En marge de la 56ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (Cadhp), qui a pris fin hier à Banjul, Me Soyata Maiga, Rapporteur spécial sur les droits de la femme en Afrique à la Cadhp, fait le tour dans cette interview de la situation des droits de l’Homme en Afrique.
Comment s’est déroulée la 56ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples ?
Cette session a enregistré une participation d’une très forte qualité parce que depuis octobre dernier, compte tenu de l’Ebola, compte tenu de cette situation de frilosité et d’insécurité créée par cette maladie, nous devions organiser cette session au Niger. Finalement, le pays n’a pas été en mesure de nous dire s’il pouvait garantir la sécurité des participants. Ensuite, nous voulions l’organiser ici en Gambie et là également, le pays ne pouvait pas garantir que les participants des représentants des pays touchés puissent être sécurisés. Donc c’est sur fond d’attentes et de frustrations que nous avons réussi en dialoguant avec le gouvernement de la Gambie qui est le siège de la Commission africaine de droits de l’Homme et des peuples, pour organiser cette session attendue par la société civile, les représentants des Etats autour d’un programme qui est principalement marqué par la présentation des rapports périodiques des Etats partis. Vous savez qu’il y a eu beaucoup de lancements, de publications que ce cela soit sur la situation des femmes défenseurs des droits de l’Homme, que ce soit sur des observations générales sur le planning familial, l’avortement médicalisé. Il y a eu également des lancements par rapport à la police et la justice, police et droit de l’Homme. Donc, nous sommes de mon point de vue en plein dans comment faire en sorte que dans chaque domaine thématique des droits de l’Homme en Afrique, nous puissions envisager, évaluer et revisiter les politiques et programmes avec les Etats, les Ong, voir quels sont les progrès qui ont été atteints, quels sont les défis qui persistent, mais ensemble, comment envisager des perspectives heureuses pour les populations dans un contexte dominé dans la sous-région par le terrorisme, le fondamentalisme, Boko Haram, les défis de la sécurité alimentaire, les défis en matière de transport. Vous avez vu tous les dysfonctionnements que les participants ont eu à avoir entre le Sénégal et la Gambie, deux pays voisins qui depuis 50 ans auraient pu favoriser un meilleur rapprochement des peuples par la route, le développement des moyens de transport qui puissent effectivement permettre à ce que les peuples africains s’intégrent…
Quelle appréciation faites-vous de la situation des droits humains du pays (Gambie) qui abrite le siège de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples ?
Vous savez que les 11 commissaires sont répartis entre les 54 pays de l’Afrique. Moi, je suis le commissaire en charge de la promotion des droits de l’Homme en Angola, au Niger, au Libye également en Guinée Equatoriale. Déjà à l’occasion de notre session extraordinaire qui s’est tenue ici en février, on a eu à faire état de certaines préoccupations. La commission a reçu également les allégations de la situation des droits de l’Homme en Gambie depuis le coup d’Etat avorté. Nous avions fait à l’époque une résolution condamnant les changements anticonstitutionnels, mais dans le même temps nous avions aussi reçu plusieurs allégations faisant état de cas d’arrestations arbitraires, de harcèlements de personnes supposées voir qui ont pris une part active ou pas de ce qui est convenu d’appeler le coup d’Etat avorté de décembre. Aux appels d’urgence, à la résolution que nous avions prise par rapport à cet état de fait sur la base des documents et des lettres, des correspondances que nous avions reçues de la part de certaines Ong non seulement locales, mais régionales et internationales, la Gambie a répondu pour apprécier et nous dire qu’il y a des interpellations qui sont faites dans le respect des droits des personnes interpellées. Nous avons demandé à ce que le pays puisse nous garantir d’entreprendre une mission d’établissement des faits. Nous avons été reçus par le ministre de la Justice, Garde des sceaux. Il ne s’agit pas pour nous de dénicher des choses, il s’agit pour nous de pouvoir les vérifier, de pouvoir donner des réponses, des apaisements, mais aussi notre contribution au règlement d’un certain nombre de problèmes.
Avez-vous demandé une mission d’enquête ?
Pour la Gambie, nous avons effectivement envoyé une demande de mission d’établissement des faits comme on le dit dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l’Homme. Cette mission permet de vulgariser la charte et les confronter avec les lois nationales pour voir effectivement si les standards ont été intégrés dans les lois nationales, le niveau du service judiciaire, la police, la gendarmerie.
On attend l’autorisation de la Gambie, nous pensons que l’interaction qui s’est développée autour de la nécessité de vérifier les allégations, la Gambie va accepter la mission d’établissement des faits.
En principe, il n’y a pas de raison que cette mission soit refusée, compte tenu de la discussion que nous avons eue. Nous avons adopté des résolutions, il y a eu des appels d’urgence de la part du commissaire en charge de la promotion des droits de l’Homme en Gambie. Je pense que la meilleure façon pour nous, mais également pour la Gambie de pouvoir avancer dans la même direction est de nous permettre d’entreprendre cette mission d’enquête et d’établissement des faits pour que nous puissions effectivement voir la maison de détention, les commissariats, rencontrer aussi les personnes dont les droits ont semblé être violés. Nous fondons un espoir sur la collaboration avec la Gambie qui est le pays d’accueil de cette commission africaine. Il n’y a pas de raison à ce que les relations soient seulement formalistes. Ils font des sessions, on vient à l’ouverture et puis on repart, l’interaction doit être profonde. Notre présence devrait pouvoir améliorer la perception, mais aussi la jouissance du citoyen gambien.
La Gambie qui abrite le siège ne présente pratiquement pas de rapport périodique. Comment appréciez-vous cette situation ?
Je n’ai pas fait le point de la situation par rapport à la Gambie, mais vous savez que les Etats ont souvent des problèmes internes de ressources humaines capables effectivement de conduire ce genre d’exercices parce qu’il n’y a pas que la commission africaine. Est-ce que la Gambie est à jour par rapport à ses rapports ou pas ? Mais je sais qu’ils ont l’habitude de présenter leurs rapports.
Pourquoi le silence sur la situation des droits de l’Homme en Gambie, Alors que tout le monde sait qu’elle est assez désastreuse ?
Je pense que cela peut provenir de deux choses : La première est la faiblesse des Ong nationales. Est-ce que ce sont des Ong qui se sont professionnalisées et qui, sans aller dans la délation, organisent effectivement des ateliers qui leur permettent d’avoir la véritable situation. La deuxième chose est aussi le travail des Ong de la sous-région : Il y a un Réseau africain de défenseurs des droits de l’Homme qui est basé à Lomé et qui en principe devrait pouvoir coordonner le travail des Ong dans certains pays. Nous savons qu’il y a des pays où il est plus facile pour les organisations de se défendre et s’organiser et d’autres pays ou par contre ce n’est pas facile de se défendre à cause des ressources. Ou alors les partenaires sont plus enclins ou plus à l’aise à financer les organisations ou les services de l’Etat plutôt que les organisations de la société civile.
Par ailleurs, il y a une question de formation, de ressources financières, mais une question aussi de la capacité même de ces organisations à pouvoir effectivement au niveau régional et international à relever les préoccupations. Des fois, vous pouvez être dans un pays et ne pas être capable de soutenir ce que vous dites, simplement parce que vous vous mettez ou l’organisation en danger.
Nous avons aussi des rapports alternatifs des organisations de la société civile qui nous permettent d’asseoir un certain nombre de choses et de voir quelles sont les limites des rapports des Etats par rapport à telle ou telle thématique.
L’année dernière, des organisations de la société civile ont mené une campagne médiatique et diplomatique pour demander la délocalisation du siège de la Cadhp dans un autre pays...
Je pense que les organisations de la société civile sont toujours dans leur rôle d’évaluation. Elles sont autorisées ou habilitées et ont vocation à pouvoir donner leur point de vue et à exprimer à partir de certains faits documentés des recommandations à la commission. Effectivement, il y a eu ce mouvement à la suite de l’exécution de certaines personnes en Gambie. Il y a eu des Etats comme le Sénégal qui ont protesté à l’époque.
Ces situations amènent les défenseurs des droits de l’Homme à se poser les vraies questions par rapport à la peine de mort. Ce travail en principe devrait aller dans le sens de l’observation du moratoire, surtout pour un pays qui l’avait observé et qui par la fin est revenu pour instaurer la peine de mort à cause de certaines considérations nationales comme la drogue, le terrorisme. Donc ces organisations effectivement avaient boycotté même nos travaux. L’année 2016, qui est consacrée aux droits de l’Homme, sera certainement le cadre idéal pour la Commission africaine de faire l’évaluation de son travail, celle de la collaboration avec l’Etat partie. Quelles sont les contraintes que vit l’organisation par rapport aux dysfonctionnements des transports, à la non satisfaction des acteurs de la société civile africaine, par rapport à ce qui se passe en Gambie ou ce qui aurait dû se faire dans ce pays. Donc, il y a toujours un cadre de concertation, de dialogue où la Gambie elle-même a pu se défendre et a pu améliorer un certain nombre de choses par rapport à notre environnement de travail. Mais ce n’est pas suffisant.
On vous reproche d’être souvent assis ou complaisants avec les Etats ?
Je pense que c’est un mauvais procès qu’on nous fait. Nous sommes à équidistance par rapport aux Etats en ce qui concerne l’examen, la discussion de tout ce qui nous est confié en tant qu’organe de promotion et de promotion des droits de l’Homme. Pour la protection, nous faisons des appels urgents adressés aux chefs d’Etat. Nous continuons à le faire. Par exemple, quand des journalistes avaient été mis en prison il y a quelques années et surtout des femmes, nous avons écrit au chef de l’Etat qui nous a répondu favorablement.
Il y a une interaction qui est là, elle n’est souvent pas visible. A chaque fois qu’il y a eu des allégations qui ont été portées à notre connaissance, nous avons pris les dispositions, les résolutions qu’il faut. Nous avons condamné la mort de Deyda Aïdara. Lorsqu‘aussi l’Etat a fait bien, nous le félicitons, lorsqu’il y a eu la tentative de coup d’Etat, nous l’avons dénoncée. Lorsqu’il y a eu aussi des allégations faisant état de la violation des droits de l’Homme, nous avons pris aussi des résolutions, des appels urgents, mais il y a une insatisfaction de la part des organisations de la société civile par rapport à la Gambie et l’Etat qui abrite la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Donc les exigences sont au top par rapport à ce que l’Etat devrait faire, mais je pense que nous traitons les dossiers de façon impartiale, professionnelle. Nous sommes totalement satisfaits de la collaboration avec les Etats. (...) Il y a des Etats qui continuent à dire : «Vous avez menti sur nous, sortez le nom de notre pays de votre rapport.» C’est des rapports assez difficiles, mais nous pensons qu’avec la pédagogie, avec l’action, la pression de la société civile africaine et internationale, mais aussi la responsabilisation qui fait qu’on veuille une Afrique démocratique, une Afrique où les gens n’ont plus faim, qu’ils puissent avoir la santé, accéder à l’éducation, nous y arriverons. Pour cela, il faut aussi la formation des citoyens eux-mêmes. On a vu partout où les droits de l’Homme sont respectés, ce sont les citoyens qui se sont mobilisés pour d’abord connaître leur poids et les obligations des Etats et rendre l’Etat comptable et redevable envers eux.
Il y a beaucoup de chantiers, mais c’est avec aussi les médias que nous devons interagir, essayer de les former aux droits de l’Homme et faire en sorte que des ressources adéquates leur soient procurées pour qu’ils jouent aussi leur partition dans la formation, l’information y compris dans les langues nationales. Je pense que nous devons mieux utiliser nos médias de façon qu’ils s’impliquent davantage dans l’information, la sensibilisation et que l’Etat puisse leur fournir les moyens de pouvoir faire ce travail.
En vous écoutant on se rend compte que l’Afrique est encore très loin des standards internationaux en matière de droits de l’Homme ?
Pas trop loin. Je pense que l’Afrique a besoin de pouvoir compter sur elle-même. Malheureusement, ce n’est pas facile parce qu’il y a les crises énergétiques, la famine, Ebola, la mal gouvernance. Il faut aussi que la vision et la perspective que nous voulons pour l’Afrique soient effectivement plus claires pour qu’on puisse avoir tout le monde à bord.
On parle de l’Agenda 20-63. Dans 50 ans, comment nous voulons que l’Afrique soit avec les femmes, les enfants, mais ce n’est pas facile avec l’analphabétisme. Et nous avons de nouveaux défis, le terrorisme, le fondamentalisme, l’insécurité avec Boko Haram, toutes nos filles qui sont violées, trafiquées, les populations qui sont pauvres et qui fuient les zones rurales parce qu’il n’y a plus rien, l’accès à l’eau potable, la santé qui n’est pas garantie. Effectivement, l’Afrique était confrontée à un certain nombre de problèmes, mais ils s’alourdissent encore et supportent aussi le poids du terrorisme parce que des sommes et des ressources qui devaient être mobilisées pour aller dans les secteurs sociaux vont maintenant à l’achat d’armes. Et parfois, ce sont des secteurs qui ne sont sous aucun contrôle, les armées font ce qu’elles veulent, il n’y a pas de contrôle citoyen sur un certain nombre de choses. Je pense que ce n’est pas de cela dont nous avons besoin. Nous avons besoin d’une jeunesse bien formée, qui aime son pays et l’Afrique et qui travaille dans le sens de l’amélioration des conditions des populations.
Durant la session, vous avez demandé à certains Etats de se mettre à jour. Pourquoi les Etats africains ont du mal à respecter le calendrier de présentation de leurs rapports périodiques ?
Je crois qu’il y a plusieurs raisons : Il y a d’abord des raisons internes comme la faiblesse des Etats à mettre eux-mêmes en place des commissions interministérielles de rédaction des rapports. Il y a des pays comme le Sénégal qui l’ont fait, le Mali l’a fait encore qu’il y a des problèmes de ressources financières. Il y a d’autres commissions devant lesquelles les Etats doivent aussi se présenter. On a souvent noté que nous sommes le parent pauvre parce que qu’ils se disent que nous sommes en Afrique, que c’est notre organe, on peut attendre. Je pense que cette façon de faire n’est pas la plus heureuse.
Nous avons une procédure qui fait que nous envoyons des notes verbales à un pays pour lui suggérer des dates et des termes de références et l’Etat prend le temps de répondre, d’accepter ou de ne pas accepter. Mais de plus en plus avec le dialogue interactif que les commissaires eux-mêmes font dans leurs pays, de plus en plus de pays répondent favorablement. Nous pensons aussi que des fois ces missions aboutissent au fait que sur place, nous discutons avec les ministres des Affaires étrangères, de la Justice et essayons de voir justement quels sont les problèmes qu’ils ont par rapport aux rapports périodiques, est-ce que les organisations de la société civile sont invités à prendre part à l’élaboration de ces rapports, est-ce que leur contribution est prise en charge et est-ce qu’il y a les ressources qu’il faut.
Quels sont les pays qui vous ont donné jusqu’ici satisfaction ou qui s’approchent des standards ?
Entière satisfaction ? Les droits de l’Homme, c’est des idéaux, on ne dira jamais qu’un Etat nous satisfait complètement, il y a ceux qui sont à jour sur leur rapport. Ceux qui n’ont jamais présenté de rapport comme la Guinée Equatoriale par exemple. Ceux qui ont des difficultés réelles à pouvoir conduire les droits de l’Homme dans le sens du respect de la Charte des droits de l’Homme. Quand vous évaluez, vous avez toujours des hauts et des bas, mais ce que nous voulons c’est qu’au sein même des Etats que les populations soient formées à leur droit, que les populations prennent en charge leur destin et que nous soyons un organe de facilitation, d’information de ce qui peut être fait. Un organe aussi d’examen de ce qui est fait, qu’on puisse discuter sur les défis, on veut des Etats francs qui disent voilà les difficultés, parce que nous formulons des recommandations, on veut aussi des Etats qui respectent le travail que nous faisons, ils doivent mettre les moyens nécessaires disponibles pour la société civile, les Parlements, aller à l’évaluation de ces recommandations et surtout à leur mise en œuvre. En matière de droit de l’Homme, il y a toujours des défis qui restent et nous ne sommes jamais satisfaits.
Au niveau du système des Nations unies, ils ont des autorisations ouvertes. Ce n’est pas le cas pour nous. Il faut envoyer une note verbale au ministre des Affaires étrangères qui va la répercuter au niveau du ministre de la Justice pour prendre la décision de foi qui se prend en Conseil des ministres. (...) Les Etats ne sont pas toujours réceptifs pour une mission d’établissement de faits : Le Maroc a refusé une mission sur les territoires non occupés au Sahara. Il y a eu une mission d’établissement de faits en Rca avec une organisation qui a été facilitée par l’Ua et les Nations unies, une mission d’établissement des faits est en train d’être menée pour aller au Sud Soudan, il y en a eu une pendant le conflit au Mali.