sur une superficie de 4500 ha, engloutit le village qui est composé de 24 concessions et plus de 342 ménages.
Ainsi, l’espoir d’abriter une infrastructure aussi grandiose que l’aéroport a très vite fondu comme du beurre au soleil. Car, selon les habitants, la démarche des autorités a été de diviser pour mieux régner. Au début, on leur a fait croire que l’infrastructure se limiterait à 2 km du village de Mbadate. Donc, les populations pouvaient conserver leurs terres. «Or, rien de tout ce qu’on nous a raconté n’était vrai. Les autorités ont caché leur plan jusqu’au jour où elles sont revenues à la charge pour dire que l’aéroport devait engloutir le quartier de Mbadate», explique Assane Diouf du collectif ‘’Ne touche pas à mon village’’.
Le monde venait de s’écrouler sous leurs pieds. «La démarche des autorités fut machiavélique. Elles ont délimité l’AIBD en trois phases. La première a fixé les limites à l’entrée de Mbadate ; la deuxième, derrière le pavillon présidentiel et la troisième au niveau de l’autoroute à péage», confie le vieux Saliou Ciss. Une barrière fut érigée. Des gendarmes postés devant. Les consignes étaient qu’aucun paysan n’avait plus le droit de se rendre dans ses champs en franchissant la grille qui se trouve derrière le pavillon présidentiel du futur aéroport. Les paysans qui s’y aventuraient étaient humiliés. Ils étaient transportés à l’entrée de l’aéroport. Pour retourner chez eux, il leur fallait parcourir des kilomètres à pieds.
Les autorités cherchant des interlocuteurs, une association fut créée sous l’appellation d’Association pour les personnes déplacées de Khessouhate (APDK). «Tous les problèmes que nous avons aujourd’hui, ce sont les autorités qui nous les ont causés. Elles nous ont divisé, en utilisant de l’argent, en poussant certains jeunes à créer une association avec laquelle elles tenaient des rencontres et faisaient des sorties médiatiques. Un imam est allé jusqu’à dire dans la télévision qu’il habitait dans une hutte», se désole Ibrahima Diouf, le chef de village. L’imam en question habitait dans un bâtiment en dur. «On nous a traîné dans la boue devant l’opinion publique, en nous présentant comme des réfractaires, des personnes qui détestaient le projet, pour légitimer notre déguerpissement. Pourtant nous avions toujours été pacifiques. Nous voulions le dialogue, mais personne ne nous a écoutés’’.
Une économie à terre
Conséquence, c’est le marasme économique dans le village de Khessouhate, où les populations ont jusqu’après la korité pour quitter définitivement le village. Une première vague a déjà quitté le village. Ceux qui restent se débattent dans des difficultés sans fin. Par exemple, dans le quartier de Kaparok, les femmes parcourent presque un kilomètre pour aller puiser de l’eau dans le village le plus proche, à Soune. «Personne d’entre nous ne peut puiser plus de 4 bassines d’eau par jour. Depuis le Daka, les citernes d’eau que les responsables de l’AIBD avaient mises à notre disposition ont été récupérées», se lamente la dame Ami Faye. Certaines femmes sont obligées de se rendre dans les chantiers pour demander de l’eau restante utilisée pour la construction des routes. Avec le forage installé près de l’autoroute, la nappe d’eau est devenue plus profonde et les puits pouvant atteindre 40 mètres de profondeur ont tari.
Malgré ces difficultés présentes, le village a connu une belle embellie économique, ces dernières années. En témoigne les constructions en dur. «Tout ce que nous avons construit, c’est grâce à nos revenus tirés de la terre. Aujourd’hui, du fait que la population a été spoliée de ses champs. La culture du mil, de l’arachide, du maïs est devenue morte et a cédé la place à la culture maraîchère. Pendant la saison des pluies, nous cultivons de l’aubergine et du piment dans les petits espaces qui nous restent», dit Ibrahima Diouf. L’agriculture et l’élevage se conjuguent désormais au passé. Le vieux Saliou Ciss, qui dispose aujourd’hui d’un troupeau de plus de 80 têtes de vaches, va être obligé de vendre, parce qu’il n'a plus d’espace pour les faire paître.
Promiscuité
Mais les populations de Khessouhate ne sont pas au bout de leur peine. Dans les nouvelles habitations appelées «site ba» que les autorités ont mis à leur disposition, derrière le village de Soune, une grande désillusion les attend. Ces maisons construites par l’Etat du Sénégal sont composées chacune de 3 chambres de 3,5 m de longueur, d’un salon, d’une cuisine et de toilettes et d’une petite cour. Un véritable casse-tête pour des pères de famille ayant souvent 4 épouses. D’ailleurs, dans ces demeures, le salon est transformé en chambre. Ne disposant pas d’escaliers pour se rendre à la terrasse, les jeunes utilisent des échelles pour y monter et dormir à la belle étoile.
Les couloirs également sont transformés en dortoir. A cette promiscuité s’ajoute une extrême pauvreté. «Les gens parlaient de prolétariat en Europe, au 18ème siècle. C’est le mot approprié pour nous aujourd’hui’’, dit Lamine Ciss, un jeune très engagé dans le combat pour leur dédommagement. Pourtant dans l’accord signé à Saly, les autorités de l’AIBD avaient promis plus de 300 nouveaux logements à remettre aux ayants-droit, au plus tard le 31 mai, en plus d’une enveloppe de 250 mille francs pour les frais de déplacements. Mais jusque-là, ces engagements ne sont restés que des promesses.
A tous ces problèmes s’ajoute une cohabitation dans un climat délétère, au niveau de ce nouveau site. Il y a d’une part les membres ou sympathisants d’APDK et d’autre part, le reste de la population. Les seconds les considèrent comme des lâches et des traîtres qui ont vendu leur âme pour de l’argent. Mais ceux-ci n’en ont cure, car, ils les voient comme des arriérés refusant le développement et cultivant la misère. Ainsi beaucoup de familles sont disloquées. Lors des cérémonies, les gens se regardent en chiens de faïence. «Jamais nous ne regagnerons le site. Ils n’ont qu’à nous donner les frais de déplacement et notre argent, nous allons nous débrouiller. Lorsque les autorités construisaient ces logements, ils ne nous ont pas demandé notre avis, donc c’est pour eux», martèle Lamine Ciss.