Sa prestation sur la scène de la dernière édition du festival de jazz de Saint-Louis était l’une des plus remarquables. Pourtant, Wôz Kaly est peu connu du grand public. Ce qui ne fait pas moins de lui un talentueux artiste. Une guitare godin en bandoulière, il a expliqué dans cet entretien son engagement pour la liberté d’expression en Gambie et son souhait pour la région natale de son papa, la Casamance. Il évoque aussi l’avenir de ‘’missal’’ et son succès sur la scène de Saint-Louis jazz.
Cela vous a fait quoi de prester sur la scène ‘’In’’ du festival de jazz de Saint-Louis ?
Cela m’a fait très plaisir. C’était une fierté. J’ai été très heureux de prendre part à ce festival de renommée internationale. C’était un grand moment pour moi. Ça a été un moment d’intense émotion.
Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès ?
Non je ne m’y attendais pas. Mon boulot, je le fais avec le cœur. Je sais que mon dernier album a été bien accueilli par les mélomanes qui l’ont écouté. Je fais une musique qui a une connotation un peu jazz. Jouer au festival de jazz était un challenge pour moi et j’espère que je l’ai réussi. Je suis très content. Le public a été là et très réceptif à ce que je faisais. C’était une belle surprise pour moi vraiment. J’ai eu à participer à divers festivals de jazz à travers le monde mais celui-là était particulier. J’étais sur la terre de mes ancêtres et cela fait toute la différence.
Cet accueil du public ne vous a pas donné envie de rentrer ?
Les contraintes et le destin font qu’on n’est pas physiquement là mais notre esprit est au Sénégal. Je ne vis pas ici mais je suis très sénégalais dans mon âme et dans mon cœur. J’aimerais rester plus longtemps. Mais on manque souvent de temps pour ça. Quand je fais quelque chose, j’aurais aimé que les Sénégalais le découvrent avant les autres mais ce n’est pas encore le cas.
Qu’est-ce qui vous empêche de vous établir ici ?
C’est mon destin qui m’a mené en Europe. Il y a des gens qui doivent partir et d’autres doivent rester au pays. Quand je partais en France, je ne pensais pas y rester. Je suis de nature curieuse. J’aime voyager pour aller à la recherche d’autres choses. Aujourd’hui j’ai une famille en France et je me dois d’être là-bas pour jouer mon rôle de père. Mais j’espère un jour pouvoir rentrer.
Ne sentez-vous pas que vous êtes plus connu à l’étranger qu’ici ?
C’est pour cela que je me bats. Cela commence à venir. Je ne suis pas pressé mais je tiens à cela. Je suis un patriote et je veux que les Sénégalais découvrent ce que je fais. Je ne veux pas faire du ‘’m’as-tu vu’’. Tout ce que je fais, c’est avec le cœur. Maintenant la musique est un très long chemin et rien ne sert de courir.
Mais comment comptez-vous y parvenir car vous ne prestez que dans des lieux sélects et qui reçoivent peu de monde à l’exception de la scène du festival de jazz?
Je veux bien jouer dans des lieux populaires. Seulement, on m’appelle pour me dire : viens jouer ici ou ailleurs. Et je ne trouve pas que là où je joue, ce sont des lieux sélects. Ce sont plutôt des espaces où la musique se passe. Aussi, je ne fais pas de musique ‘’populaire’’ pour aller dans des lieux populaires. Pour moi, le Sénégalais est prêt à écouter toutes les musiques. C’est le plus important. Et si on m’invitait à un concert de mbalax, je viendrais. Et avec le peu de temps que je passe ici, les gens commencent vraiment à découvrir ce que je fais. J’aimerais faire six morceaux à sortir ici. Ce sera dans le même style que ‘’yewou roti’’ et ‘’liima téré nelaw’’.
Cela parlera du legs de nos ancêtres, de la scolarisation des jeunes filles, l’apport de la technologie, etc. Il y a des morceaux déjà écrits. Je me dis que petit à petit, je vais rentrer dans le cœur des Sénégalais. Mais je ne compte pas changer ma musique pour cela. Je refuse de faire le mbalax en vogue. Je ferai mon mbalax à moi. Chaque instrument sera à sa véritable place. Et moi, mes textes se basent sur des thèmes précis. Pour moi, la voix ne doit pas servir qu’à chanter des gens. Il faut sensibiliser les gens.
Sur la scène du festival de Jazz, on vous a découvert sous une facette nouvelle. Vous vous êtes montré très engagé et avez dénoncé ce qui se passe en Gambie. Qu’est-ce qui explique ce changement ?
Ma liberté d’expression, personne ne peut me l’ôter. Je suis un Sénégalais. Et je dis partout où je vais qu’on est le pays le plus libre au monde. On est né dans la liberté et la démocratie. Merci à Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall pour cela. Pour moi, la Gambie, c’est une partie du Sénégal. Les Gambiens sont des frères. Yaya Jahmeh est sénégalais comme moi et moi je suis gambien comme lui. Tout le monde sait que les Gambiens aspirent à un peu de liberté. Tout le monde sait ce qui se passe là-bas. J’ai des amis gambiens adorables qui aimeraient voir leur pays être comme le Sénégal. Ici tout le monde a le droit de dire ce qu’il pense sans être inquiété tant qu’il le fait dans le respect. Les journalistes sont libres ici. Il faut laisser les gens dire ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent.
C’est mieux. S’ils gardent tout et se taisent, les choses risquent d’exploser un de ces jours. C’est ce qui s’est passé en Lybie, en Egypte ou encore en Tunisie. Je souhaite qu’il y ait la paix en Gambie. Parce que si elle prend feu, le Sénégal ne sera pas épargné. Il faut aussi que les gens qui vont en Gambie pour faire des tournées arrêtent. Je ne peux pas comprendre que certains critiquent les dirigeants sénégalais pendant que des Sénégalais vont chanter les louanges d’un président qui fait pire juste à côté. C’est quoi ça ? Comment peut-on concevoir cela ?
Vous pensez à qui ?
Je ne pense à personne. Je parle juste de ceux qui font une chose et son contraire. On ne peut pas combattre une chose dans son pays et l’accepter ailleurs. Rien ne vaut cela. Si on le fait pour de l’argent, ces fonds, on l’épuise vite alors que notre honorabilité peut en prendre un sacré coup pour de bon. Moi, je suis quelqu’un de constant. Pour moi, le respect des droits de l’Homme, la liberté d’expression sont des choses qu’on ne peut pas négocier. Mon combat, je le porte partout.
Vous êtes d’origine casamançaise. Que vous inspire le conflit au sud du pays ?
On a perdu beaucoup de temps. Les politiques ont perdu beaucoup de temps. J’aimerais que demain, ça s’arrête. On a la plus belle région du Sénégal. Et les gens là-bas souhaitent vivre en paix. On ne doit pas prendre la population en otage. Il faut arrêter les politiques politiciennes. Cela dure et crée des frustrations. Une chaîne de frustrations qui peut se transformer en haine, puis en violence et aller au-delà. Je souhaite que tout le monde se mette autour d’une table et se tienne un langage de vérité. Il faut qu’on arrête de souffler sur la braise aux fins de la raviver. Les populations de la Casamance sont braves. Ce conflit a duré plus de 30 ans, pourtant ces gens ont toujours le sourire aux lèvres malgré les souffrances vécues. On aspire à un monde sans violence. Je rejette tout ce qui se fait dans la violence.
Quelle analyse faites-vous de l’évolution de la musique sénégalaise ?
Quand j’y pense, je me dis : je suis qui pour critiquer ? Mais quand même, je pense que les gens sont très pressés et obnubilés par la notoriété au lieu de travailler sérieusement. Au ‘’missaal’’, on a travaillé de 1988 à 1995 avant de sortir notre premier album. Et on bossait du lundi au samedi de 15h à 21h non stop. Les gens n’ont plus le temps de faire des recherches pour trouver de la bonne musique. Je trouve qu’il y a une régression de la musique sénégalaise. Les artistes confondent entre ce qui est bon et ce que le public aime. Ce n’est pas parce que le public aime une musique que c’est forcément bon. Dieu sait que j’adore la musique sénégalaise mais je trouve qu’il n’y a plus de recherche et de sérieux dans ce que l’on fait. On ne se soucie pas de comment faire pour que les autres écoutent notre musique. Cependant, dans le lot, il y a des gens qui font de superbes choses. Les rappeurs proposent de bonnes mélodies tout comme Marema. La musique requiert beaucoup de travail. Moi je vais en Israël, en Serbie et même au Pakistan pour aller à la recherche de voix.
Le retour du ‘’missal’’ a été très bien accueilli. Mais depuis lors plus rien. Vous êtes où ?
Sincèrement, c’est difficile. Il faut beaucoup d’intelligence pour gérer un groupe. Ce n’est pas évident. ‘’Missal’’, quand on était petits, c’était bien. Mais grands, il faut beaucoup d’intelligence pour gérer le groupe. C’est aussi difficile parce que moi, je suis en France avec Samba. Il y a un qui est aux USA. Il y a un autre qui ne fait plus de la musique. Et dans ces circonstances, c’est difficile parce que les niveaux ne sont pas les mêmes. On a essayé, c’est vrai. La dernière fois, j’étais sur mon album quand ils m’ont appelé pour faire le ‘’missal’’. J’ai mis mon album en stand by pour venir. Mais je me suis rendu compte après qu’un groupe, c’est difficile de tourner ensemble. Ce n’est pas évident. Maintenant ce qu’on peut faire, c’est de se retrouver de temps à autre pour faire un album ensemble ou donner un concert.
A quand le prochain album de Wôz Kaly ?
Le prochain album pourra sortir à la prochaine rentrée entre janvier et février. J’ai déjà commencé à faire les prises de guitare et les maquettes. Cela va se faire tranquillement.