Un mois de générosité, de pardon, de solidarité et de revisite du Saint Coran, le Ramadan (jeûne) fait partie des cinq piliers de l’Islam. Il est obligatoire pour tout musulman adulte remplissant des critères prédéfinis. Seulement, pour les adeptes de certains corps de métiers qui nécessitent de passer la plupart de son temps de travail sous le soleil, allier boulot et observation du Ramadan reste très pénible pour le jeûneur. C’est le cas des menuisiers, mécaniciens et maçons, entre autres, qui sont obligés, en plus de la corvée, de respecter cette exigence religieuse.
Il est 10 h passées de 42 minutes à Pikine «Tally Bou Bess». Automobilistes, conducteurs de motos Jakarta, tout comme des charretiers, se partagent la grande rue de la banlieue dakaroise. Des camions, replis de «madd» (fruit tropical produit par le «Saba senegalensis», une espèce de lianes sauvages) ou de mangues, revenaient du grand marché de Syndicat, situé à quelques encablures. Dans ce même mouvement, d’autres véhicules ralliaient le croisement de Bountou Pikine. L’ambiance est très dense. A cette heure matinale où le soleil presque au zénith, dardait déjà impitoyablement ses rayons sur terre, pardon les piétons, laissant ruisseler des perles de sueur sur leur front. La canicule n’épargne et ne pardonne personne. Et ce n’est pas Iboulaye, qui est lui aussi accablé par la chaleur, qui dira le contraire.
La soif des mécaniciens
Trouvé dans son garage, ce mécanicien de formation est accroupi prés d’un véhicule. Outils en mains, le jeune Ndiaye et son compagnon qui s’affairent tranquillement autour d’un 4x4, de couleur grisâtre, semblent très occupés par leur travail. L’homme d’une trentaine d’années, debout sur ses 1m70, les yeux rougeâtres, est vêtu d’un uniforme bleu tacheté d’huile. Après quelques salutations d’usage, de présentation et d’explication du motif de notre visite, il nous invite à prendre place près de lui. D’un geste du doigt, il montre un tabouret installé sur les lieux. Boy Ndiaye, comme l’appellent ses pairs, un grand sourire aux lèvres, est à notre entière disposition.
«Le mois béni du Ramadan est une période de privation de nourriture et d’eau du matin jusqu’au crépuscule. On n’a pas besoin d’être un mécanicien, un vulgarisateur, un maçon, un tailleur ou tout autre corps de métier pour ressentir le poids du jeûne», a-t-il expliqué. Avant de renchérir: «quoi qu’on dise, je me dis toujours qu’il n’est pas facile de supporter la faim et la soif, même quand on ne fait rien, à fortiori lorsqu’on est en pleine activité». «En ce qui nous concerne, comme vous le voyez, nous avons un travail très dur. Nous passons tout notre temps sous la chaleur, entre des véhicules, envahis par l’odeur du gasoil et du bruit», dit-il.
Dans un pareil contexte, l’ouvrier pense qu’il serait nécessaire de se préparer en conséquence pour surmonter les difficultés durant ces 29 ou 30 jours de jeûne du Ramadan. Des propos renforcés par son collègue Gora. Ce dernier pense que le Ramadan n’est pas en leur faveur dans la mesure où ils n’auront pas la possibilité de boire à chaque fois qu’ils en auront envie. «C’est dur pour nous mais on est obligé de faire avec car nous n’avons pas d’autres choix. En tant que musulmans, nous avons le devoir de supporter la souffrance et de ne pas nous plaindre. Ça fait parti des cinq piliers de l’Islam. Après tout, un mois ça passe vite», s’est-il consolé.
La résignation des menuisiers
Les mécaniciens ne sont pas les seuls à vivre cette situation. Les menuisiers aussi sont obligés de faire avec la rigueur du Ramadan alliée à leur métier. Nous sommes à «Tally Bou Mack», au quartier Gazelle. Une zone de concentration de beaucoup ateliers de menuisiers. Ce coin d’exposition et de fabrique regroupe des tabliers, tout comme des vendeurs de meubles de tout genre. Dans leurs collections, on y voit des bancs, des chaises, des armoires, des lits, entre autres.
Dans cette cadence, pendant que d’aucuns étaient au travail, d’autres s’asseyaient de manière différente. Certains à même le sol alors que d’autres préfèrent se mettre sur les lits à vendre, s’ils ne sont pas tout simplement en train de marchander avec des clients. Parmi eux, le sieur Fall.
Le jeune-homme d’un air très actif, la quarantaine révolue, estime qu’il n’y a aucun lien entre le Ramadan et leur activité. «Comme tout le monde, nous travaillons comme nous avions l’habitude de le faire avant. Un seul mois de Ramadan ne peut en rien affecter notre travail car nous avons le devoir de jeûner en tant que croyants musulmans», soutien-t-il. Toutefois, admet-il, c’est vrai que des fois ça peut être dur parce que, ce n’est pas facile d’affronter la chaleur sans avoir la possibilité de boire quand on en a envie. Son ami, préférant garder l’anonymat, laisse entendre que le jeûne à Dakar n’est pas si difficile au point d’empêcher à quelqu’un de faire son travail. «Ce n’est pas parce qu’on a jeûné qu’on doit prendre un mois de congé de notre travail, ce n’est pas sérieux», estime-t-il. De la même manière que les menuisiers et les mécaniciens, les maçons également affrontent le Ramadan. Samba Ndour et Pape Mbaye, vivant à Pikine rue 10, ne diront pas le contraire. Menuisiers de leur état, Paco et Bathie, leurs surnoms, excellent tous les deux dans le domaine du bâtiment depuis bientôt 15 ans.
Le courage des maçons
Trouvés dans un chantier de construction d’un immeuble R+4 non loin de leur lieu de résidence, les deux cousins âgés d’une trentaine d’années chacun, travaillent pour un ancien émigré. Mariés et pères de famille, ils expliquent que la maçonnerie fait partie des métiers les plus pénibles au Sénégal. «Il faut une bonne aptitude physique pour le devenir parce que le travail n’est pas du tout facile à faire comme l’imaginent beaucoup de personnes», tiennent-ils à préciser. Paco renchérit: «dans notre pays, ce qui pose problème, aujourd’hui, c’est que souvent, ce sont ceux qui sont à la tête des chantiers qui s’enrichissent alors que la plus grande et importante partie du travail est faite par nous les ouvriers. Je crois qu’il faudrait revoir la situation». Parlant du Ramadan et le travail de maçonnerie, Bathie certifie que c’est très dur. «C’est vraiment dur de vouloir passer toute sa journée sous un chaud soleil en train de mélanger du ciment, de faire des briques, de construire et sans pour autant avoir la possibilité de boire de l’eau ou de manger. Ce n’est pas du tout aisé et tout le monde ne peut pas le supporter», confie-t-il. A l’en croire, comme le Ramadan l’oblige, ils n’ont pas le choix. «Ce qui est sûr, c’est qu’à la rupture du jeûne, je prends un bon ‘’ndogou’’ capable de me permettre de tenir. En plus, à l’heure du diner, je mange bien pour reprendre mes forces», explique-t-il.