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Art et Culture

Interview avec l’artiste plasticien : Kalidou Kassé peint ses 35 ans de carrière
Publié le mardi 9 juin 2015  |  Le Quotidien




«Ma nouvelle collection apporte une réponse aux problèmes de l’Afrique.» C’est la conviction de l’artiste Kalidou Kassé. Le Pinceau du Sahel célèbrera en novembre prochain 35 ans de carrière. Ce sera l’occasion, a-t-il confié, de repartir sur de nouvelles bases et offrir une nouvelle approche dans son art. En attendant, le lauréat du World Master au festival de Corée est en atelier pour proposer aux amateurs d’art une riche collection de 50 œuvres.

Comment préparez-vous vos 35 ans de carrière ?
Je prépare ça sereinement. 35 ans de carrière, cela fait 35 ans d’expérience. Je prépare cet évènement en tenant compte de tout ce que j’ai eu comme expérience durant mon parcours, depuis mes débuts sur le plan professionnel, social, familial. J’es­saie de schématiser tous les thèmes que j’ai eu à traiter. Parce que j’ai traité des thèmes en peinture, graphisme, dessin… C’est la somme de tout cela que je veux présenter et appeler mes amis collectionneurs et autres, qui ont eu à m’accompagner durant ces 35 ans, pour marquer cet anniversaire. Ce sera un évènement artistique, humanitaire et social. Une journée spéciale sera dédiée au social. Je compte également rassembler autour de moi, à cette occasion, tous mes amis qui sont en situation difficile et que j’ai eu à aider pour qu’on partage ensemble cette journée de solidarité. 35 ans, c’est l’âge de la sagesse. Et c’est le moment de poser des actes nouveaux. Pour cet anniversaire de ma carrière, il ne serait pas intéressant de montrer aux gens quelque chose qu’ils ont l’habitude de voir. Je veux surtout leur montrer quelque chose d’artistiquement nouveau.

Ce sera quoi comme nouveauté ?
Je vais présenter des tapisseries inédites avec des dessins inédits. Je veux surtout montrer une nouvelle démarche dans mon travail. J’ai capitalisé beaucoup de choses que je suis en train de synthétiser dans la simplicité. C’est réellement la simplicité que je veux montrer à travers les œuvres, mais sur des thématiques qui interpellent notre conscience collective. C’est d’abord les problèmes de la société. Tout ce que nous vivons au quotidien, notre environnement, nos rapports. Je vous donne un exemple : lorsqu’on organise des élections dans nos pays, il y a des observateurs européens qui viennent superviser, alors que nous n’avons pas les mêmes réalités. J’ai été membre du Cnra et j’ai par expérience vu le regard qui était posé sur notre pays et comment le Sénégal est vu de l’extérieur. On retrouvera cela dans la collection d’œuvres que je prépare. Ce sera une façon de dire qu’il est important que les Africains se prennent en charge. Mais l’on retrouvera aussi d’autres thématiques comme la démocratie, l’environnement, l’insalubrité à Dakar, la dégradation des rapports humains…

Y’a-t-il un thème central ?
Le thème général sera basé sur «Art et économie». Quand on parle d’art et d’économie, tous les secteurs sont interpellés. Ici en Afrique, les gens voient l’art comme une sorte de divertissement. En France ou en Europe en général, quand il s’agit d’art, les gens font des ventes aux enchères et l’on entend des sommes faramineuses. Ce n’est pas encore le cas chez nous. Il faut réussir à montrer que l’art peut véritablement pousser l’économie d’un pays. Nous devrons prouver que l’art est aussi pourvoyeur d’emplois…. Au Sénégal, les gens veulent sortir de l’obscurité. Et je viens de terminer un tableau qui aborde cette thématique «de l’obscurité vers la lumière».

Vous dites vouloir changer de démarche artistique. Cela sous-entend-il que vous ne ferez plus de peinture ?
Bien sûr que ce sera des peintures. Mais sur d’autres supports, d’autres matières. J’ai eu à explorer et incrustrer dans la collection qui sera présentée au public de nouveaux matériaux. J’ai fait comme vous le constatez un usage de perles, de mosaïque, de céramique pour donner du volume à ces œuvres (Ndlr, il prend la peine de nous montrer en primeur ce qu’il a déjà réalisé). J’ai fait une grande œuvre qui fait 2,5 mètres et beaucoup d’autres choses qui sont inédites que le public n’a pas encore vues. Je les garde jalousement jusqu’à l’exposition anniversaire pour que les gens les découvre. J’ai travaillé sur la fracture numérique et j’ai pris des éléments numériques que j’ai intégrés dans des tableaux. C’est la somme de tout cela qui a amené une nouvelle expérience. Je suis même en train de voir comment introduire d’autres matériaux pour enrichir la valeur d’une œuvre d’art.

Dans la nouvelle collection que vous réalisez actuellement, l’on remarque des empreintes de pieds, de mains… Quel sens donnez-vous à cela ?
Ces empreintes me renvoient aux traces que j’ai laissées durant ces 35 ans de carrière. Dans la vie, il y a des moments de joie, de bonheur, de paix, mais aussi de difficultés. Ce sont ces traces que je peins dans ces œuvres. Dans cette toile (Ndlr, il la montre), il y a une empreinte de main. Mais il y a aussi le Jeu de dame. Pour montrer comment notre société fonctionne sur des intérêts. C’est dommage, mais les gens ne sont plus solidaires. Personne ne fait rien actuellement sans intérêt. Il y a un recul de nos valeurs. Et je fais une œuvre dans ce sens pour interpeller les consciences. Les empreintes, c’est la main et le pied. Et là où le pied ne peut aller, la main peut aller et vice-versa. L’empreinte de la main indique aussi tout ce qu’on aura fait ici bas. Et si on disparaît, on dira voilà ce qu’il a fait. C’est cette empreinte que j’essaie de représenter définitivement. Mais il a aussi représenté dans ces œuvres trois lumières : celle de notre cœur, de notre esprit et de notre chemin.

Dans cette nouvelle collection que le public n’a pas encore vu (Ndlr, il a réservé la primeur au journal Le Quotidien), vos peintures sont réalisées avec de l’acrylique sur toile. Mais au premier regard, on dirait que c’est de la tapisserie. Est-ce un retour à votre première passion : la tapisserie ?
Justement ! Vous avez vu très juste. C’est ce qui fait la base de ma nouvelle démarche. C’est un retour à la tapisserie. Mais nous avons inversé la tendance. Avant, on partait du carton de la tapisserie pour aller vers la tapisserie. Mais moi j’essaie de ramener la tapisserie à la peinture… Et je suis très satisfait du résultat. Car quelqu’un est passé ici, et après l’avoir vu, m’a dit : «Ça c’est de la tapisserie.» Et je lui ai dit non ! C’est de la peinture. Donc, après avoir travaillé dans la solitude dans mon atelier, le regard de l’autre est venu me prouver que ma démarche est accrocheuse. Je suis actuellement dans la tendance de la tapisserie vers la peinture.

Où, quand et combien d’œu­vres préparez-vous pour cette grande exposition des 35 ans de carrière ?
Il y aura en tout une cinquantaine d’œuvres. Et l’exposition est prévue le 20 novembre prochain au musée Théodore Monod. Elle sera présidée par le ministre Mbagnick Ndiaye qui m’a reçu hier (Ndlr, mercredi dernier), et qui m’a dit que cette manifestation devrait même se faire depuis longtemps. Il a estimé, à l’instar d’un groupe d’amis porteurs de cette initiative, que je méritais cet hommage après 35 ans de carrière. En réalité, l’idée a germé dans la tête de mes amis après que je sois nominé par le Magazine de l’Afrique parmi les 100 Africains les plus influents. Ils m’ont dit : «C’est vrai que tu as reçu de nombreuses distinctions à travers le monde dont le World master décerné par la Corée. Mais il faut que nous célébrons tes 35 ans de carrière.» Et j’avoue que cette célébration de mes 35 ans de carrière est très importante pour moi. Car lorsque le Sénégal me célèbre, c’est le monde qui me célèbre. Et je suis très content que ce soit le musée de l’Ifan qui accueille cette initiative. Ce sera l’occasion d’ouvrir le débat sur divers thématiques. Nous devons discuter de nos problèmes, de l’évolution de l’art, ses problèmes et trouver ensemble des solutions adéquates. L’évènement qui a également pour parrain le ministre du Tourisme et des Transports aériens, Abdoulaye Diouf Sarr, est placé sous la présidence de Macky Sall, président de la République et protecteur des arts et des artistes.

A part l’exposition-anniversaire, il y aura quoi ?
Il y aura beaucoup de tables rondes qui vont s’étaler sur le temps de préparation de l’évènement et même après. Nous allons discuter de l’évolution de la culture dans notre pays, mais surtout voir comment valoriser l’art dans l’économie. Nous allons évoquer l’amélioration des conditions des artistes. Ce sera surtout le moment d’interpeller l’opinion sur beaucoup de faits de société. Aujourd’hui, la pauvreté qui sévit fait que nous ne prêtons plus attention aux personnes qui sont dans la souffrance. Regardez la situation des talibés dans la rue. Tout cela constitue des problèmes qui nous interpellent. Ce sera le moment de prouver que l’art sert aussi à faire des plaidoyers. Car il faut plus d’humanisme dans notre monde.

Vous avez fait beaucoup d’expositions à travers le monde. Mais en 35 ans, laquelle vous a le plus marqué ?
(Rire). Ça c’est une question-colle. Il faut que je réfléchisse. Je peux citer l’exposition des Artistes réunis. Quand on fêtait nos 20 ans d’anniversaire des Artistes réunis. C’était au musée de l’Ifan (Ndlr, Théodore Monod). Je me souviens que le Président Abdou Diouf était venu avec son épouse Elisabeth pour la cérémonie de vernissage. Et sur les photos, je me suis rendu compte après qu’il avait à ses côtés Me Abdoulaye Wade qui était à l’époque dans son gouvernement. Cela m’a beaucoup marqué, car c’était une très grande exposition et il y avait tous les ambassadeurs accrédités au Sénégal.

Parmi les œuvres réalisées et qui ont finalement trouvé preneur, laquelle vous a le plus marqué ?
J’ai réalisé une œuvre intitulée Mieux vaut la paix que la guerre. Cette œuvre a été présentée récemment au Warc. En regardant les situations de conflits avant les élections, cela m’a inspiré cette œuvre majeure. Cette œuvre, je l’aime beaucoup. Il y aussi un tableau que j’ai présenté à l’exposition Universelle à Hanover en Allemagne. Et 7 Allemands ont voulu acheter le même tableau. C’était l’ambassadeur d’Allemagne au Sénégal en 2000 qui m’a appelé personnellement pour ça. Finalement, celui qui l’a acheté m’a permis de développer un réseau de plus de 30 personnes, des collectionneurs allemands… Il y a également cette œuvre que j’ai réalisée à la gare maritime, Les portes de l’espoir, et qui a fait l’objet de débats. Cette œuvre a fait parler d’elle sur une longue période. Et je pense que cela est positif.

Vous avez en 35 ans également beaucoup fait dans l’humanitaire. Parmi les œuvres sociales réalisées, laquelle fait votre fierté ?
Ma grande fierté, c’est tout à l’heure même (Ndlr, jeudi dernier) quand les albinos sont venus me voir. Leur président m’a informé que le handicapé Abdoulaye Seydi que j’ai eu à former dans mon école Taggat, et qui peint aujourd’hui avec ses orteils, a eu un stage à l’Agence de informatique de l’Etat (Adie). Je trouve cela magnifique. Abdoulaye ne travaille qu’avec ses orteils. Et il est parvenu à se former à l’art, à l’outil informatique, jusqu’à pouvoir s’insérer professionnellement. C’est vrai qu’il reste chez lui, d’après ce que sa maman m’a expliqué. Mais on lui donne le travail à faire et il le fait. C’est ma plus grande fierté… Ma fierté, ce sont aussi ces 150 talibés que j’ai eu à former à Thiès au métier de la calligraphie…

Après 35 ans de carrière, qu’est-ce qui reste encore à prouver ?
Il reste énormément de choses à prouver. La vie offre toujours des idées pour des avancées. J’ai voulu réaliser cette école d’art visuelle Taggat, et j’en suis parvenu. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes y sont formés. Et je veux désormais que cela soit une formation transversale. Ils se font former en peinture, graphisme et calligraphie, en tronc commun. Ils font aussi la caméra, la vidéo, l’infographie 3D et cela est bien parti. Ce qui reste également, c’est d’interpeller notre société sur les défis qui nous attendent. Nous devons affronter les difficultés, nous prendre en charge et voir ce qu’on peut apporter comme pierre au lieu de passer notre temps à jeter des pierres.

Quels conseils vous avez pour les jeunes artistes après votre élogieux parcours ?
Le conseil que j’ai toujours donné aux jeunes, c’est de ne pas se presser dans la vie. Et d’être toujours honnête et sincère dans ce qu’ils font. Je leur demande de toujours passer à l’action en montrant ce qu’ils font, leurs œuvres… C’est aux artistes aujourd’hui qu’il revient de donner des solutions aux problèmes de nos sociétés. Nous sommes des leaders d’opinion et nous devons donner notre apport à la marche de ce continent.
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