Alors que l’envoi d’un contingent de 2100 soldats sénégalais dans le désert saoudien n’a pas encore fini de révéler tous ses secrets, l’opposition et la société civile ruent dans les brancards en dénigrant ouvertement la décision du chef de l’Etat d’aller à la rescousse du royaume saoudien sous la menace des rebelle houthis du Yémen, voire de l’Iran. Après les parlementaires libéraux Modou Diagne Fada et Aida Mbodji, voire le leader de l’Urd Djibo Kâ, qui se sont ouvertement portés-en-faux contre l’initiative de l’Etat sénégalais, c’est au tour du porte-parole du Pds Babacar Gaye de déclarer sans fioritures qu’il y avait « autre chose à faire que de mettre en danger la vie de 2100 jeunes Sénégalais », dans ce conflit à mille lieux de nos frontières. Même la société civile a mis son grain de sel dans la vague de contestations contre la décision de Macky Sall. A l’instar du Forum civil avant-hier, lundi, et de la Raddho dont le patron Aboubacry Mbodji a jugé hier, mardi, l’initiative des autorités totalement « inopportune ». De sorte que Macky Sall semble se retrouver bien seul, dans cette décision d’envoyer les Jambars dans le désert saoudien, à l’exception de son camp (avec Maël Thiam, administrateur de l’Apr) et de certains de ses alliés (Ld) qui s’évertuent, au-delà de l’argumentaire du ministre des Affaires étrangères Mankeur Ndiaye, à rendre raison de cette initiative d’envoyer les soldats au front !
BABACAR GAYE, PORTE-PAROLE DU PDS : «...Autre chose à faire que de mettre en danger la vie de 2100 jeunes Sénégalais»
L’argument de la protection de Médine et de la Mecque, évoqué par le gouvernement pour justifier l’envoi de 2100 soldats sénégalais en Arabie saoudite, est un raccourci diplomatique. Le jeu géostratégique qui se déroule au Moyen Orient est beaucoup plus complexe que la protection des Lieux saints de l’Islam. Au Yémen se déroule une guerre civile avec une minorité chiite qui occupait une partie de ce territoire yéménite depuis plusieurs milliers d’années. Ces chiites ont pu, par leur entregent politique, géré le pays avec le président Ali Abdallah Saleh. Si aujourd’hui, après la rébellion des Sunnites qui a abouti au renversement du président Saleh, on peut valablement considérer que, par le jeu de ping-pong, Sunnites et Chiites se battent, qu’est-ce que le Sénégal a à faire dans ce combat qui intéresse plus l’Arabie Saoudite et l’Iran que la communauté islamique. D’autant plus que les Américains, membres de la coalition formée autour de l’Arabie Saoudite, ont retiré leurs troupes des territoires yéménites.
A l’heure actuelle, seul le Sénégal a décidé d’envoyer des hommes sur le terrain des combats. Il y a un risque certain pour nos soldats qui vont affronter les guerriers houthis, habitués à ces types de combats. Mieux, le Pakistan, aux dernières nouvelles, aurait refusé l’offre financière de l’Arabie saoudite pour impliquer ses soldats sur le terrain des combats au sol. Qu’est-ce que nous allons gagner ? Quel est le montant de la transaction diplomatique ? Je pense que le président de la République et son gouvernement devraient être beaucoup plus explicites pour dire la vérité aux Sénégalais d’abord sur la nature des relations que nous avons avec l’Arabie saoudite sur cette question. Il y a une série de questions qui nécessite des réponses très claires. Car, à l’heure actuelle, le Sénégal, malgré sa volonté de participer à la coalition mondiale contre le terrorisme devrait se hâter lentement et éviter d’exposer nos soldats, d’exposer notre État face à cette recrudescence du terrorisme au plan international. Eu égard à ce qui s’est passé au Kenya et ailleurs dans des pays impliqués dans la lutte contre le terrorisme. Ce qui est cocasse et qu’il faut souligner, c’est notre inconscience par rapport à la crise qui se déroule au Nigéria avec Boko Haram et au Mali mais aussi pour tous les théâtres de conflit en Afrique où des États, comme l’Arabie Saoudite musulmane en grande majorité, sont impliqués dans des conflits interethniques ou interreligieux. J’estime qu’il y avait autre chose à faire que de mettre en danger la vie de 2100 jeunes Sénégalais.
ABOUBACRY MBODJ, SG DE LA RADDHO : «C’est une décision inopportune qui a été prise à la hâte»
Nous trouvons en premier lieu que c’est une décision inopportune. Deuxièmement, nous pensons que si on devait prendre une telle décision, elle devait être partagée dans une large concertation. Elle devrait être soumise à l’Assemblée nationale. Nous considérons qu’envoyer 2100 soldats dans une guerre aussi compliquée contre le terrorisme est inopportun. Et surtout par rapport à ce que nous vivons en Afrique, nous pensons que le Sénégal aurait pu faire montre de plus de solidarité au sein de la Cedeao parce que nous avons vécu le conflit au Mali. Certes, ils ont envoyé des soldats au Mali, mais nous avons aussi les actes terroristes au niveau du Nigéria et le Sénégal n’y a pas envoyé de soldats, alors que c’est un Etat faisant partie de la Cedeao au même titre que le Sénégal. Nous n’avons jamais vu les Etats arabes envoyés des forces pour venir en aide à nos Etats. Ne serait-ce que sur cette base là, nous considérons que c’est une décision inopportune qui a été prise à la hâte.
Nous convoquons aussi les arguments juridiques, parce que le Sénégal est signataire de la Charte des Nations Unies. A l’article 7 de ladite charte, il y a un certain nombre de règles par rapport à l’envoi des soldats, surtout pour aller se battre contre un Etat. Aujourd’hui, quoiqu’on en dise, le Yémen est un Etat, même s’il est en déliquescence. Deuxièmement, le Sénégal est parmi les premiers pays à signer le Statut de Rome, la Cour pénale internationale. En ce sens, il y également des règles à respecter.
La position de la Raddho sur cette question est qu’on est surpris et cette décision suscite plusieurs interrogations par rapport à son opportunité. Les arguments du ministre Mankeur Ndiaye sur l’envoi de nos soldats n’ont pas convaincu la Raddho et c’est sûr qu’ils ne vont pas convaincre tous les citoyens sénégalais et même africains. Parce que déjà, il y a même des réactions de certains citoyens de certains pays qui considèrent qu’aujourd’hui, au lieu de venir en aide à certains pays comme le Nigéria, le Sénégal va au delà de l’Afrique pour soutenir l’Arabie Saoudite. Même s’ils évoquent les questions de religion, il y a un certain nombre de principes à respecter et tous ces principes là, nous considérons que le Sénégal ne les a pas respectés».
NDIAGA SYLLA, OBSERVATEUR POLITIQUE, EX-VICE PRESIDENT DU JËF JËL : «A priori, le nombre de soldats me semble trop élevé... A la limite, il fallait y envoyer un effectif symbolique...»
Je pense d’abord que le chef de l’Etat, compte tenu de sa position, car c’est lui qui définit la politique diplomatique et est en même temps le chef suprême des armées, compte tenu également de sa position de défenseur de la Patrie, est obligé de contribuer à la consolidation de la paix dans le monde. Nous ne devons pas aussi oublié les dispositions constitutionnelles allant dans ce sens là, que le Sénégal doit œuvrer à la préservation de la paix dans le monde. Partant de ce principe, le Sénégal se devrait, à la limite du possible, contribuer à l‘instauration de cette paix dans nos frontières et au-delà.
Maintenant, du point de vue technique, nous ne pouvons pas avoir la prétention en tant que non-initiés, de dire quel est le nombre de soldats qui devrait être envoyé en Arabie Saoudite. A priori, le nombre me semble trop élevé. Je me dis qu’à la limite, il fallait y envoyer symboliquement un certain nombre de soldats, surtout qu’à l’époque nous avons envoyé sur cette terre nos soldats, environ le dixième. Aujourd’hui, je ne peux pas comprendre qu’on puisse envoyer un effectif qui représenterait un pourcentage assez élevé par rapport à nos forces nationales, aussi loin du territoire alors que, comme nous le savons tous, la menace est toujours là. Elle est autour du Sénégal, au Mali, au Nigéria, etc.
Je trouve que la responsabilité de l’Etat est plus entière, parce que c’est eux, les tenants du pouvoir, qui ont la responsabilité d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Je pense qu’ils ont des appréciations que nous nous n’avons pas. Mais je pense qu’il faut revoir la proportion, même si en tant que non-initié, je ne peux pas prétendre donner des chiffres. Je pense qu’envoyer 2100 soldats aussi loin alors que la menace est toujours là me cause problème. Je ne suis pas d’avis qu’il ne faut pas y aller, parce que si on y va on peut être les cibles des terroristes. Parce que si nous voulons en fait combattre les terroristes, il nous faut avoir le courage de les combattre, mais sans état d’âme».
MOUHAMADOU MBODJ, COORDONNATEUR DU FORUM CIVIL : «Quand on regarde l’effectif des forces de sécurité, c’est une sur-sollicitation presqu’au-dessus de nos capacités»
Le Forum civil, par le biais de son coordonnateur Mouhamadou Mbodj, est foncièrement contre l’envoi des 2100 soldats en Arabie Saoudite. Réagissant dans la presse avant-hier, lundi, le ‘’droit de l’hommiste’’ a indiqué qu’il y a déjà trop à faire pour l’armée sénégalaise, dans la mesure où, selon lui, «le Sénégal est un petit pays militairement parlant et qui est fortement touché dans son territoire avec la crise en Casamance». De l’avis de M. Mbodj, «quand on regarde l’effectif des forces de sécurité au Sénégal, c’est une sur-sollicitation presqu’au-dessus de nos capacités». Pis, convoquant la menace djihadiste aux portes du Sénégal, le patron du Forum civil s’interrogeait déjà sur la pertinence militaire de prélever dans les forces sénégalaises et de transporter ces soldats dans un conflit loin de nos territoires, au Yémen. «Est-ce que cette décision présente un intérêt pour le Sénégal à moyen ou long terme», s’était-il demandé.
Par ailleurs, pour réconforter sa position, le ‘’droit de l’hommiste’’ a trouvé que ni la Mecque qui polarise l’attention de tous les musulmans, ni la ville de Médine qui abrite le tombeau du prophète (Psl) ne sont menacées. Par conséquent, se reposant sur le fait que le Yémen polarise une bonne partie du mouvement terroriste mondial, M. Mbodj a prévenu que «cela risque d’ouvrir une brèche qui nous mettrait en face du terrorisme». D’ailleurs, il avait tenu à rappeler le carnage des 93 soldats sénégalais dans le conflit du Golfe, en 1991, pour dire que le Sénégal n’a pas suffisamment tiré le bilan.
MAËL THIAM, ADMINISTRATEUR DE L’APR : «...La seule attitude qui soit citoyenne, c’est de faire corps autour du Président...»
Je trouve ces diverses sorties regrettables, surtout venant de parlementaires. Ce sont des appréciations qui mettent à nu le manque de civisme de certains députés. Parce que, quand il s’agit d’une question nationale, aussi importante que l’envoi de nos soldats, après que le président de la République, fort des informations qu’il a obtenues et conformément aux prérogatives que lui confère légalement la Constitution, prend la décision d’envoyer nos soldats, la seule attitude qui soit citoyenne, c’est de faire corps autour du président de la République et de prier de sorte que nos soldats réussissent leur mission et nous reviennent indemnes.
C’est regrettable que des élus du peuple ne respectent pas le peuple qui a voté lui-même la Constitution qui confère au président de la République cette exclusive prérogative. C’est regrettable. Malheureusement, les situations militaires entre le Mali et l’Arabie Saoudite ne sont pas transposables. Parce que les réalités qui ont poussé le Sénégal à intervenir à un moment donné au Mali ne sont pas les mêmes. On ne le pense pas comme ça quand il s’agit d’engager des vies humaines. Qu’on ait envoyé des soldats en Arabie Saoudite ou pas, le débat sur la menace du terrorisme n’est pas un débat d’aujourd’hui. Au contraire, ce sont ceux-là qui parlent, qui aiguisent cette menace-là. Qu’on arrête de distraire le peuple !
MOUSSA SARR, PORTE-PAROLE DE LA LIGUE DEMOCRATIQUE (LD) : «Que l’État prenne des dispositions afin que nos Jambars soient dans de bonnes conditions»
«La Ligue démocratique (Ld) est en phase avec le gouvernement concernant cette décision au nom du principe de la solidarité internationale bien qu’elle n’est pas été consultée. Dans le principe, nous ne pouvons pas nous opposer à l’envoi de soldats sénégalais à l’extérieur pour défendre des pays qui sont menacés. Maintenant, je ne sais pas si effectivement l’Arabie saoudite est menacée ou pas. Mais, je dis simplement que nous devons agir partout pour sauvegarder les hommes et les femmes qui sont menacés. Parce que, au-delà de la question relative à la géographie, ce dont il est question, c’est la vie des hommes et des femmes. Maintenant, c’est vrai que le contexte régional et sous-régional est difficile mais c’est la coopération militaire entre les États.
Le Sénégal ne peut, à lui seul, assurer sa propre sécurité. Je ne le souhaite pas mais, demain, le Sénégal peut être dans une position qui nécessite que nous demandions le soutien des pays frères. La situation sécuritaire est tellement menaçante aujourd’hui qu’aucun pays, à lui seul, ne peut assurer sa propre sécurité.C’est pourquoi, quand des pays frères sont menacés, il est de notre devoir de les soutenir. C’est cette solidarité internationale qu’il faut mettre en avant et c’est cette solidarité que la Ld salue tout en soulignant qu’elle ne doit pas se faire au détriment du peuple sénégalais encore moins de son armée nationale. Nous souhaitons tout simplement que l’État prenne des mesures afin que nos soldats soient dans de bonnes conditions et qu’ils aient moins de risques possibles. C’est le minimum que nous attendons du gouvernement… La position de la Ld est que l’État prenne des dispositions afin que nos Jambars soient dans de bonnes conditions.