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Terres de l’aéroport Dakar: Zone foncièrement critique
Publié le mardi 9 juin 2015  |  Enquête Plus
Aéroports
© Autre presse par DR
Aéroports International Léopold Sédar Senghor du Sénégal




La démolition des habitations derrière la Cité Tobago, jeudi passé, est la résultante d’un problème foncier qui s’est emmêlé dans un écheveau presque inextricable. Entre réquisitions de terres pour utilité publique, revendications d’une communauté lébou invoquant la préemption, errements de l’administration domaniale, et la future libération de l’emprise aéroportuaire ; les terres de l’aéroport suscitent des convoitises de plus en plus grandes.



‘’Les gens sont obnubilés par les Almadies’’, tonne Oumar Guèye, délégué du quartier Malick Sy de Ouakam. Engoncé dans un fauteuil de son salon et consultant par intermittence l’un de ses téléphones portables, le conseiller du Jaraaf Youssou Ndoye dénonce de sa voix caverneuse les dérives foncières dont cet arrondissement fait l’objet, sa zone aéroportuaire plus précisément.

A l’extrémité de la presqu’île du Cap-Vert, le monument de la Renaissance trône tranquillement sur cette partie de Dakar. En contrebas, la mosquée de la divinité ainsi que les installations et structures médicales, commerciales, hôtelières, résidentielles, finies ou en chantier, bourgeonnent. Elles sont à peine titillées par le ressac des vagues de l’océan et la légère brise marine qui souffle sur les côtes de Ouakam. Derrière ce calme apparent, existe pourtant un contraste saisissant. Des oppositions, souvent violentes éclatent ici.

La cause ? Les convoitises de l’assiette foncière du Taanka, le regroupement des trois collectivités lébou que sont Ouakam, Ngor et Yoff. La recrudescence des problèmes fonciers dans cette partie du Cap-Vert est préoccupante. Les évènements se suivent à un rythme critique. Les affrontements entre factions rivales à Ouakam en février, le violent face-à-face entre habitants de Ngor et forces de l’ordre à la mi-mai, et les démolitions des habitations près du mur de l’aéroport jeudi dernier (4 juin)... ont tous un dénominateur commun : les réserves foncières de la zone aéroportuaire. Si pour le premier cas les terres se situent près du monument de la Renaissance africaine, les deux derniers concernent la zone aéroportuaire.

La délocalisation annoncée de l’aéroport Léopold Sedar Senghor vers AIBD de Diass suscite l’intérêt d’une communauté lébou qui revendique la propriété de ces terres. Le patrimoine foncier de l’aéroport de Dakar-Yoff comprend à la fois les terres de culture acquises auprès de certaines de ces familles sénégalaises, les terrains militaires dits de l’aéronautique et les biens immobiliers résultant de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Le principal terrain de l’aéroport de Dakar reste le T.F 4407/DG du 15 avril 1944, acquis suite à une réquisition en date du 22 juin 1943 et pour une surface globale de 471 hectares, selon Djibril Ba, cadre aéronautique et expert en droit des affaires.

Environ, une centaine de dignitaires lébous ont cédé, moyennant 40 francs le mètre carré en 1943 et pour un montant global, à l’époque, de 47 millions 856 mille 640 francs métropolitains soit 23 millions 928 mille 320 FCfa. Pour le dignitaire ouakamois, les problèmes se sont accentués avec le régime libéral qui a fait fi du droit à la préemption à l’expiration de la réquisition. ‘’Abdoulaye Wade voulait libérer une partie de l’aéroport. On avait invoqué l’utilité publique mais au moment de libérer, il fallait au moins trouver une solution consensuelle. D’une part, appliquer le droit à la préemption pour les gens à qui on avait pris ces terres et d’autre part en garder pour le patrimoine de l’Etat, car quoi que l’on dise, le Sénégal est un et indivisible’’, analyse Oumar Gueye. ‘’Au lieu de cela, ces terres du titre foncier 4407 ont été cédées à des religieux, à des gouverneurs, à des agents des impôts et domaines, de l’Urbanisme...’’, poursuit-il.

Eviter le précédent de la réserve foncière de la Foire

Pour des besoins d’allongement de la piste principale 01/19, il a fallu procéder, en 1973, à une grande opération d’expropriation pour cause d’utilité publique, portant sur de vastes superficies situées aussi bien vers Tonghor que du côté de la Voie de dégagement nord (VDN) actuelle. Ce sont de grandes surfaces situées sur l’ancienne " bande verte " et également toutes les terres situées à l’Ouest de la VDN et dont l’occupation actuelle a fini par encercler la balise du VOR (VHF Omnidirectionnal range, aide à la navigation aérienne). Les résidents dont les habitations ont été détruites sont blasés de tant de considérations techniques. Après le passage des bulldozers et autres tracteurs, la cité porte toujours les stigmates de la démolition initiée jeudi dernier par les autorités. Des maisons détruites, il ne reste plus que quelques rares murs qui ont résisté à la furie des engins mécaniques. On affrète des camions ou des charrettes pour charger les meubles. Des complaintes fusent des groupes de résidents qui se sont réunis pour constater les dégâts.

Et dans cette incompréhension généralisée, un questionnement surgit, immuable, récurrent, et sans réponse depuis jeudi passé. ‘’Comment a-t-on pu en arriver là ? se demande Matar Sarr, président du collectif des habitants. Désignant du doigt les tas de gravats qui se sont amoncelés devant ces maisons détruites par les bulldozers jeudi dernier, l’amertume est à son comble. Oumar Guèye aussi est intrigué par l’inertie des autorités quant à la démolition des ces maisons. ‘’Peut-être qu’il y a un problème de dispatching mais s’il y a eu avis favorable de la Commission de contrôle des opérations domaniales, s’il y a branchement au réseau de la SDE et de Senelec sur une zone supposée être non-aedificandi, ça pose problème ’’, dénonce-t-il. Le ministre du Tourisme et des Transports aériens, Abdoulaye Diouf Sarr estime que ces actes sont marqués du sceau de l’illégalité.

‘’Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Une enquête est en cours pour identifier les gens qui ont vendu ces terrains qui ne leur appartiennent pas. Chacun doit assumer sa responsabilité. Quand j’ai vu que le mur de l’aéroport était démoli et les terrains morcelés et vendus, j’ai décidé d’intervenir. Maintenant, chaque organisme de l’Etat doit jouer son rôle pour que la lumière soit faite à ce sujet. Tout ceci entre dans le cadre d’une philosophie de la rupture. Les gens ne peuvent plus faire tout ce qui leur passe par la tête’’, déclarait-il au lendemain de la démolition des habitations derrière la Cité Tobago. Mais la suspicion de la communauté lébou demeure surtout avec le précédent de la réserve foncière de la Foire. Avec la délocalisation de LSS vers Diass, le VOR va être supprimé pour le Doppler.

C'est-à-dire qu’une flotte légère va désormais atterrir à Yoff et son trafic aérien considérablement réduit. Ceci implique qu’une partie de ces terres va être libérée par un décret de délimitation de l’emprise aéroportuaire. Dans ce cas de figure, le secteur libéré ne sera plus non aedificandi, elle devient habitable. Le délégué du quartier Malick Sy de Ouakam est clair, quant à l’utilisation future de ce patrimoine foncier : ‘’Maintenant que la réquisition est terminée ; si on devait libérer une partie de l’aéroport pour un partage nébuleux comme ce fut le cas à la Foire, il serait hors de question que les résidents du Taanka l’acceptent ’’, prévient-il.
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