Du fait de la situation de crise structurelle qu’elle connaît, la Senelec fonctionne comme un four crématoire pour ses directeurs généraux. Ils sont presque tous grillés au bout de quelques années par la température sociale. De Samuel Sarr en 2006 à Pape Dieng, ils ont presque tous été emportés par les coupures. Retour sur la liste des managers déconnectés du réseau par les délestages.
Pape Dieng est donc parti ! Le désormais ex-directeur de la Société nationale d’électricité (Senelec) a été emporté par le retour des coupures. Pourtant, avant cet épisode qui a été fatal à son boss, la Senelec avait réussi tant bien que mal à respecter son contrat de fourniture d’électricité à l’égard de ses clients. Pape Dieng n’a peut-être pas tort d’affirmer que les coupures sont passées de 900 heures en 2011 à 33 heures en 2015. N’empêche, il a fallu une période de crise pour qu’il perde son fauteuil.
Mais P. Dieng est loin d’être le seul directeur victime de la société, surtout en temps de crise. Là où la Société nationale de téléphonie (Sonatel) a connu un seul directeur en 25 ans, la Senelec en a vu défiler au moins 5 en l’espace de 15 ans. L’un des plus connus après 2000 est sans doute Samuel Ameth Sarr. Même si le problème de la boîte date du temps de Diouf, c’est réellement en 2004 que les problèmes les plus sérieux ont commencé à se faire sentir. Déjà en 2003 a été paraphé la Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Energie (LPDSE). Mais celle-ci a connu un échec dû en grande partie au renchérissement du prix du fioul lourd, principale source de production d’énergie.
Depuis, la Senelec a toujours éprouvé d’énormes difficultés à payer à ses fournisseurs, de sorte que ceux-ci refusent même parfois de lui livrer le fioul. Les délestages se multiplient et le nom de Samuel Sarr est sur toutes les lèvres. La situation étant difficile pour les ménages et les entreprises, le boss devait quitter son poste. Samuel Sarr quitte la tête de l’entreprise en octobre 2006. Il refuse toute idée de limogeage et déclare avoir demandé lui-même à l’ancien Président Abdoulaye Wade de le démettre de ses fonctions.
La raison principale ? Son différend avec l’actuel chef de l’Etat Macky Sall à l’époque Premier ministre du régime libéral. ‘’Je suis en désaccord avec Macky Sall. D’ailleurs, avec la complicité de Hassan Bâ, il avait demandé mon départ au Président. Ce que ce dernier avait refusé de faire. C’était lors de la réunion du 1er octobre dernier (2005)’’. Samuel Sarr s’est targué tout de même à l’époque d’avoir réalisé un acquis de 175 milliards de francs en deux ans. Une manne représentant l’ensemble des projets en cours de construction et qui, à termes, sonnent la fin du calvaire énergétique au Sénégal. Quant aux promesses de mettre fin aux délestages, elle date de Mathusalem. Me Wade avait déjà promis la fin du calvaire à la date du 15 octobre 2006. Appréciez !
La marche de Guédiawaye
Après le départ de Samuel Sarr, arrive Lat Soukabé Fall, le moins connu sans doute des directeurs. Lui aussi va faire face à la crise que traverse la Senelec. Entre-temps, en avril 2007, Samuel Sarr a pris sa revanche. Lui qui a été défénestré a été nommé ministre de l’Energie en remplacement de Madické Niang. Mais les problèmes demeurent et restent entiers. La Senelec perd 6 milliards en 2007 et 7,6 milliards en 2008. Le fossé se creuse et deux ans après son arrivée, Lat Soukabé est limogé. Il a fait les frais d’une situation très tendue dans la banlieue, particulièrement à Guédiawaye. Un certain imam Youssoupha Sarr jusque-là inconnu du grand public devient la figure de proue du refus de payer les factures de la Senelec. Une marche est organisée le 06 décembre 2008 à Guédiawaye.
Les populations refusent la double facturation décidée par la société. Une mesure qui ressemble d’autant plus à de la provocation que la Senelec n’arrive pas à fournir de l’électricité à ses clients. L’exemple de Guédiawaye commençait à faire tâche d’huile. A Rufisque par exemple, un agent qui voulait couper le compteur d’un abonné qui refusait de payer à dû faire appel à ses jambes pour se sauver. Des responsables à Pikine et Parcelles ont contacté l’imam Sarr pour copier l’exemple de Guédiawaye. La situation était devenue trop tendue.
Et à chaque fois dans de pareilles situations, le pouvoir prend la mesure qui désamorce la bombe et suscite l’espoir : dégommer un directeur pour un autre. Quelques jours seulement après la marche et 24 heures après une rencontre entre le ministre de l’Energie et le collectif des imams de Guédiawaye, Lat Soukabé est démis. Samuel Sarr avait accusé une personne physique. Son successeur lui, désigne l’Etat. ‘’Je crois qu’il y a lieu de dire la vérité sur le fonctionnement de la Senelec. Sur 100 milliards, l’Etat ne paie que 40 milliards et doit à la Senelec 60 milliards. L’Etat n’aide pas la Senelec et n’a pas investi dans la production. Dans de telles conditions, la Senelec est obligée de vendre l’électricité à son vrai prix’’, aurait-il dit lors d’une rencontre avec la tutelle.
Au poste de directeur, il sera remplacé par son adjoint Seydina Kane, un cadre qui a gravi les échelons à l’interne. Dans un souci d’apaisement, il appelle les populations à payer les factures et s’engage à trouver une solution. Il sera confirmé dans son poste de directeur général de la Senelec en juillet 2009. Il annonce la création d’une centrale à charbon de 125 MW à Bargny pour 123 milliards et la diversification des ressources ainsi que la division des activités en trois secteurs : production, transport et distribution. Pour ce qui est de la hausse des prix à l’origine de la colère de la banlieue, l’Etat va faire marche arrière, même si Samuel Sarr s’est plaint du fait que cette mesure représente une perte de 32 milliards par an pour la Senelec.
Plan ‘’Takkal’’, 628 milliards
Cependant, le duo Samuel/Seydina n’aura duré qu’un an et trois mois. En effet, en octobre 2010, arrive le ‘’sauveur’’. Karim Wade fils du président Abdoulaye Wade hérite du portefeuille de l’énergie par le biais d’un remaniement. S’adressant à Macky Sall et Idrissa Seck passés tous les deux à l’opposition, il affirme : ‘’Je suis venu en tant que pompier pour réparer ce que ces deux anciens Premiers ministres n’ont pas fait.’’ Le ‘’pompier’’ met en place un Plan de restructuration et de relance du secteur de l'énergie dénommé «Plan Takkal». Un plan évalué à 628 milliards de francs sur la période 2011-2014. Rien que pour l’année 2011, il fallait 365 milliards de F Cfa. 220 milliards ayant été déjà acquis, il restait 145 milliards.
Le ministre de l’Economie et des Finances Abdoulaye Diop se tourne alors vers les sociétés de téléphonie pour plus de taxes. Le budget de l’autoroute à péage ainsi que celui du deuxième aéroport à Diass sont mis à contribution. C’est peut-être sur lui que comptait son père Wade quand, en juillet 2010, il promettait la fin des coupures en février 2011 et même un excédent de 30 MW. Mais il n’en fut rien. Et les Sénégalais eurent du mal à percevoir les résultats de ces investissements gigantesques. Au contraire, la Senelec se voit coller des sobriquets comme ‘’coupélec’’ ou ‘’société des ténèbres’’. Les adeptes de l’ironie parlent même de ‘’plan fayal’’.
En mars 2012, une nouvelle alternance est intervenue. Les hommes de Macky remplacent ceux de Wade dans l’administration et dans les sociétés publiques.
A la Senelec, Pape Dieng prend la place de Seydina Kane le 18 juillet 2012. Plusieurs centrales sont annoncées pour diversifier les sources d’énergie et même baisser les prix. L’ex-ministre de l’Energie Maïmouna Ndoye Seck avait même annoncé un excédent de production qui allait permettre au Sénégal de vendre de l’électricité au Mali pendant la nuit. Mais à l’arrivée, les coupures et leurs lots de désagréments sont toujours là. Il faut peut-être préciser que le problème de la Senelec, ce n’est pas seulement de la production et de la liquidité financière. C’est aussi un réseau de distribution vétuste qui sape les efforts de production. Et tant qu’il n’est pas renouvelé, des directeurs seront toujours déconnectés à l’image de Pape Dieng. Le nouveau Dg de la société, Mamadou Makhtar Cissé, sait donc à quoi s’en tenir.