Dans cet entretien, Malick Ndiaye, directeur de cabinet du ministre des Postes et des Télécoms, parle du décret sur le contrôle des appels entrants, du parc technologique numérique, du développement du secteur des Tic.
Quel est l’intérêt de signer un décret sur le contrôle des appels entrants ?
Tout d’abord cette question du contrôle des appels entrants a soulevé beaucoup de bruits dans le passé. En 2011-2012 déjà, il y a eu beaucoup de bruits sur le décret de contrôle des communications internationales entrant, parce que ça génère effectivement beaucoup d’enjeux. Il y a beaucoup d’enjeux autour de cette question et vous savez aujourd’hui le secteur des Tic en 2013 c’est 7% du Pib, c’est une forte contribution, et l’essentiel des revenus des opérateurs et en particulier de l’opérateur dominant (Orange) provient des activités sur l’international. Compte tenu de cette importance des communications internationales, qu’il y ait un contrôle et un suivi de ces activités, au-delà du fait que les télécommunications touchent la vie de tous les jours, il y a une nécessité de faire un suivi, une attention particulière sur ces activités des télécommunications et particulièrement des télécommunications qui représentent 80% des Tic. Le contrôle des activités des opérateurs est une activité importante comme tout autre contrôle qu’on opère sur les biens et les services qui circulent à l’intérieur d’un pays.
Qui va gérer le dispositif ?
Aujourd’hui, le dispositif va être géré par l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes. L’Artp dispose d’un Centre national de contrôle et de supervision des appels internationaux où sont installés des équipements de supervision et de contrôle qui seront opérés par des agents de l’Artp et qui sont formés à cet effet. C’est pour clore le débat sur l’externalisation des activités de contrôle vers une source extérieure que cela a été fait.
Tel que Global Voice à l’époque ?
Voilà tel que Global Voice à l’époque qui récupérait au nom de l’Etat, ce qui engendrait d’ailleurs une surtaxe. Aujourd’hui le fait que l’opération se déroule au sein de l’Artp, avec ses ressources, fait qu’elle gère son activité de contrôle que lui confère la loi. Ce qui est confirmé par ce décret d’application mais également le fait que ça soit géré par une autorité qui est compétente pour cela et pas par une ressource externe, qu’il n’y a pas de surtaxe qui soit engendrée. Donc la question de la surtaxe qui avait été soulevée à l’époque et qui a été abrogée en 2012 par le Président Macky Sall est définitivement dépassée. Aujourd’hui, le contrôle est opéré sur l’opérateur par l’Autorité de régulation qui en est l’autorité sans aucune surtaxe.
Comment avez-vous géré le contentieux Orange-Hayo ?
Il faut dire que ce problème-là est assez particulier. Hayo est un opérateur de service universel, un opérateur qui a une licence de développement. La licence de développement est une licence qui a été adoptée par le Sénégal à l’issue de la stratégie de développement de service universel qui date de 2004 et qui avait pour but de combler le déficit d’infrastructures dans les zones rurales mais aussi de faciliter l’accès au service de télécommunications dans les zones urbaines à faibles revenus. Et l’option qui a été retenue est de lancer des licences de développement, et le projet pilote qui a été initié est celui de Matam qui a été gagné par un consortium qui s’appelle le consortium de service universel. C’était en 2007. Aujourd’hui ils opèrent sur le territoire de Matam. En opérant, ils ont besoin de relation, d’interconnexion avec les autres opérateurs. C’est dans ce cadre-là qu’ils ont signé une convention avec Orange. Il se trouve que dans la période de test qu’ils étaient en train de vivre, il y a eu un litige sur le trafic. Et le litige n’a pas été résolu, l’Artp a été justement saisie pour arbitrer ce litige et peu de temps s’est passé entre le fait que le litige soit annoncé et qu’il soit réglé. Orange a pris une décision unilatérale de rompre le contrat et de couper les liaisons de Hayo qui ne pouvait plus faire passer ses communications. Au niveau du ministère des Postes et des Télécommunications, le ministre en personne est intervenu en appelant Orange en lui demandant de surseoir à cette mesure en attendant que l’Artp puisse effectuer les arbitrages nécessaires. A ce stade l’Artp est en train de réunir et de collecter toutes les données de trafic ensuite de passer en arbitrage. Le lien qu’il y a entre le contrôle et ce genre de conflit qui peut naître entre tous les opérateurs, c’est que le dispositif de supervision et de contrôle qui est consacré par ce décret signé le 22 mai permet aujourd’hui de mesurer le trafic échangé entre tous les opérateurs quelle qu’en soit l’origine. Ça veut dire que le trafic international et le trafic local entre les opérateurs est mesuré aussi bien par les opérateurs que par le régulateur lui-même.
Il y a plus de transparence dans la gestion avec ce nouveau système ?
Effectivement il y a plus de transparence. Aujourd’hui en cas de conflit, si chacune des parties apporte les données sur son trafic, l’autorité de régulation, qui est censée arbitrer ces conflits, peut elle-même disposer de ces propres données et procéder aux arbitrages appropriés de la manière la plus fiable. Justement le cas de Hayo peut être aujourd’hui un cas d’école pour la mise en place de ce dispositif de contrôle.
Au delà du contrôle qui est effectué sur ces trafics, quand un secteur représente 7% du Pib, il est important que l’Etat puisse disposer de données sur ce secteur qui lui permettent de faire les planifications nécessaires et d’envisager les projections dans ce secteur. A la date d’aujourd’hui l’ensemble des données, dont disposent le régulateur et l’Etat, sont basées sur des déclarations faites par les opérateurs. Si aujourd’hui on veut avoir une planification sérieuse, stratégique, pertinente pour l’avenir, il est important que l’Etat puisse, lui-même, collecter ses propres données, envisager ses projections dans un secteur qui est vital pour lui et surtout finir par mettre en place un véritable observatoire autour de cet important secteur.
Pourquoi l’Etat a longtemps laissé les coudées franches aux opérateurs, alors que tout le monde sait que c’est un secteur porteur de croissance ?
La gouvernance du secteur est assurée principalement par deux entités. D’abord le gouvernement à travers l’autorité gouvernementale chargée du secteur qui sont le ministère et l’autorité de régulation qui est née en 2001 et qui a aujourd’hui un niveau de maturité suffisamment respectable et qui doit prendre en charge les questions de régulation. Ce dont vous parlez est une question de régulation, d’instrument et d’outils de régulation. Puisque nous sommes dans un espace concurrentiel, l’Etat ne peut plus jouer ce rôle de régulation. C’est pour cela qu’il transfert cette activité à une autorité indépendante qui s’occupe de cette régulation et met en place les instruments et les outils qui permettent de réguler le marché du secteur et de le développer en même temps.
Il y a eu le problème de la 4 G. Les opérateurs ont bénéficié d’une période d’essai avant que l’Etat ne suspende cela...
L’opportunité de lancer les licences relève de l’autorité gouvernementale. Mais la mise en œuvre relève de l’autorité de régulation. Puisque nous sommes dans un marché ouvert, il s’agit pour l’Etat de dire nous souhaitons avoir un opérateur de 4G. Un opérateur de télécommunication additionnel pour des raisons stratégiques ou pour des raisons politiques. A partir de ce moment, nous nous adressons à l’autorité de la régulation pour lui dire de mettre en place un dispositif, une commission qui est consacrée par la loi et qui est chargée d’instruire le cahier des charges, de lancer l’opération de sélection et de sélectionner et de rendre compte au gouvernement sur les choix qui sont opérés. Voilà comment sont réparties les différents rôles. Aujourd’hui, la mise en œuvre opérationnelle relève de l’autorité gouvernementale qui a déjà reçu toutes les instructions nécessaires pour d’abord s’appuyer sur un cabinet de rang international pour avoir un peu plus de visibilité sur les opportunités que peuvent apporter le lancement de cette licence, mais également l’impact sur notre économie et les différentes scénarii possibles qu’on pourrait adopter.
Il paraît que certains pays comme la Maroc ou la Côte d’Ivoire auraient vendu la 4G à des centaines de milliards, alors qu’au Sénégal certains opérateurs avaient proposé des sommes modiques.
Effectivement! Il semble qu’il y ait eu des propositions d’opérateurs pour acquérir la licence 4G. Mais ce qui est retenu aujourd’hui : L’Etat veut céder ses licences 4G en sauvegardant l’intérêt du Sénégal. L’intérêt du Sénégal c’est au meilleur coût par rapport à la configuration du Sénégal. Il ne s’agit pas de dire que tel ou tel autre pays a vendu à tel coût. Mais il s’agit de dire que par rapport au niveau de rentabilité qu’on peut avoir au Sénégal et à l’impact économique et au potentiel de revenus à acquérir, combien sont capables de mettre les opérateurs pour disposer de cette licence. Tout cela dépend de beaucoup de paramètres.
A quand la fin du processus d’attribution de la 4G ?
La phase actuelle consiste à sélectionner un cabinet qui va donner plus de lisibilité sur les choix possibles. Le cabinet est en cours de sélection et puis après cela l’Etat lancera la compétition auprès des acteurs qui sont concernés et avec des cahiers de charges rédigés de la manière la plus professionnelle et élaborés selon l’intérêt et les objectifs que vise le Sénégal.
L’externalisation au niveau de Tigo à créé beaucoup de polémique, les gens ont pensé à la suppression des emplois...
Effectivement ! Sur cette question de l’externalisation, nous nous sommes retrouvés en face d’un phénomène qui est en train de prendre de l’ampleur dans le monde des télécoms pour des besoins d’optimisation de leur environnement (...). Pour le cas de Tigo, ce qui s’est passé est que, Tigo a décidé d’externaliser une partie de ses activités chez un prestataire qui se trouve au Sénégal, sans qu’il y ait réellement une véritable discussion à l’intérieur de l’entreprise elle-même et, c’est ce qui a créé un choc entre les deux parties. En ce moment-là, nous, nous sommes intervenus en tant qu’autorité gouvernementale chargée du secteur pour essayer d’amener les parties à trouver une solution. C’est à ce titre que nous avions également travaillé avec le ministère de l’Emploi pour mettre en place une commission que nous avons dirigée et toutes les parties ont été réunies. Cela était consacré par un protocole partiel qui dit que, les parties doivent continuer les discussions à l’intérieur de l’entreprise et que nous, autorité gouvernementale, serions d’accord que si les parties sont d’accord. Parce que, sur cette question-là, nous avions quelques préoccupations que nous voulions régler tout d’abord et nous avons voulu, quelle que soit l’externalisation qui est décidée par l’entreprise, qu’il y ait un respect de la souveraineté nationale. C’est à dire, que les données des usagers sénégalais ne soient pas traitées à l’extérieur. Ensuite, nous avons exigé qu’il y ait une préservation des emplois, qu’il n’y ait pas une perte d’emplois parmi les concernés. Et puis, pour le troisième point, nous avons demandé que le fait de partir chez le sous-traitant ne doive pas être la seule alternative. Mais, qu’il y ait la possibilité qui soit offerte aux agents qui ne souhaitent pas partir d’être redéployés ailleurs…
Quel est l’état d’avancement du Parc technologique de Diamniadio?
Un des projets phare que nous avons aujourd’hui et qui est animé par le Plan Sénégal émergent (Pse) c’est le Parc technologie du numérique. Il faut dire que dans le cadre du Pse, la technologie de l’information et de la communication est un véritable catalyseur de ce plan non seulement il est considéré comme un secteur à part entière, mais également comme un secteur qui irradie tous les autres secteurs d’activité. A partir de ce moment-là, la croissance qui est attendue du Pse, le numérique va y jouer un grand rôle. D’abord, vous savez que la croissance est souvent portée par l’exportation. C’est une activité sur laquelle nous comptons énormément pour porter la croissance dans ce secteur. Aujourd’hui le parc technologique que nous allons installer à Diamniadio sur 25 hectares qui sont déjà acquis, consiste à installer des immeubles entiers où vont venir s’installer des entreprises de la place. Les entreprises internationales, mais également des immeubles entiers dédiés à l’incubation d’entreprises des Tic et à l’exportation de services. Il y a des entreprises qui sont spécialisées dans ce domaine-là qui peuvent recruter des centaines et des centaines de comptables, de traducteurs, d’informaticiens, beaucoup développer des applications pour travailler au service des entreprises en particulier du monde francophone. Il est attendu de ce parc technologique et numérique que nous avons construit avec l’appui de la Bad sur la base d’un prêt de 40 milliards de francs Cfa et qui va être consacré dans les délais à venir et qui nous permettra d’installer tout cela. Et il est attendu en terme de résultats plus de 30 000 emplois dans les années à venir.
Il devrait fonctionner à partir de quand ?
Dans les deux ans. La construction est prévue sur les 24 mois. Le dispositif opérationnel est en train d’être mis en place. Je peux vous dire même que les projets de plan et de passation de marchés sont déjà en train d’être élaborés en coopération avec la Banque africaine de développement. C’est le projet le plus structurant qu’on peut avoir aujourd’hui dans le secteur du numérique qui a été attendu pendant des années par les acteurs, mais malheureusement qui ne s’est pas réalisé et qui aujourd’hui heureusement se réalise avec le Pse qui va être le grand chapeau de ce projet qui a été élaboré au sein du ministère.
Quels sont les enjeux liés au service universel?
Etant donné que la dernière stratégie développée pour le développement du service universel date de 2004, d’ici la fin de l’année, il est envisagé l’actualisation de cette stratégie avec toutes les parties prenantes. La Stratégie du développement universel est extrêmement importante pour permettre au Sénégal le développement des services de télécommunications de manière harmonisée à l’intérieur du territoire. La licence de développement est un levier qui a été développé pour permettre aux zones rurales d’accéder aux services des télécommunications. Aujourd’hui, l’opérateur qui a en charge cette activité a évidemment quelques difficultés. Mais, nous devons nous organiser pour que ce statut d’opérateur de service de développement soit accompagné de mesures de facilitation. Il y a aussi le Fonds de développement universel qui est un autre levier qui devait permettre de financer les questions d’accès et de développement des applications. C’est le levier qui devrait permettre de créer une masse critique de capitaux et d’apporter l’investissement à l’intérieur du secteur des services des télécoms. Il faut reconnaître qu’une bonne partie des ressources est utilisée par le secteur de l’énergie. Donc, nous devons actualiser la stratégie et voir comment rééquilibrer ces ressources et surtout redéfinir les priorités pour l’atteinte de nos objectifs en termes de service universel.
Les gens parlent souvent du cadre juridique avec certains décrets qui n’ont pas été pris. C’est quoi le problème ?
C’est vrai que nous avons aujourd’hui un cadre juridique qui reste à parfaire. Le Code des télécommunications a été adopté en 2011 sur la base d’une harmonisation et d’une transposition d’actes additionnels et de directives communautaires. Et, il est évident qu’à partir de 2011 tous les décrets et les lois qui existaient concernant le secteur qui étaient issus de l’ancienne loi de 2001 sont abrogés. A ce moment il fallait prendre de nouveaux décrets d’application. Alors il s’est trouvé qu’à partir de 2011, il y a eu le processus de formulation de ce décret que les acteurs ont voulu unique et ce décret de 2011 à 2013 a été élaboré et a été proposé. Il se trouve qu’effectivement jusqu’à présent il n’a pas été signé. Ce qui veut dire qu’effectivement ce n’est pas une affaire qui est simple parce que l’absence de signature de ce décret a eu beaucoup d’impact sur le fonctionnement. La raison essentielle, c’est que ce décret a eu le malheur de vivre les différents régimes. De 2011 à 2013 et 2014, on a traversé une élection présidentielle et aussi la période des grands scandales qu’on a connu dans le secteur. Vous avez connu le scandale de Global Voice, de Mtl, etc. Et, tous ces grands scandales dans le secteur ont eu un impact négatif sur le cadre juridique du secteur et beaucoup de gens ont eu l’impression qu’il y a eu de la manipulation et un défaut de performance du cadre juridique. C’est cela qui pose aujourd’hui un problème. On a été amené à poursuivre cette logique de construction de ces textes sur la base du travail qui avait été fait, mais il s’avère aujourd’hui que l’état des textes qui ont traversé toute cette période là n’inspirent pas forcément confiance et ne sont pas suffisamment exhaustifs pour prendre en charge toutes les nouvelles approches.
Aujourd’hui, l’une des décisions importantes vers laquelle on s’achemine, c’est vers la revue globale du cadre juridique. Nous allons nous arrêter et prendre le temps de consulter les acteurs à travers un cabinet spécialisé dans le droit des Tic qui va nous accompagner à faire la revue du cadre juridique sur la base des orientations actuelles et des orientations futures qui sont définies par les autorités et replacer désormais le Sénégal dans une perspective beaucoup plus positive en tenant compte de ce qui a déjà été fait et de la configuration actuelle du secteur, ainsi que des perspectives qu’on s’est fixées dans le Pse et du positionnement de leader du Sénégal dans la sous-région. Donc, un recadrement du cadre juridique est nécessaire et nous allons avec l’appui de cabinets indépendants et spécialisés qui vont aider le gouvernement à actualiser son cadre juridique.
Il y a le Contan qui gère le passage de l’analogie au numérique. Est-ce que techniquement on pourra changer de cap à la mi-juin ?
Au stade où on en est, c’est vrai qu’il y a beaucoup de travail qui a été réalisé par l’opérateur qui a été retenu pour faire basculer le Sénégal au numérique. Je pense qu’au 17 juin, il y aura des avancées significatives. Je ne suis pas convaincu qu’à cette date tout le Sénégal passera au numérique. Cela veut dire qu’à partir du 17 juin 2015, les fréquences utilisées par les télévisions analogiques ne seront plus protégées par le système global de protection de l’Union internationale des télécommunications. Cela ne signifie pas que les télévisions vont s’éteindre. Par contre, cela a des conséquences au niveau des frontières parce que la télévision analogique utilise des puissances beaucoup plus importantes que la télévision numérique.