Loin de la quiétude des quartiers dits résidentiels de la capitale, la banlieue dakaroise, une matinée du mercredi 29 avril, est dans son vacarme habituel. De Bountou Pikine, en passant par les rues bondées de la ville de Guédiawaye, à Yeumbeul, l’ambiance est identique. Les hélas des apprentis « car-rapide » et autres « Ndiaga Ndiaye », mêlés aux klaxons et autres vrombissements des moteurs de véhicules rendent l’atmosphère beaucoup pus lourde. Des meutes d’enfants, revenant de l’école ou se livrant à de simples parties de jeu, sont visibles à chaque coin de rue. Des femmes assises devant des étals où sont exposés des tas de mangues, d’arachides grillés et d’autres produits tropicaux et qui attendent désespérément une clientèle qui se fait désirer. En dehors de ce décor, les quartiers de la banlieue sont tous en proie aux mêmes problèmes dont la délinquance qui expose les habitants de cette partie de la capitale à des meurtres, agressions, viols et vols.
Les récits se suivent et se ressemblent : « Chaque nuit on entend des cris de détresse. Il m’est en permanence rapporté des cas d’agression, de viols et de vols », raconte Alassane Thiam, délégué de quartier, Médina Gounass 1 A. « Ceux qui partent au travail très tôt et les travailleurs de la nuit sont menacés. Les vols sont aussi enregistrés. Les bonbonnes de gaz et les téléphones portables disparaissent tout le temps », se plaint, Mamadou Sy un habitant de Pikine Niatty Mbar, trouvé devant son domicile. « Une fois à mon retour du lieu de travail de boulangerie. J’ai croisé des agresseurs qui m’ont attaqué. Ils m’ont pas tué, mais en revanche blessé à la main », a affirmé Moussa Sall. « Vers 16h, heure de grande affluence dans le marché, les agressions sont monnaie courante. Les agresseurs font usage de coupe-coupe et menacent les gens surtout les jeunes filles », se plaint Souleymane Seck, tenancier propriétaire d’un étal au marché bou bess Guédiawaye. « Chaque nuit, on attend des cris. Personne n’ose sortir à certaines heures. La nuit des bandes de gamins se mettent dans les rues et arrêtent tout passant, On a même peur de revenir dans le quartier la nuit », soutient Saliou Dieye, un habitant de Yeumbeul. «Le jour du combat, Balla Gaye/ Eumeu Séne, j’ai été agressée par des jeunes armés et c’est un de ces jeunes qui a violé et tué la petite Thiecka la semaine suivante, raconte Adja », une habitante de Yeumbeul Sud.
La violence, un phénomène aux causes multiples
La recrudescence de la violence dans la banlieue dakaroise est due à plusieurs facteurs, « les jeunes ne travaillent pas. Souvent, ils s’adonnent à petit métiers telle que la teinture qui ne leur rapportent pas assez », indique Alassane Thiam délégué de quartier Médina Gounass 1 A. « Celui qui veut travailler peut trouver un moyen de gagner sa vie. Mais les jeunes n’ont pas une bonne éducation. Il faut un retour aux valeurs religieuses », trouve Mamadou Sy.
Pour sa part, Moussa Sall de Djeddah Thiaroye Kaw, trouve que la recrudescence des agressions est due à la complicité des parents, « si leurs propres enfants ne s’adonnent pas à la pratique, ce sont les amis de leurs enfants qui viennent dans le quartier pour agresser. Les parents en sont conscients, mais ils préfèrent se taire ». La complicité des parents c’est aussi ce que déplore, Adja de Yeumbeul Sud : « souvent les parents savent que leurs enfants sont des agresseurs et ils sont consentants à cause de l’argent qu’ils leur apportent». Ibrahima Ndiaye indexe l’excès d’amour que des parents éprouvent pour leur progéniture, c’est pourquoi ils ont du mal à châtier, lorsque les enfants ont un comportement déviant. Et vu qu’ils n’ont aucune occupation et que leurs parents sont pauvres, ils se jettent dans la violence pour satisfaire leur besoin. Pis, continue t-il, « certains pères de famille ne peuvent pas subvenir à leurs besoins et ils épousent plusieurs femmes. En fin de compte, ils se retrouvent avec une ribambelle d’enfants qu’ils laissent à la merci de la rue ».
A Guédiawaye, la lutte est vue comme un phénomène qui favorise la violence : « les agresseurs se prennent pour des lutteurs. Ils s’entrainent tout le temps et n’ont aucune occupation », déplore Souleymane Seck. Revenant sur les causes, Adja indexe l’influence occidentale et l’analphabétisme, « les jeunes n’ont pas assez d’argent et ils veulent s’habiller comme leurs idoles européens et américains. Ils veulent à tout prix ressembler à ces gens là. La plupart ont arrêté les études très tôt ou n’ont jamais été à l’école ».
Agresseurs,drogués âgés entre 14 et 20 ans
La drogue se vend comme de petits pains dans la banlieue. Dans tous les quartiers visités, le constat est le même. Les agresseurs, des jeunes dont la moyenne d’âge dépasse rarement 20 ans se droguent avant de commettre leur forfait. Le pire est que les produits stupéfiants utilisés sont accessibles car, ils se vendent dans les quartiers à des prix dérisoire, « à Yeumbeul, la drogue c’est comme le tabac », soutient le vieux Baba Gallé. « Souvent des jeunes en état d’ivresse sont arrêtés après avoir consommé de la drogue. Des enfants de bas âge font usage de la drogue », déplore Alassane Thiam, délégué de quartier Médina Gounass, 1 A. « Les trafiquants sont prés de Diakhaye sans être inquiétés », fustige Moussa Sall.
Dans la quasi-totalité, des quartiers visités, la remarque est la même. Les agressions sont commises par des jeunes dont la tranche d’âge dépasse rarement la vingtaine, « A Yeumbeul, les agresseurs sont souvent des gamins de 17 à 22 ans. Pis, il y’a des garçons de 14 ans qui se livrent aux agressions », affirme Adja. Selon Moussa Sall, un habitant de Pikine Niatty Mbar, les agresseurs dans ce quartier ont en moyenne 18 ans. A Médina Gounass, le délégué de quartier Alassane Thiam soutient que la plupart des cas de violence qui lui sont rapportés, les jeunes indexés sont âgés entre 15 et 20 ans.
Quand les forces de l’ordre se font désirer
Selon les témoignages des victimes d’agressions qui nous ont été rapportés, les forces de sécurité, du fait de leur nombre réduite, peinent à satisfaire la demande : « quand nous contactons la police, elle nous dit souvent qu’il va envoyer des agents, mais la plupart du temps, ce n’est jamais le cas ou bien s’ils viennent, ils mettent beaucoup de temps avant d’arriver », soutient, Alassane Thiam. Dans la même veine, Mamadou Sy d’affirmer : « Il n’y pas de ronde la nuit. La Police n’est présente qu’après un crime ». Un constat identique est établi par Souleymane Seck, commerçant à Marché Bu Bess, « les policiers ne viennent que quand il y’a un problème, nous souhaiterions qu’il ait des rondes chaque soir dans le quartier avec des agents en civil ».
A Yeumbeul, le vieux Baba Gallé trouve que le dispositif du poste de police ne permet pas de répondre convenablement à la demande, « Il y’a un poste de police et on aimerait qu’on en fasse un commissariat. Le commissaire est très fatigué, car il manque de moyens », a-t-il indiqué. Les effectifs réduits des policiers et autres agents de sécurité font que, souvent il est demandé aux victimes de retrouver leurs bourreaux, ce qui n’est pas normal de l’avis d’Adja : « une fois qu’on porte plainte, les agents nous demande souvent de les contacter si on parvient à retrouver le coupable, mais cela n’est pas du ressort du simple citoyen ». Le pire est une fois que la victime donne l’identification de son bourreau, elle devient le cible du reste de la bande ou bien le concerné une fois avoir purgé sa peine considère sa victime comme un ennemi, continue Adja.
Quand les agresseurs vident les mosquées
Les agresseurs et les bandes armées qui s’activent dans la banlieue dictent leurs lois aux habitants. Ainsi même les vieux ne sont pas épargnés. Souvent ils désertent les mosquées à certaines heures pour sauver leur vie : « aller à la prière le matin et la nuit, je ne m’y aventure pas. Depuis que je suis là, cela fait huit ans, Fadiar et Guewé, je ne les ai pas inscrits dans mon agenda », soutient Baba Gallé, un habitant de Yeumbeul. Pour sa part, Ibrahima Ndiaye bien qu’habitant à quelques mètres d’une mosquée, prend toutes ses précautions avant d’aller remplir son devoir de musulman, « ma maison n’est pas loin de la mosquée, n’empêche en y allant je m’arme d’un bâton et d’un coupe-coupe. J’attends qu’il fasse un peu clair, puis je vérifie à gauche et à droite avant de m’engager dans la rue et surtout je ne laisse personne marcher derrière moi», raconte-t-il. A Pikine Niatty Mbar, les vieux qui partent à la prière du matin courent le risque d’être violentés. Ainsi, pour protéger ceux résidants tout prés de son domicile, Moussa Sall joue a la sentinelle : « A mon retour de travail j’appelle mon grand frère et nous nous mettons sur le chemin de la mosquée avec des coupes-coupes pour protéger les vieux qui partent à la prière du matin. Nous restons là-bas jusqu’à ce qu’il commence à faire jour ».
Les astuces des agresseurs
Dans la banlieue dakaroise, les agresseurs utilisent des astuces pour mieux atteindre leurs cibles. A Guédiawaye, des jeunes font l’impression de jubiler après des combats ou des matchs nawetaane. Procédant, ainsi, ils emportent tout sur leur passage : « les agressions après les combats ou matchs de football, ne relèvent ni de la pauvreté mais simplement d’un banditisme. Ils sont en groupe sur des charrettes et emportent tout ce qui est à leur portée», fustige Moussa Sall. Ces jeunes faisant l’air de jubiler perturbent aussi la quiétude du marché bu bess, « quand il y’a une manifestation à Amadou Barry, à la fin, ils forment des bandes de 40 personnes et environ et s’attaquent à tout le monde. Ils courent dans les quartiers et ne s’arrêtent pas. Les filles sont leurs cibles. Ils prennent des portables, s’ils n’y parviennent pas, ils se ruent vers les vendeurs », fait noter Souleymane Seck.
Dans la banlieue, les charretiers sèment le trouble. Ils exercent la profession tout en étant des agresseurs. « Ils se cachent dans un coin du marché, et si une personne traverse, ils sortent de leur cachette pour l’attaquer. Ils ont même battu des policiers ici », a poursuivi Souleymane Seck dans son récit.