Selon Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, les risques de fragmentation du Pds sont trop grands, avec l’initiative prise par Modou Diagne Fada de contraindre Abdoulaye Wade à réorganiser son parti en sa faveur. Dans cet entretien avec EnQuête, l’analyste politique estime que l’actuel président du groupe parlementaire ‘’Libéraux et démocrates’’ risque de sortir du Pds et de créer son propre parti politique, si jamais son initiative n’aboutit pas. Il se prononce aussi sur le front Anti Macky en gestation.
Quelle lecture faites-vous de la situation qui prévaut au Parti démocratique sénégalais ?
Il y a une sorte de stagnation au niveau du Parti démocratique sénégalais par rapport à la position même du leader, Me Abdoulaye Wade qui ne souhaite pas d’ailleurs réorganiser le parti. Pour lui, il faut d’abord attendre la décision de justice par rapport à son fils. Mais cela n’empêche qu’il y a au sein du Pds des responsables qui, même s’ils ne souhaitent pas ravir le poste de leadership, ne sont pas moins intéressés par leur position dans le parti.
C’est la raison pour laquelle certains veulent se positionner dans l’éventualité d’une acceptation du secrétaire général, d’un changement au niveau du parti par rapport aux orientations et par rapport aussi aux perspectives à venir. Parce que la position de Abdoulaye Wade n’est pas de nature à améliorer l’évolution même du parti de manière à lui permettre dans l’immédiat, de se positionner dans l’échiquier politique national et de faire en sorte qu’il puisse avoir un programme de gouvernement et coaliser l’ensemble des leaders autour d’un projet de société pour reconquérir le pouvoir.
Ce qui fait qu’il y a aujourd’hui un jeu de cartes et chacun veut se positionner. On l’a vu un peu par rapport à des déclarations et à des orientations qui sont données par certains leaders. Mais ce qui est important actuellement, c’est le fait de se positionner en tant que leader surtout par rapport aux jeunes. Des leaders qui veulent se positionner parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas combattre Me Abdoulaye Wade qui les a presque tous formés. Ils sont dans une situation délicate qui fait qu’ils ne peuvent pas affronter frontalement le leader. Leur démarche, c’est de faire des motions, des déclarations à travers par exemple des jeunes cadres qui souhaiteraient une amélioration au niveau des structures du parti, un renouvellement des instances du parti de façon à leur permettre de se positionner le moment venu pour déclarer leur candidature qui serait soutenue par le parti en question.
Modou Diagne Fada a initié une action pour demander le renouvellement et une réorganisation du parti. Comment l’appréciez-vous ?
L’objectif de Modou Diagne Fada, comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est de se positionner. Il est un leader connu grâce à ses relations de proximité avec Abdoulaye Wade. Il fait partie des jeunes qui ont des positions privilégiées au sein du Pds. Et comme ils ne peuvent pas affronter le leader, leurs démarches consistent à passer par des intermédiaires, des déclarations et par des motions qui pourraient être soutenues par de jeunes cadres, entre autres, pour amener leur leader à décider des renouvellements du parti pour se préparer aux prochaines échéances électorales.
C’est cela qui fonde sa démarche et éventuellement se positionner et déclarer sa candidature pour le poste de secrétaire général. Mais, ce n’est pas donné, parce que comme Me Abdoulaye Wade est le fondateur du Pds, il a une vision du parti et souhaiterait être remplacé par son fils qui est en maille à partir avec la justice sénégalaise. Ce n’est pas gagné d’avance. Mais le temps va nous édifier par rapport à cette position, par rapport aux déclarations, au courage de certains leaders et leur capacité d’imagination politique leur permettant de se coaliser et de se réunir autour d’une alliance qui pourrait positionner une candidature crédible.
Mais à quoi peut-on s’attendre à l’issue de cette initiative ?
On peut s’attendre à un éclatement. Parce que même si Mamadou Diagne arrive à obtenir la bénédiction d’Abdoulaye Wade, cela ne veut pas dire que les autres leaders vont suivre. Il y a des risques que d’autres leaders créent leur propre parti et forment d’autres alliances en dehors du Pds.
Pensez-vous qu’Abdoulaye Wade va accéder à cette demande de Modou Diagne Fada ?
Cela m’étonnerait qu’actuellement, l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade puisse accéder à cette requête. Pour l’instant, il faut qu’il soit édifié par rapport à son fils, Karim Wade. A partir du moment où il aura une clarification dans le domaine juridique, à ce moment, il pourrait éventuellement se prononcer pour tel ou tel leader à soutenir, afin de le remplacer à la tête de son parti.
Modou Diagne Fada dit soutenir la candidature de Karim Wade, même si la direction du parti lui est confiée. Est-ce une conviction ou une simple stratégie ?
Ça, c’est une stratégie pour arriver à ses fins. Il ne veut pas être maladroit dans tout cela. Il connaît bien la position d’Abdoulaye Wade. L’ancien président de la République ne souhaite pas être remplacé à la tête de son parti par quelqu’un d’autre que son fils. Donc, il faut le ménager pour l’amener à changer de position. C’est donc pour se rapprocher de Wade qui voudrait que son fils sorte de prison et se positionner au niveau de son parti. Mais si cela ne marche pas, il sera obligé de trouver une alternative. Et là, Modou Diagne Fada, ayant de bons rapports avec Abdoulaye Wade, le soutenant dans sa démarche, veut mieux se placer pour être soutenu par le secrétaire général.
Si cette stratégie n’aboutit pas, quel va désormais être l’avenir de Modou Diagne Fada au sein du PDS ?
Modou Diagne Fada risque de partir comme les autres et de créer son propre parti, son propre courant et de faire alliance avec d’autres. On risque d’assister à une fragmentation du Pds. Cela d’autant qu’Abdoulaye Wade ne va pas prendre de décisions dans le sens de la structuration du parti. Il attend d’être édifié sur le sort de son fils et après, il verra comment redistribuer les cartes au niveau de son parti.
Est-ce que Modou Diagne Fada a un profil qui lui permet de diriger le Pds ?
Je crois qu’il est trop jeune. Il y a d’autres responsables au niveau du Pds qui ne vont pas accepter son leadership, parce qu’il est trop jeune et qu’il doit encore patienter un moment. Généralement en politique, il faut se donner le temps. Quand on est trop pressé, on perd beaucoup de choses. On l’a vu avec Idrissa Seck. Quand il était aux côtés de Abdoulaye Wade, il était trop pressé et au finish, il avait été contraint de quitter le parti. En politique, il faut savoir patienter pour avoir beaucoup d’expériences pour pouvoir ravir le poste de secrétaire général. Modou Diagne Fada, même s’il est connu et entouré de jeunes ambitieux, ce n’est pas suffisant. Parce qu’il y a d’autres qui ont beaucoup plus d’expérience que lui, qui ont cheminé avec Me Abdoulaye Wade et qui sont en position de prendre sa place.
Récemment des leaders de l’opposition dont Mamadou Diop Decroix, Oumar Sarr, Souleymane Ndéné Ndiaye, Djibo Kâ et Idrissa Seck entre autres, se sont rencontrés pour discuter des modalités de mise en place d’une vaste coalition. S’achemine-t-on vers une redistribution des cartes dans le landerneau politique sénégalais ?
En ce moment, ça semble bouger un peu au niveau de l’opposition. Comme le Pds est resté dans l’immobilisme politique et s’est cristallisé sur le soutien à Karim Wade, le vide qu’il laisse va être comblé par des initiatives comme celle-là. Et je pense que l’intérêt pour la démocratie, c’est d’avoir des partis politiques ou des coalitions qui sont là, des leaders qui vont se retrouver et qui vont s’entendre sur des points pour trouver des compromis afin de pouvoir se positionner dans l’espace politique sénégalais et proposer une autre alternative par rapport à la politique du gouvernement. C’est tout à fait naturel ces choses-là.
Mais quel peut être l’impact d’un tel regroupement dans le paysage politique sénégalais.
Ça va pousser justement la majorité à prêter désormais une oreille attentive à l’opposition. Parce qu’apparemment, on ne tient même pas compte de l’opposition. C’est comme si elle n’existait pas. La majorité déroule sa feuille de route convenablement et tranquillement sans se soucier des réactions d’une opposition qui s’organise et qui parle d’une seule voix. Actuellement l’opposition n’est pas unie, elle parle de tout et de rien. Donc, si les membres de l’ex-majorité se retrouvent pour s’entendre sur une position commune avant de concocter un programme qu’ils vont proposer aux Sénégalais qui, au moment donné, vont se décider, cela est plus important que de se disperser.
Ce regroupement des leaders de l’opposition peut-il aujourd’hui contraindre Macky Sall à revoir sa stratégie, si on sait qu’à un moment donné, il a mis la pression sur ses alliés pour qu’ils se décident par rapport à sa candidature ?
Si l’opposition s’organise, la majorité doit en faire de même. La majorité va forcément changer de stratégie. Mais pas en bousculant ses alliés, mais en dialoguant avec eux. Sinon cela risque d’irriter certains alliés qui peuvent rejoindre l’opposition qui est en train de se coaliser. Cela constituerait un danger pour l’actuel président de la République qui voudrait renouveler son mandat.
Justement, est-ce qu’avec cette organisation de l’opposition, il sera facile à Macky Sall de passer au premier tour en 2017 ?
Je ne sais pas. Comme c’est au début, on ne sait pas encore s’il y a une réelle coalition. Il y a juste quelques prémices, des gens qui se rencontrent, mais on ne sait pas de quoi ils ont discuté. Est-ce qu’il y a une entente ? Est-ce que parmi eux il y aurait un leader autour duquel les gens vont constituer une mobilisation pour soutenir sa candidature afin de lui accorder toute la légitimité au niveau de l’opposition pour voir briguer le mandat présidentiel ? Tout cela est encore confus. C’est un début, il faut laisser l’opposition s’organiser et on verra, si cette organisation tient la route ou si la mayonnaise tient ou pas. Parce qu’ils sont tous différents et ont peut être des ambitions personnelles ou individualistes comme on l’a vu parmi eux. Donc, il faut attendre qu’ils trouvent un consensus autour d’eux et aller vers le sens d’une candidature commune soutenue par une alliance.