Lors de leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont cherché à démonter les arguments de la partie civile ainsi que ceux du parquet spécial, notamment sur la valeur vénale utilisée pour évaluer le patrimoine de Tahibou Ndiaye, le rejet des libéralités, les raisons de l’échec de la médiation pénale, etc. Convaincue de l’innocence de ses clients, la défense a demandé la relaxe pure et simple des prévenus, ainsi que la main levée sur tous les biens saisis des accusés.
Le marathon judiciaire se poursuit toujours au tribunal de Dakar, plus précisément à la barre de la Crei, dans le procès contre Tahibou Ndiaye et co-prévenus, poursuivis pour enrichissement illicite et complicité d’enrichissement illicite. Hier, mercredi 1er juillet, c’était au tour des conseils de la défense de se relayer à la barre pour démonter les arguments de la partie civile, ainsi que ceux du parquet spécial.
Devant le prétoire, la défense a réclamé la relaxe pure et simple des prévenus, ainsi que la main levée sur tous les biens saisis. Pour cause, les conseils des prévenus restent convaincus de l’innocence de leurs clients attraits à la barre de la Crei «injustement», selon eux.
Tahibou Ndiaye, un bouc émissaire à abattre
C’est Me Pape Samba Sow, qui a ouvert le bal de la défense. Au prétoire, la robe noire s’est dite étonnée de la présence de ses clients devant la Crei. A l’en croire, la lecture et l’interprétation des textes de la Crei par la partie civile et le parquet spécial a été biaisé. Pour lui, dans l’exposé des motifs, le législateur a voulu combattre la corruption et les dérives connexes. Selon lui, le législateur a dit que les autres délits connexes à l’enrichissement illicite peuvent être renvoyés devant les autres juridictions. «Donc, je ne comprends pas notre présence ici à cette Cour, car le délit d’enrichissement illicite trouve sa source dans la corruption et Tahibou Ndiaye a bénéficié d’un non lieu total du délit de corruption».
Lui emboitant le pas, Me Demba Ciré Bathily a estimé que «Tahibou Ndiaye est l’homme à abattre. Tout a été fait pour que Tahibou Ndiaye soit arrêté et jeté en pâture». A l’en croire «ils veulent que Tahibou Ndiaye soit présenté comme la personne qui a dilapidé tout le foncier de tout ce pays, vu le contexte de l’époque».
L’expert Amadou Kane, pas fiable
Dans sa longue plaidoirie, Me Pape Samba Sow est revenu largement sur la méthode utilisée par l’expert Amadou Kane pour évaluer la valeur des biens de Tahibou Ndiaye. A l’en croire, dans ce dossier, on doit justifier non pas le patrimoine, mais les ressources qui ont permis d’être en possession de ce patrimoine, notamment les immeubles. C’est pourquoi, dira-t-il, «la valeur vénale n’avait pas sa place dans ce dossier, dans la mesure où, c’est le montant qui a permis à la construction des maisons et non la valeur des maisons à l’instant ‘’T’’ qu’il faut chercher».
Ainsi, a-t-il trouvé que «l’expert Amadou Kane, commis par la commission d’instruction, n’est pas de bonne foi».
D’ailleurs, Me Sow a fait appel à une condamnation dont aurait fait l’objet ledit expert. A l’en croire, l’expert Amadou Kane a été condamné pour avoir produit un faux rapport sur un immeuble de R+4, qui aurait une vue sur la mer, alors que c’est une simple maison à rez-de-chaussée, sise au Point E.
Les libéralités prouvées son acceptées par la Crei
Dans la même logique, Me Sow a estimé que leurs adversaires ont fait une lecture tronquée des textes sur les libéralités. A l’en croire, il est dit que le simple fait d’évoquer une libéralité ne suffit pas pour justifier le patrimoine. Ce qui veut dire, selon lui, qu’il n’a jamais été question d’une mise à l’écart totale du don. «Lorsque la libéralité est prouvée, provenant d’une source justifiée, elle peut être retenue comme patrimoine licite», informe-t-il.
D’ailleurs, M. Sow s’est offusqué du fait qu’une partie des gens cités comme donateurs, soit convoquée à la barre pour témoigner, au moment où d’autres ne l’ont pas été. Pour lui, la commission a fouillé les patrimoines de certains, comme Darwiche, Fallou Gueye, Diop SY, etc., pour voir s’il n’y pas des pots de vin qu’aurait donné Tahibou Ndiaye à ces gens. «Mais, depuis l’enquête a commencé, on n’a vu aucune contrepartie, aucune corrélation.», souligne-t-il.
Pour ce qui concerne les biens des proches de Tahibou Ndiaye, Me Seydou Diagne a fait comprendre que la propriété immobilière ne peut pas être combattue par une déclaration devant la barre. Pour lui, le droit à la propriété est protégé par la constitution et que le parquet n’avait pas le droit de remettre en cause des actes authentiques où sont mentionnés les noms des proches de Tahibou Ndiaye.
Médiation pénale, la défense pas demanderesse
Pour en venir à la médiation pénale qui a suscité une polémique tout au long du procès, Me Pape Samba Sow a catégoriquement réfuté l’argument selon lequel le prévenu Tahibou Ndiaye a sollicité une médiation pénale avant de se réfracter. Selon la robe noire, «nous n’avons jamais été demandeur d’une médiation pénale». Revenant sur ce fameux jour, l’avocat a fait savoir que son client n’a pas été assisté par ses avocats lors de la signature du procès verbal (Pv) de ladite médiation, alors que dans le Pv, il y figure les noms des conseils de Tahibou Ndiaye.
A l’en croire, M. Ndiaye a fait l’objet d’un acharnement pour lui faire signer le document, car, il lui a été rapporté que son enfant est en train de se suicider.
Toutefois, il a réfuté les arguments de la partie civile qui estime que Tahibou Ndiaye s’est réfracté sur la médiation pénale. Selon ses dires, il y avait bel et bien un début d’exécution de la médiation, d’autant plus que les deux lots de Sotrac Mermoz ont été mutés par le procureur. Cependant, relève-t-il, le procureur a eu des difficultés pour muter les autres terrains au nom des membres de la famille de Tahibou Ndiaye et a voulu que ce dernier se présente avec les vrais propriétaires pour faire la mutation. Le refus de ce dernier a été, selon lui, l’explication de la présence de la famille de Tahibou Ndiaye à la barre de la Crei.
Antoine Diome et son nouveau statut d’agent judiciaire de l’Etat
Par ailleurs, Me Pape Samba Sow n’a pas manqué de jeter de grosses pierres dans le jardin du procureur spécial, Abdoulaye Antoine Félix Diome, nouvellement nommé au poste d’Agent judiciaire de l’Etat, par décret présidentiel. Pour l’avocat de la défense, Antoine Diome ne devait plus prendre la parole en tant que procureur spécial, dès lors qu’il est appelé à d’autres fonctions. Cela, même si le décret n’est pas encore signé et publié au journal officiel. Pour lui, c’est pour des raisons d’éthique et de déontologie qu’Antoine Diome devait s’abstenir de prendre la parole, pour éviter un conflit d’intérêt.
ENRICHISSEMENT ILLICITE DE TAHIBOU NDIAYE : L’Etat au banc des accuses
Le sieur Tahibou Ndiaye, actuellement attrait à la barre par la Crei, dispose de baux et de droits de cession, dûment signés par l’Etat du Sénégal. De l’avis de Me Abdourahmane Sow, dit Lénine, avocat de la défense, si Tahibou Ndiaye est accusé d’enrichissement illicite, il faut aussi accuser l’Etat du Sénégal, qui s’est constitué partie civile dans cette affaire, de complicité.
«Si l’Etat du Sénégal, qui poursuit Tahibou Ndiaye, a elle même vendu les terrains à Tahibou Ndiaye et que ce sont ces terrains qui font l’objet de la poursuite pour enrichissement illicite, cet Etat est complice de cet enrichissement illicite». Ces propos sont de Me Abdourahmane Sow, un des avocats de Tahibou Ndiaye. En effet, devant la barre pour sa plaidoirie, l’avocat de la défense a estimé que tous les baux et les titres fonciers dont dispose Tahibou Ndiaye lui ont été octroyés par les services de l’Etat, qui s’est constitué partie civile dans ce dossier. A l’en croire, l’Etat doit être poursuivi de complicité d’enrichissement illicite. Cela, tout en précisant qu’aucun texte n’interdit à un tiers de disposer de beaucoup de baux ou de titres fonciers.
Poursuivant, en s’attaquant à l’expert comptable qui a utilisé la valeur vénale pour évaluer les biens de Tahibou Ndiaye, il a indiqué que par rapport aux terrains nus, non seulement M. Ndiaye n’est pas définitivement propriétaire de ces terrains, car il ne les a pas encore mis en valeur pour demander une cession, mais aussi, si on doit évaluer la valeur de ces terrains, «il faut voir combien il a dépensé pour obtenir ces baux, et non la valeur des terrains si on devait les vendre».
«Est-ce que Tahibou Ndiaye doit être là pour les 100 millions qu’il pourrait gagner s’il les vendait, ou pour les 180.000 F Cfa qu’il a payé pour obtenir le bail», s’est-t-il demandé. Pour lui, dans cette affaire, on demande à Tahibou Ndiaye de justifier l’origine licite, c’est-à-dire la valeur d’acquisition de son patrimoine et non la valeur actuelle dudit patrimoine.
Concernant les maisons évaluées à coup de millions, Me Sow a estimé qu’il fallait prendre en compte le prix de revient de ces maisons, si on devait les raser et les remettre à l’état.
L’audience a été suspendue pour reprendre ce matin avec les plaidoiries de la défense. Toutefois, il convient de noter que le parquet a promis d’apporter la réplique car elle a été indexée par la défense au moment de ses plaidoiries.