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Aéroport de Dakar: Cambiste, métier à risque
Publié le lundi 8 juin 2015  |  Enquête Plus
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© Autre presse
La CENTIF travaille sur des dossiers de blanchiment d`argent
La CENTIF travaille sur des dossiers de blanchiment d`argent




Après l’assassinat de Mbaye Ndour et Alla Faye en janvier 2008, les récents développements dans le vol à l’arrachée de 163 millions de Fcfa devant l’établissement Orabank remettent au goût du jour les périls du métier de cambiste. A l’aéroport international LSS, l’activité est moins frénétique mais pas moins risquée.



Alé Lo a l’habitude de faire la navette entre la devanture de l’aéroport où il fait office de rabatteur et les locaux des cambistes qui se situent à l’intérieur du terminal. Devant le signe d’un conducteur d’une Toyota Rav 4 noire, voulant faire le change, il se précipite vers l’habitacle du véhicule, disputant le conducteur d’un âge avancé avec un autre rival. Ce deuxième client est en fait la première bonne affaire de la journée puisque le précédent était quelqu’un de la famille pour lequel il a consenti à aller en deçà du taux de change habituel.

‘’Notre pourcentage est de 5 francs par valeur nominale, c'est-à-dire que pour 1 euro acheté ou vendu, on perçoit 5 centimes ou 5 F Cfa. Ce qui fait que nous percevons 500 F Cfa pour le change de 100 euros (65 500 F Cfa) ’’, confirme-t-il, devant la pharmacie de l’aéroport. Des taux plus incitatifs que ceux de la banque où l’on ne perçoit que 64 000 F Cfa pour 100 euros, qui poussent beaucoup à faire le change chez ces monnayeurs. Dans le sens inverse, ils vendent 66 750 F Cfa à 100 euros. Bien que son expérience de cambiste depuis 2001 lui permette de reconnaître un potentiel client, le jeune Alé aborde systématiquement chaque passant en comptant sur la providence. A l’affut devant le panneau métallique indiquant le parking payant, ses explications ne l’empêchent pas d’avoir un œil alerte sur les voitures qui tournent devant le rond-point de l’aéroport international Léopold Sedar Senghor de Dakar.

A 10 heures passées, l’ambiance baigne dans une certaine torpeur. Des agents d’entretien s’affairent autour d’une bouche d’évacuation pour vidanger des eaux usées stagnant devant l’entrée du parking.

Près d’une cinquantaine de cambistes officient à l’aéroport de Dakar. Anciens marchands ou antiquaires pour la plupart, ils se sont reversés dans un métier peu éreintant, qui paie bien, mais à leurs risques et périls. Tous les maux de leur travail proviennent de son caractère informel. ‘’Nous exerçons cette activité de manière irrégulière car nous n’avons pas d’agrément. On nous tolère dans le terminal c’est tout’’, déclare-t-il. Les saisies aléatoires des gendarmes sont redoutées par ces travailleurs d’un genre particulier.

Si un monnayeur est pris avec 1 million de F Cfa, 400 000 vont servir de taxe. Les 600 000 restants sont mis sous scellé et rendus après paiement d’une caution au Tribunal, explique Alé Lô. Un autre changeur, qui préfère garder l’anonymat, confie même que ses 2 millions dorment toujours dans les caisses des Douanes après une descente de la brigade de l’aéroport lors du sommet de la francophonie. ‘’En 2013, j’ai été déféré pour présence irrégulière à l’aéroport avec 700 000 F Cfa, puis présenté au juge et acquitté. En tout, j’ai fait l’objet de 14 mandats de dépôt, mais je n’ai jamais purgé de peine car je ne suis pas en infraction avec la loi’’, lance-t-il d’un air triomphant. Des tracasseries qui ne l’empêchent pas de continuer à se livrer au change : ‘’Parce que c’est un travail fructueux. Je gagne plus ici que dans n’importe quelle autre activité’’, se défend-il à la question de savoir pourquoi il tient à ce métier.

Des structures formalisées pour le change sont bien visibles dans le terminal, mais les guichetiers refusent formellement de se prononcer en l’absence du chef.

Le risque le plus prégnant est dans la convoitise que suscitent leurs liasses de billets. Beaucoup de personnes malintentionnées tournent autour d’eux soit pour leur propre compte, soit de connivence avec d’autres cambistes. Cette dernière possibilité est envisagée même chez les pros du métier ‘‘C’est nous dans nous’’, lâche le cambiste originaire de Mbour. ‘’Que ce soit à (l’avenue) Ponty ou ici à l’aéroport, il n’y a qu’un cambiste pour savoir qu’untel est en possession d’une telle somme’’, poursuit-il.

Les souvenirs de deux leurs congénères de Sandiniéry assassinés et découverts dans la malle d’une voiture en janvier 2008, et le récent vol à l’arrachée dont ont été victimes deux autres cambistes devant Orabank, sont évoqués avec beaucoup de commisération et de colère. Depuis lors, quelques dispositions sont prises pour éviter de tomber dans le piège de faux-monnayeurs. L’anonyme qui dit avoir refusé d’acheter 3 000 dollars avec des ressortissants ouest-africains d’un pays anglophone à leur domicile à Nord-foire, se fixe une règle très simple : ‘’Je ne sors jamais du secteur de l’aéroport’’, dit-il.

Mais pour les grandes transactions, plus de 20 millions FCfa, l’union fait la force. ‘’Auparavant, le cambiste se la jouait seul pour une telle somme. Maintenant qu’on sait que c’est risqué, on se cotise. Si l’échange se fait en voiture, nous mettons quatre accompagnants dans un véhicule, autre que celui du monnayeur ; ils suivent à distance pour intervenir quand ça semble dégénérer’’, explique Alé Lô. Pareille démarche est adoptée si le change se fait dans une maison ; les accompagnants attendent devant la demeure du client. Histoire de ne pas tenter le diable.

CHANGE ET FAUX BILLETS

La vigilance est de mise

L’histoire des faux billets de banque dans laquelle est impliqué le chanteur Thione Seck occupe les esprits, mais surtout les commentaires et les railleries dans le milieu. La préoccupation s’en arrête là. Les cambistes disent être sûrs de ne pas pouvoir se faire arnaquer car disposant du matériel pour discerner le bon blé du mauvais.

‘’Nous avons un appareil portatif, un type de scanner qui nous sert à détecter les faux billets. On les passe systématiquement au crible avant de procéder aux opérations’’, confie Alé Lo. Selon lui, la vigilance sur l’authenticité des billets est l’une des qualités premières des monnayeurs de l’aéroport. ‘’Nous sommes obligés puisque nous avons tous les types de clients. Je n’ai pas encore eu vent d’un cambiste qui s’est fait avoir depuis que j’opère là’’, déclare-t-il.
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