A l’occasion de la célébration de la fête des travailleurs, Mballo Dia Thiam, secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (SUTSAS) n’a pas l’esprit à la …fête. Le patron du Sutsas qui dit avoir donné du temps à l’Etat regrette une position dilatoire des autorités. Interrogé à la veille de cette fête internationale des travailleurs, il retrace les péripéties qui ont conduit à la récente grève des travailleurs de la santé et donne son avis sur le bras de fer entre l’état et les syndicats d’enseignants.
A quelles heures de la fête du travail, dans quel état d’esprit se trouve le Sutsas ?
Le Sutsas va défiler avec l’Unsas et les autres centrales syndicales qui sont dans la confédération nationale des centrales syndicales. Nous avons appris qu’il ne s’agira pas d’un cahier de doléances mais le plan d’actions regroupant l’ensemble des préoccupations que les centrales syndicales ont confiné dans un document. Tout compte fait, nous n’avons pas grand espoir, c’est un rituel. Le pacte de stabilité économique et social a été signé et l’on a considéré que quand on agrège les revendications des différentes centrales syndicales relatives à certaines questions telles que la fiscalité, on aura réglé les problèmes. Or, tant qu’on ne règle pas les questions sectorielles, on sera toujours dans ce cercle vicieux de revendications, de négociations.
Quelles sont vos points de revendications ?
Nous avions 57 points. Mais, il faut d’abord souligner que sur ces points, les questions à incidence financière n’ont pas été abordées par le gouvernement. Il nous avait demandé d’attendre les conclusions d’une étude sur la rémunération. Au terme de cette étude, un système de rémunération plus attractif et plus équitable devrait être proposé aux agents de l’Etat pour ne pas dire aux syndicats. Il s’agit d’une étude globale et exhaustive de tout le système de rémunération dans la Fonction publique, parce qu’ils ont dit que l’ancien régime (celui de Wade, NDLR) a déréglé ce système, en octroyant des indemnités à certains corps qui ne devraient pas en bénéficier. A les entendre, le système est complètement déréglé au point de manquer d’équité et d’attractivité. Nous attendons des propositions concrètes dans une perspective de disposer d’un système de rémunération plus attractif, plus équitable. Mais, il faut rappeler que tous les acquis du Sutsas ont été obtenus de hautes luttes de 1984 à nos jours. On ne nous a rien donné. C’est pour cette raison que nous n’accepterons pas un nivellement par le bas qui nous priverait de nos indemnités. Sur ce point, nous avons déjà mis en garde le gouvernement.
Quelles sont les revendications qui n’ont pas d’incidence financière ?
Nous avons la loi sur la transplantation rénale. La panacée rénale n’est pas la dialyse qui est simplement un moyen de soulager le patient, mais plutôt la greffe de reins. Donc, cela mérite une loi pour encadrer le don et la conservation d’organes et, subsidiairement, la transplantation. Nous voulons aussi une loi sur la transfusion sanguine, parce que le Centre national de transfusion sanguine (Cnts) ne fonctionne plus à l’image de la Pharmacie nationale d’approvisionnement (Pna) qui est aujourd’hui une maison mère avec des structures décentralisées. Ici, chaque banque de sang a son standard et, même s’il y a quelques supervisions, il y a des choses à faire de manière globale au niveau de la transfusion sanguine. Là aussi, une loi est nécessaire. Nous avons un accord de principe, mais jusqu’à présent elle traîne. C’est valable aussi pour la médecine traditionnelle. Depuis l’indépendance, aucune loi ne règlemente de manière précise l’exercice de la médecine traditionnelle et de la pharmacopée. Le projet de loi était partie à l’Assemblée mais elle est revenue sans être votée. C’est valable pour la loi d’orientation familiale. Si nous avons tous ces problèmes au niveau de l’éducation, c’est parce que la famille a éclaté. On n’a plus cette famille d’antan. Aujourd’hui, elle n’est ni africaine, ni européenne, ni nucléaire. Les parents ont démissionné. Et, pour revenir à cette famille d’antan qui est un creuset de valeurs, il faut une loi d’orientation familiale qui n’a rien à voir avec la loi d’orientation sociale. Cette dernière est une recommandation des conclusions des assises nationales sur l’action sociale pour lesquelles le Sutsas s’est battu. En son temps, il y avait un comité scientifique et un comité d’organisation. Lors des travaux, il n’y avait que deux allocutions ici au King Fadh Palace. J’avais délivré le message portant sur les préoccupations des cibles de l’action sociale que sont les personnes vivant avec un handicap et le système dans son ensemble. A la suite de ces assises, nous avons eu droit à des recommandations, principalement celles concernant la loi d’orientation et la ratification de la Charte internationale sur les droits des personnes vivant avec un handicap. Il avait fallu encore bousculer les gens pour la ratification de cette Charte et le vote de la loi d’orientation sociale en 2010. Et on aura encore attendu deux ans pour que le nouveau régime arrivé en 2012 signe le décret instituant la commission spécialisée qui devait délivrer ce qu’on appelle la carte d’égalité des chances. Ensuite, il nous a fallu trois ans – de 2012 à 2015 – pour que cette carte soit disponible. Néanmoins, nous nous félicitons de cette avancée car comme le dit l’adage, il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Avez-vous des avancées sur les revendications relatives au statut des personnels de la santé ?
Nous avons une plateforme minimale composée de 9 points. L’un de ces points, le 8e – la carte d’égalité des chances – vient d’être réglé. Mais, pour le 1er point qui concerne l’élection de représentativité syndicale du secteur de la santé, nous attendons encore. Nous pensons que ces élections doivent se tenir pour que l’on sache qui est qui. Il en est de même pour le statut du personnel des établissements publics de santé qui est en train de faire son long chemin depuis 2003. Cette revendication est élargie au statut des directeurs et des PCA. La question des heures supplémentaires également constitue un autre point de revendication. L’Etat avait promis de revisiter le décret, mais jusqu’ici, il ne l’a pas fait.
A vous entendre, vous êtes visiblement pas content de l’attitude de l’Etat…
Nous avons attendu un an, du 17 février 2014 au 17 février 2015. Et, bien avant, nous avons négocié pendant presque 3 mois. Le gouvernement a attendu la fin de 2013 pour commencer les négociations et les terminer en mi-février. Donc, vous voyez bien que nous avons attendu près de deux ans. Nous avons le sentiment de faire face à des manœuvres dilatoires, surtout en ce qui concerne le statut du personnel.
Vous semblez dire que vous n’avez pas manqué de patience ?
Nous avons donné du temps au temps et au régime. Depuis 2012, personne n’a vu le Sutsas dérouler un plan d’actions au plan national. Il y a eu des luttes sectorielles parce que les hôpitaux étant des entreprises, il ne manque pas de conflits souvent. Mais, au plan national, c’est la première fois qu’on mène une action de cette envergure. Et, vous avez remarqué que nous sommes allés crescendo. On pouvait à l’expiration du préavis le 24 mars 2015, décréter 48 ou 72 heures. Nous avons attendu encore 15 jours pour donner le premier coup de somation, le 16 avril 2015 par un sit-in, tout en respectant le service minimum et les urgences. Une semaine après, nous avons organisé une marche. Je pense que c’était suffisant pour que le gouvernement accélère la cadence avant d’en arriver à la grève du 28 avril au cours de laquelle nous avons décrété 24 heures. Et, même à ce niveau, nous pouvions décréter 48 heures. Non seulement nous avons fait preuve de patience, mais aussi de tolérance et d’humanisme. Nous pensons que de l’autre côté, il faut beaucoup plus de responsabilité.
Pourtant le ministre de la Santé et de l’Action sociale est membre du Sutsas…
Elle est du Sutsas, elle s’est battue dans les rangs du Sutsas, mais aujourd’hui elle est membre du gouvernement. Et, quand elle est arrivée à la tête du ministère, nous lui avons dit qu’on ne donnait un chèque à blanc à personne ; elle est jugée sur les actes. Nous sommes un syndicat autonome, indépendant, un syndicat de combat.
En tant qu’acteur syndical que pensez-vous de la grève des enseignants ?
Nous sommes solidaires des enseignants, un corps qui mérite beaucoup plus de considérations. Je pense que si l’on avait allié l’acte à la parole, on n’en serait pas à cette situation. Et, même la question de la coupure des salaires est relative. En France, on disait que si la rupture du contrat est de la responsabilité de l’employeur, les journées de grèves doivent être coupées. A contrario, si cette rupture est de responsabilité des travailleurs, ceux-ci doivent perdre ces journées de grève. Mais, si l’Etat signe des accords qu’il ne respecte pas, je pense que c’est exagéré de couper des salaires.
Vous n’êtes sans doute pas en position de proposer une solution de sortie de crise…
Sans doute, parce que nous sommes dans la même situation. Mais, ce que je déplore c’est cette attitude des centrales syndicales qui s’érigent en structures de médiation alors qu’elles devaient fédérer les luttes. Si les organisations sectorielles s’unissent dans une centrale, c’est pour disposer de plus de force pour mener le combat. En jouant aux médiateurs, les centrales ne sont pas dans leur rôle. Laissons la médiation au Haut conseil pour le dialogue social.
Comment se dessine l’avenir du syndicalisme au Sénégal ?
Le syndicalisme a de beaux jours de lui. Tant que les machines tournent, il y aura des revendications. Les approches syndicales peuvent différer avec des acteurs qui peuvent avoir des approches participationnistes et d’autres qui n’y adhèrent pas