L’ouverture du procès de l’ancien homme fort de N’Djamena, en juillet prochain, promet d’être ‘’à sens unique’’. Hissein Habré qui faisait face au juge burkinabé Gberdao Gustave Kam, hier, pour son interrogatoire d’identification au siège des Chambres africaines extraordinaires (Cae), n’a pas coopéré. Par conséquent, l’usage de la force a été nécessaire pour cette entrevue, selon son avocat.
Motus et bouche cousue. L’ancien président tchadien Hissein Habré ne déroge toujours pas à la règle qu’il s’est fixée : l’omerta totale dans la poursuite judiciaire dont il fait l’objet. ‘’On lui a simplement posé les questions qui étaient nécessaires sur son identité, ou s’il avait un avocat.... A toutes les cinq questions qui lui ont été adressées, il n’en a répondu à aucune’’, souligne son conseil Me Ibrahima Diawara. Une attitude qui transparaît jusque dans son habillement. Drapé d’un grand boubou blanc, la tête enturbannée ; l’ancien dirigeant ne laissait entrevoir de son visage que ses yeux surmontés de lunettes, et ses mains levées en signe de victoire à ses quelques rares sympathisants venus assister à l’audience d’identification hier. Il est 10 heures 35 quand l’ex-dirigeant tchadien sort de la salle d’attente du siège des Chambres africaines extraordinaires, à la Cité Keur Gorgui. Le prévenu s’est engouffré dans une Peugeot 307 sous bonne escorte des éléments pénitentiaires, pour regagner la prison du Cap manuel, derrière le pick-up blanc de l’administration pénitentiaire.
Son face-à-face avec le président des Cae des assises, Gberdao Gustave Kam, a été expéditif. Vingt minutes et 5 questions qui n’ont pas trouvé réponse. Le prévenu, fidèle à sa ligne de défense, a obligé la puissance publique à user de la force pour le faire comparaître. ‘’Je ne dirais pas convocation, parce qu’il a été cueilli aujourd’hui au Cap manuel (prison) par la force, il a été porté par la force par les éléments pénitentiaires pour le faire comparaître devant le président des Chambres africaines des assises’’, dénonce son avocat. Ce dernier estime qu’en l’absence des journalistes, son client aurait été traîné de force au premier étage du bâtiment pour se faire entendre. ‘’Ils l’ont porté de la prison à la voiture et quand la voiture est arrivée ici ils l’ont porté pour le mettre dans la salle (d’attente). Quelqu’un vous dit qu’il ne comparaît pas, vous voulez l’amener par la force, ils l’ont pris comme un bébé. Mais comme la presse est là, ils n’ont pas osé réitérer leur acte en le portant devant les caméras pour l’amener au premier étage. Ils ne l’ont pas brutalisé toutefois’’, poursuit Me Diawara.
Gberdao Gustave Kam est finalement descendu de son bureau pour entendre le prévenu. ‘’Comme à son habitude, le président Habré est resté silencieux à toutes les questions et interpellations des Cae des assises’’, souligne son avocat.
‘’Ce silence n’est pas de l’évitement’’
Contrairement au procureur général Mbacké Fall qui voulait faire comparaître Hissein Habré à visage découvert, le juge burkinabé n’a pas fait état de son turban lors de l’interrogatoire, confie son avocat. Cet interrogatoire d’identification devait se tenir cinq jours avant l’ouverture du procès, le 20 juillet. Mais le juge burkinabé a expliqué qu’il appliquait les standards du procès international en décidant de le faire un mois avant pour qu’on puisse être dans les conditions de déroulement normal d’un procès. En ce qui concerne le silence observé par son client, l’avocat assure qu’il ne s’agit pas d’une stratégie d’évitement. ‘’Cela résulte de ce qui s’est passé dans le fonctionnement des Cae. Durant l’instruction, on s’est rendu compte que cette affaire ne relevait pas des règles d’un procès équitable. On avait dit qu’on allait instruire pour les auteurs et les responsables des crimes qui se seraient passés au Tchad. Mais on a constaté que l’Instruction a été faite conformément aux instructions du ministre de la Justice (sénégalais)’’, déplore-t-il.
Revenant sur la longue liste de personnes ayant refusé de comparaître, le conseil de soupçonner les démarches partiales qui motivent le désir de son client de ne pas se prêter au jeu. ‘’Idriss Déby a été convoqué, le ministre (Me Sidiki Kaba) s’y est opposé. A chaque fois que les juges voulaient entendre certains inculpés au Tchad, soit le ministre, soit les bailleurs de fonds du procès, se sont opposés. Il est même arrivé que Bandum Banjum, poursuivi ici par les Chambres, réfugié politique en France (bailleresse du procès) ait refusé de comparaître. Ce sont ces résultats qui nous font comprendre qu’il n’y a pas lieu à participer à ce qui n’est pas un procès’’, lâche-t-il.
Hissein Habré, 73 ans, placé en garde-à-vue en juin 2013 est poursuivi par les Chambres africaines extraordinaires des assises. Il est accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis entre 1982 et 1990.