A première vue, la société sénégalaise paraît pudique. Le sexe est tabou. On n’en parle pas publiquement. Pourtant, derrière ce puritanisme se cache un érotisme qui fait voler en éclats cette fausse réputation. Des draps aux petits pagnes appelés «Béthio» en passant par les perles, l’habillement, on y lit un vocabulaire érotique. Aujourd’hui, les femmes ont même franchi un cap et versent dans le vulgaire. Pourquoi les femmes procèdent-elles ainsi ? Qu’est-ce qui explique cet érotisme à outrance ? Pourquoi ces pratiques s’invitent aujourd’hui sur la place publique ? Le Quotidien a mené l’enquête.
L’objet pourrait porter la mention : «Interdit au moins de 18 ans». Tel n’est pas le cas. Il est fièrement mis au sec sur la terrasse d’un immeuble au vu et au su de tout le monde. Les initiées l’appellent «Gor ak djiguène». C’est un petit pagne appelé «béthio», en langue wolof, sur lequel on pouvait voir des dessins obscènes, voire pornographiques. Un homme et une femme tous nus, en position assise, en train d’entretenir des rapports sexuels. Le tout agrémenté de messages en langue wolof mélangés à du français, que la décence interdit de reprendre ici. Cette femme non identifiée n’est pas la seule à avoir dans son linge intime ce petit pagne. La pratique est très répandue. Elle ne se limite pas d’ailleurs aux pagnes. Les draps, les nappes de table et même la vaisselle n’échappent pas aux dessins érotiques. Ces objets déchirent le voile de pudeur de la sexualité des Sénégalaises.
Il est à peine 12 heures, en cette matinée ensoleillée du mois de mai au marché Hlm. Sur une des allées du marché, un pan entier est réservé à la confection et vente de ces petits pagnes, des perles et autres objets. «Que voulez-vous madame ? Venez, je vais vous montrer les dernières tendances», lance une dame. «Je ne suis pas venue pour acheter», répond-on. «Je suis venue pour discuter des pagnes que vous confectionnez.» La vendeuse affiche une mine déçue. Mais pas pour longtemps. Elle accepte et s’engage vite dans la discussion portant sur l’utilité des ces objets très convoités par la gent féminine. Amy Sène est l’une d’entre elles. «Je vends ces pagnes depuis ma tendre enfance. J’ai hérité cela de ma mère», grommelle-t-elle, toute fière. Amy confectionne elle-même ses pagnes. Compte tenu du caractère pornographique de ses dessins, elle tisse les petits pagnes, les draps et les nappes loin des regards indiscrets des enfants.
Gor ak djiguène exporté dans la sous-région
Même pour la vente, les pagnes ne sont pas étalés à l’œil nu. «Ils sont dissimulés dans les autres objets», note-t-elle. Absa Wagne, également vendeuse de pagnes, fredonne le même refrain. «A part les initiés, personne ne connaît ces pagnes. Ils sont gardés hors de vue des enfants. Même chez moi, je fais attention pour qu’ils ne se dévoilent pas», susurre-t-elle. Sur ces entrefaites, une dame, teint clair, le visage embelli par un discret maquillage, fait son apparition. Après les salamalecs d’usage, elle s’approche de sa vendeuse «préférée», Ndoma Thiam, qui a établi son commerce dans ce marché depuis plus de 30 ans. «Où est ma commande ?, demande-t-elle à Ndoma Thiam. Cette dernière lui remet un sachet blanc. Elle n’a pas voulu qu’on y jette un coup d’œil. «Je ne peux pas vous montrer ça ici. C’est trop hot», s’empresse-t-elle de dire avant de disparaître comme un éclair. Mais d’après les explications de Ndoma, le sachet en plastique contiendrait des pagnes «Gor ak djiguène», des draps assortis de dessins «pornographiques» dont Ndoma seule sait faire, des perles, entre autres objets intimes. «C’est une niarel (deuxième femme, Ndlr). Elle vient régulièrement ici pour renouveler son arsenal de séduction», lance Ndoma Thiam, joyeuse.
Le recours à ces pratiques est un refuge pour les femmes
Après son départ, la discussion reprend de plus belle. Une autre femme se lance. Elle se nomme Absa. Contrairement à celle qui vient de partir. Elle n’est pas intéressée par ces pagnes. «Je ne vois vraiment pas l’utilité de ces pagnes. Je les trouve encombrants. On est obligé de les cacher dans la chambre. Or, ce n’est pas évident, vu la configuration de nos chambres. Pour la plupart d’entre nous, nos enfants ont accès à tous les coins de nos chambres, et moi je préfère sauvegarder du mieux que je peux l’innocence de mes enfants plutôt que de faire plaisir à un homme qui, très souvent, a tendance à voir ailleurs», analyse-t-elle froidement. «C’est parce que tu ne les utilises pas que ton mari voit ailleurs», tonne Ndoma Thiam, très enthousiaste à défendre son produit. «Ces pagnes font partie de nos us et coutumes, qu’on le veuille ou non», plaide-t-elle nerveuse. Pour elle, il y a une nette différence entre les femmes qui utilisent ces pagnes et celles qui font sans cet arsenal de séduction. Ndoma Thiam qui se nomme doctoresse des couples indique qu’elle a même réussi à exporter ces produits hors du Sénégal. «Je vends mes produits dans la sous-région. Au Burkina, au Mali, en Côte d’Ivoire. Même les hommes viennent en chercher pour leurs femmes», s’emporte-t-elle. «Je suis d’accord», répond son interlocutrice, mais «on n’est pas obligé d’y poser ces dessins obscènes. Nos mamans utilisaient ces objets. Ils suscitaient l’envie chez l’homme. Mais Gor ak djiguène ne suggère pas, il te montre. Je trouve que c’est vulgaire», argue-t-elle. «Tu oublies que le monde évolue et qu’on doit passer à un niveau second», souligne Amy Sène. Absa, qui ne semble pas être convaincue par les arguments des vendeuses, campe sur sa position. Pour elle, l’intimité ne doit pas se dévoiler. Les pratiques du couple doivent rester dans la chambre.
Les arguments de Absa sont défendus avec hargne par une frange des grands-mères. Mère Fatima est l’une d’entre elles. La rachitique dame, 87 ans au compteur, est scandalisée rien qu’à la vue des draps et autres pagnes portés par la génération dite tendance. «Ces pratiques n’ont rien de traditionnalistes. Il est vrai qu’on utilisait les béthios (petits pagnes), mais ceux-là n’ont rien à voir avec ceux que les femmes utilisent aujourd’hui», témoigne mère Fatima qui crèche au Parcelles Assainies. Une autre mamie, la soixantaine dépassée, est aussi choquée : Elle trouve ces pagnes vulgaires. «On n’a pas besoin de susciter l’envie avec des dessins aussi obscènes. Je les trouve vulgaires. Le petit pagne comme nous le connaissons éveille le désir sexuel tout le contraire de nos bonnes dames qui aujourd’hui versent dans l’érotisme tout nu», regrette mère Nafi.
A la gare de Dakar, les mamies partagent le même avis que mère Nafi. C’est le cas de maman Codou. Cette vieille s’active dans la vente de ces objets, mais ne les a jamais utilisés. «D’ailleurs, ce n’est pas moi qui les confectionne. Je les achète sur le marché et les revends pour me faire de l’argent parce que les pagnes se vendent bien», témoigne maman Codou. La vendeuse préfère les pagnes traditionnels sans les dessins obscènes.