Dakar, 18 juin 2015 (AFP) - L'unique association d'astronomie du Sénégal se focalise sur le croissant lunaire, crucial pour fixer les dates du calendrier musulman, notamment du jeûne du ramadan. Face à l'observation traditionnelle, elle défend une méthode scientifique qui réduirait l'impact des divisions entre les influentes confréries.
Au Sénégal, suivant la lettre du Coran, l'observation du croissant lunaire se fait à l'oeil nu, tâche dévolue par l'État à une Commission nationale de concertation et d'observation du croissant lunaire (Conacocc) qui s'est réunie mercredi soir et a fixé le début du jeûne à vendredi.
Mais une partie des musulmans sénégalais a commencé à jeûner dès jeudi, à l'imitation de l'Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l'islam, ou de pays voisins comme la Gambie, la Mauritanie ou le Mali.
"L'observation du croissant lunaire occupe une place assez importante dans nos activités parce que c'est le sujet qui intéresse le plus les Sénégalais", affirme à l'AFP Maram Kairé, président de l'Association sénégalaise pour la promotion de l'astronomie (Aspa, privée)."Nous essayons depuis plus de cinq ans de faire un communiqué à l'approche des fêtes religieuses pour sensibiliser les populations sur le fonctionnement du croissant lunaire et comment le scruter. On se limite à dire s'il peut être vu ou pas. C'est aux autorités religieuses de prendre la décision" sur les dates, explique M. Kairé.
"L'observation visuelle est aléatoire parce qu'elle dépend des facteurs de la météo, un ciel couvert par exemple", remarque le responsable de l'Aspa, qui utilise notamment le télescope et les calculs astronomiques pour cerner le cycle lunaire.
Au Maghreb, où domine, comme au Sénégal et en Afrique de l'Ouest, le rite sunnite malékite, cette observation empirique est également la norme.
A contrario, en Turquie, pays de rite hanéfite réputé plus libéral et république laïque, les calculs astronomiques qui permettent de prévoir des années à l'avance les dates du calendrier lunaire ont depuis longtemps droit de cité.
- 'A nous de nous adapter' -
"Utiliser les calculs seulement" pour fixer le début ou la fin du jeûne "n'est pas conforme à la charia (loi islamique). La science a des limites et la charia est à la base de tout", a protesté l'imam Ismaïla Ndiaye mercredi soir, lors d'un débat public à Dakar sur l'introduction de ces méthodes scientifiques.
Mais pour Khadim Rassoul Guèye, un autre imam, "on doit se servir de la science pour une meilleure précision".
"La charia ne changera pas d'un iota. C'est à nous de nous adapter", a plaidé l'imam Guèye, également chargé des calculs des temps de prières et du calendrier lunaire à la mosquée du Point E, un quartier résidentiel de Dakar.
Une particularité de l'islam sénégalais, l'influence des puissantes confréries (tidiane, mouride, khadre et layène), dont les guides donnent des instructions à leurs disciples après avoir scruté le croissant lunaire à l'oeil nu, ajoute à la cacophonie.
"Au Sénégal, ce sont les familles (confréries) qui donnent le +ndigel+ (ordre, en wolof) pour jeûner. Et chacune de ces familles a sa propre commission à laquelle se réfèrent ses fidèles", a rappelé l'imam Ndiaye.
"Les principaux marabouts (du pays) sont d'accord sur cette forme" d'observation. "C'est ce que faisait le prophète. Nous sommes toujours sur cette ligne", affirme à l'AFP un membre de la Conacocc sous le couvert de l'anonymat.
"Au temps du prophète Mahomet, ces outils comme le télescope et le téléphone portable n'existaient pas encore, mais Dieu est omniscient et savait tout ça et il a demandé l'observation à l'oeil nu. Les calculs astronomiques amènent des problèmes et des scientifiques musulmans l'ont rejeté", ajoute-t-il.
Mais pour Ahmed Kanté, président du Forum des savoirs et des valeurs (Forsav), une association laïque, "des divergences existent depuis les premières générations (de l'islam) sur la détermination du début de ce mois lunaire, les zones concernées par l'apparition, le recours au télescope et au calcul astronomique".
Selon lui, "les résistances aux changements ne sont pas spécifiques au Sénégal. C'est un problème d'éducation, de culture et même parfois depolitique".
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