L’affaire Thione Seck, placé hier sous mandat de dépôt, dévoile les faiblesses d’une société qui ne s’interroge jamais sur l’origine de la fortune de certains concitoyens acquise de façon exponentielle. Et sans justificatifs de revenus licites.
Elles seraient bénies par Crésus qui ne leur refuse rien. Depuis quelques années, le Sénégal enfante de nouvelles fortunes sorties presque des cuisses de Jupiter. Guidées sans doute par une main invisible, elles s’élèvent au-dessus de leurs conditions sociales sans transition ou sans support professionnel et deviennent des millionnaires ou des milliardaires célébrés lors des grands rendez-vous musicaux ou culturels.
Aujourd’hui, ils sont nombreux à tomber dans les travers du destin, à se retrouver à gauche de la belle destinée qui leur a tout offert. L’affaire Thione Seck est un miroir de la société sénégalaise. Quelles leçons peut-on tirer de ce dossier ? Elle est le reflet d’une société happée par la course à l’argent. Dans ce pays, la réussite se mesure à travers le pouvoir d’achat, la beauté de la bagnole ou d’une villa. Au finish, ils construisent souvent leur destin sur des fragilités avant que leur réputation ne s’écroule comme un château de cartes.
On est jamais froid dans nos analyses. Alors que l’évidence crève les yeux : en réalité, la plupart des millionnaires célébrés pendant les soirées mondaines n’ont pas de revenus connus qui justifient ou expliquent la conduite de leur train de vie dispendieux. Au Nigeria, les milliardaires ont des activités publiques qui peuvent expliquer la licéité de leur fortune. A la tête des empires industriels, ils peuvent se permettre le luxe de voyager en jet privé ou payer 100 milliards F Cfa pour régler à l’amiable un contentieux avec une puissante confrérie maraboutique au Sénégal.
A l’opposé de notre pays, on a une race de richards autoproclamés sans aucune assise entrepreneuriale. Mais, une clique qui a construit sa fortune avec des «cadeaux» ou à travers des activités délictuels. Les revenus de ces millionnaires naissants sont facilement «traçables» : l’industrie musicale, qui n’a jamais été florissante, est en crise, les places musicales sénégalaises n’offrent pas suffisamment d’espace pour offrir une épaisseur financière à ces étoiles qui brillent dans l’obscurité. A l’exception de Baba Maal ou Youssou Ndour, quel artiste peut revendiquer le parrainage d’une mission de production de renommée internationale ? Personne sans doute ! Dans nos salons, on préfère saluer la providence de leur destin. Sans jamais oser pousser la réflexion jusqu’au bout de sa logique funeste. Ceux qui sont lucides, osant utiliser leur bon sens, sont traités d’aigris ou de ratés qui perdent la tête devant le succès des autres, sont rabroués.
Anniversaires ou rendez-vous de blanchiment d’argent
Que peut-on faire ? En apparence, nada ! Car, ce sont les hautes autorités de ce pays qui sponsorisent le «lembeul» des gros billets pendant les soirées anniversaires des musiciens sénégalais. Ils ont raison de multiplier les anniversaires : car ce sont des instants de blanchiment d’argent grâce à la complicité de l’Etat gouverné sur la base de projections électoralistes... Dès l’éclatement de l’affaire Thione, ce sont les plus hautes personnalités de l’Etat, qui sont les premières à se précipiter dans les locaux de la Section de recherches pour essayer de trouver des compromis. Sans s’en rendre compte, elles préfèrent faire passer à pertes et profits les intérêts supérieurs de ce pays pour la sauvegarde d’une amitié fondée sur la défense d’intérêts crypto-personnels.
Que faire face à cette situation ? A chaque fois, le problème se pose dans les mêmes termes. Hier, le chef de l’Etat, en marge d’une conférence interministérielle sur le «Renforcement de l’Etat de droit et lutte contre la corruption en Afrique», réaffirmait son engagement à lutter contre l’impunité. Malgré les pressions. Il dit : «J’ai la volonté ferme de poursuivre le combat contre l’impunité et la corruption au Sénégal. Ce ne sont pas les sirènes et les bruits que cela va provoquer qui me feront arrêter.» Il devra s’armer de courage et être imperméable aux pressions des lobbys qui ont infesté l’Economie nationale. Hier, Tahibou Ndiaye, ex-directeur du Cadastre, a fait une révélation qui fait lever le cœur, devant le prétoire de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) : «Ceux qui ont occupé ce poste de directeur général du Cadastre sont devenus milliardaires.» On peut s’étrangler de rage devant cet aveu d’un fonctionnaire qui confirme que l’Etat est un moyen d’enrichissement unique. A cause de l’impunité.
Que sont devenus Cheikh Bethio et Luc Nicolaï ? Ils ont été recyclés dans la vie publique grâce à la complicité des médias. Comme si de rien n’était. En vérité, l’affaire Thione Seck montre la profondeur des efforts à consentir pour retrouver le chemin de la vertu.