Le gouvernement du Sénégal n’a pas mis du temps pour répliquer à l’Avis N°4/2015 (Sénégal) adopté le 20 avril 2015, du groupe de travail des Nations unies. Avis qui qualifie la détention de Karim Wade d’‘’arbitraire’’ et qui demande de « prendre les mesures nécessaires pour remédier au préjudice subi, en prévoyant une réparation intégrale ». Dans un document en date du 29 mai 2015, intitulé ‘’Note du gouvernement du Sénégal au Groupe de travail sur la détention arbitraire’’, un ensemble d’arguments de droit et de ‘’bon sens’’, de fond et de forme, sont alignés, prenant le contre-pied du groupe de travail des Nations unies.
L’une des caractéristiques de l’Avis rendu par le groupe de travail des Nations unies, est le non-respect assumé du principe du contradictoire. L’Avis rendu l’indique clairement. ‘’Le groupe de travail a communiqué au gouvernement le 25 juin 2014 l’ensemble des informations reçues de la source. Le gouvernement disposait alors de 60 jours pour répondre. Ce délai expirait le 24 août 2014, or cette réponse n’a été soumise au Secrétariat du Groupe de travail que le 26 août 2014, sans que le gouvernement n’ait sollicité des délais supplémentaires ni apporté quelque explication. En conséquence, la réponse du gouvernement ne saurait être admise au dossier et prise en compte dans l’appréciation du groupe de travail’’. Une décision que le gouvernement du Sénégal a eu du mal à digérer. Le ton est rugueux. ‘’L’Etat du Sénégal dénonce avec vigueur le traitement déséquilibré, incohérent, voire tendancieux et donc inacceptable que le Groupe a réservé à la cause dont il est saisi’’.
Colère mais d’abord, surprise. En effet, si le gouvernement confirme bien que ‘’les éléments de réponse apportés par le Sénégal au résumé du cas soumis au Groupe de Travail et transmis par son Président-Rapporteur par lettre datée du 25 juin 2014, ont été communiqués au dit Groupe par la Mission Permanente du Sénégal auprès de l’Office des Nations unies à Genève le 26 août 2014, soit le lendemain de l’expiration du délai de deux mois retenu par le Groupe de Travail’’, c’est ‘’contre toute attente’’, que ‘’le Groupe de Travail (…) a pourtant décidé d’écarter la réponse du Sénégal en s’appuyant sur le motif qu’elle serait parvenue à son secrétariat le lendemain de l’expiration de ce délai’’. Or, le fait de n’avoir pas pris en compte sa réponse est une faille majeure dans la démarche du groupe de travail, dévalorise l’avis, accuse le gouvernement. ‘’Rien dans les « Méthodes de travail » de ce Groupe n’invite à une telle rigidité, parfaitement contreproductive’’. Le document indique que ‘’dans la pratique, les Méthodes de travail du Groupe se sont plutôt accommodées (Ndlr : dans le passé) d’une application la plus souple…’’.
Le Burundi cité en exemple…
Et de citer le cas récent du Burundi qui a bénéficié d’une prolongation de délai. ‘’Cet accueil s’oppose totalement (…) au sort qui a été celui d’autres réponses gouvernementales comme dans l’Affaire François Nyamoya qui a fait l’objet de l’avis n° 17/2012 (Burundi) adopté par le Groupe de travail à sa 64ème session, 27-31 août 2012’’. Le Groupe de travail, au paragraphe 25 de cet avis, avait recueilli la réponse de l’Etat burundais, présentée hors délai, en ces termes : « Bien que le Gouvernement du Burundi n’ait pas répondu à la communication du Groupe de travail dans les délais prévus selon les méthodes de travail du groupe, le Groupe de travail a décidé, à titre exceptionnel, de prendre en compte les éléments mis à la disposition du Groupe avant sa délibération. » Pour le gouvernement du Sénégal, c’est du deux poids, deux mesures que rien ne peut expliquer. Plus grave, avance l’Etat du Sénégal, ‘’le Groupe de travail a déclaré dans l’avis concernant le Sénégal (paragraphe 23) que jusqu’à sa délibération, il continuait à être alimenté en informations par “la source” (le plaignant)’’.
Dans ces conditions, poursuit-il, ‘’le Groupe de travail, soucieux du respect du principe du contradictoire, aurait dû œuvrer pour recueillir la réaction du Gouvernement au sujet de ces informations ou, tout au moins, écarter toute nouvelle information provenant de la source ou de plusieurs associations ou organismes privés désireux, comme ce fut le cas, d’influer sur le cours du traitement de la requête soumise au Groupe’’. Conséquence : ‘’le Groupe de Travail, contre toute attente (…), a préféré garder un silence le plus complet, neuf mois durant, sur la suite qu’il a entendu réserver aux réponses du Gouvernement sénégalais qui n’aura même pas reçu le plus simple des « accusés de réception » de ses réponses.
Les griefs ne sont pas que procéduraux. Dans le fond, l’Etat relève des ‘’dysfonctionnements’’ en série. Comme le fait ainsi consigné dans le document que ‘’le Groupe de travail a (…) méconnu les limites de sa compétence qui consiste à rechercher le caractère arbitraire ou non de la détention d’une personne et non à se substituer à l’appareil judiciaire national qui a eu à se prononcer, dans toutes ses composantes saisies et à tous les niveaux de la procédure, sur des recours répétitifs dont l’unique objet était d’empêcher le déroulement normal du procès’’.
Les reproches vont jusque dans la volonté délibérée de fermer les yeux devant des éléments du dossier. ‘’La conclusion de l’avis, en dépit de la référence à des éléments qualifiés de « crédibles » et de « concordants » fournis par la source, semble ne reposer que sur un grief de non-respect des délais de détention, sans autre souci de précision’’. Or, poursuit le document, ‘’s’il y a eu deux mises en demeure, elles correspondent à des faits ou motifs différents de détention. Ce que le Groupe n’a pas cru devoir vérifier’’.
L’Etat théorise ainsi une ‘’cécité’’ volontaire doublée d’une ‘’appréciation négative sur les institutions d’un Etat souverain, membre respecté des Nations unies, sans prendre le soin d’exiger les pièces de procédure se rapportant aux allégations de «la source» qui en est détentrice’’. En commentant de la sorte une décision de justice, le groupe de travail de l’ONU se livre ‘’à des développements dignes d’une juridiction d’appel ou de cassation’’.
Le gouvernement, de demander ‘’solennellement au distingué Groupe de travail de reconsidérer son avis à la lumière de la présente contribution et de ses éléments de réponse initiale’’.
A propos du groupe de travail des Nations unies
Le Groupe de travail sur la détention arbitraire est un organisme mandaté par l’Onu, regroupant des experts indépendants des droits humains qui enquêtent sur des cas d’arrestation et de détention arbitraire qui peuvent être en violation du droit international des droits de l’Homme. Il a été établi en 1991 par l’ancienne Commission des droits de l’Homme des Nations unies comme l’une des « procédures spéciales » créées pour surveiller les violations des droits de l’Homme et est actuellement sous la tutelle du Conseil des droits de l’Homme de l’Onu. En 2010, son mandat a été prorogé par le Conseil pour trois autres années.
Après vérification de l’information à partir d’une variété de sources, y compris les Ong, les organismes intergouvernementaux et les familles des victimes, le Groupe de travail envoie des appels urgents aux gouvernements pour élucider le sort et la condition de ceux qui auraient été arrêtés. Elle peut également mener des missions d’enquête dans les pays qui ont adressé une invitation au groupe de travail. Des magistrats sénégalais de renom y ont siégé : feu Laïty Kama et El Hadj Malick Sow.
Les avis du groupe de travail des Nations unies n’ont pas la même puissance injonctive que les décisions du Haut Commissariat aux droits de l’Homme, les déclarations du secrétaire général de l’ONU, ou de l’Assemblée générale de l’ONU.
Organe de consultance et de conseil, le Groupe de travail est du reste très actif, même si certains de ses membres, à l’image de la Fifa, font souvent preuve d’une…certaine fragilité, à l’image de beaucoup ‘’d’experts indépendants’’ à travers le monde.