Banjul, capitale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples ou capitale de la violation des droits de l’Homme ? Les deux en même temps, si on en croit les révélations faites par les Ong de défense des droits de l’Homme. Depuis le coup d’Etat avorté de décembre dernier, la situation s’est dégradée dans ce pays dirigé d’une main de fer par Yahya Jammeh.
La restriction des libertés en Gambie ulcère les Organisations de défense des droits de l’Homme alors qu’elle abrite le siège de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (Cadhp), qui tient d’ailleurs sa 56ème session ordinaire à Banjul (21 avril au 7 mai). Le discours de la directrice du bureau Afrique de l’Ouest de l’Organisation pour la liberté d’expression Article 19, Fatou Jagne Senghor, a décrit une situation catastrophique qui a donné des sueurs froides aux délégations présentes dans la salle.
Malgré les résolutions et recommandations de la Cadhp, le Président Yahya Jammeh et son pouvoir continuent, selon l’Ong Article 19, de «bafouer de manière systématique et impunie les droits humains les plus élémentaires des populations». Ces violations sont légitimées par des lois «liberticides» adoptées ces dernières années pour renforcer un cadre juridique «déjà répressif». Cette situation s’évalue à la répression systématique des «voix dissidentes et le bâillonnement de la presse» dans le contexte de la répression du putsch manqué de décembre 2014.
Après le coup d’Etat manqué, le régime de Yahya Jammeh a procédé aux arrestations des parents et proches des «personnes soupçonnées d’être impliquées dans le coup d’Etat et détenues dans des lieux secrets sans possibilité d’accéder à leur famille ni de bénéficier d’une assistance d’avocats».
Trois nouveaux condamnés à mort
Face à cette situation, la patronne d’Article 19 Afrique de l’Ouest appelle la Cadhp à demander au pouvoir en place de restituer aux familles les corps des personnes tuées en décembre et «d’arrêter les persécutions et les intimidations des citoyens». Elle rapporte que depuis le putsch manqué, plus 30 personnes, dont des femmes et un enfant de 13 ans proches des mutins, ont été arrêtées et détenues dans des lieux tenus secrets. Pis, les corps des personnes tuées pendant le coup d’Etat sont toujours gardés et confisqués par les autorités. Par conséquent, les familles sont intimidées et plusieurs de leurs proches ont fui le pays pour échapper aux représailles du régime, qui maintient la pression pour sans doute dissuader les éventuels candidats qui voudraient s’aventurer dans ce schéma. En mars 2015, des personnes soupçonnées d’avoir pris part au coup d’Etat de décembre 2014 ont été condamnées par la Cour martiale, dans un procès «qui ne respecte pas le droit à un procès équitable». Parmi elles, trois ont été condamnées à mort.
Face aux commissaires de la Cadhp, Fatou Jagne Senghor soutient que les familles qui auraient «l’outrecuidance» de chercher des informations sur leurs proches sont menacées d’emprisonnement. Elle dénonce, en plus, l’action du gouvernement gambien qui continue «les écoutes téléphoniques illégales des familles de ceux qui sont liés au coup d’Etat et à faire du porte à porte dans les domiciles à la recherche des putschistes».
Dans la même veine, le représentant la Fédération internationale des droits de l’Homme (Fidh) auprès de la Cour de l’Union africaine et chef de délégation de la Fidh auprès de la Cadhp, Mabassa Fall, a poursuivi la plaidoirie : «La commission a pris des résolutions très fortes sur la Gambie qui doit respecter ses engagements internationaux. Les traités et conventions sont au dessus des lois nationales. La Gambie n’a pas le monopole de la violation des droits de l’Homme.» Il soutient qu’il est temps pour le pays de «revenir vers la légalité et vers la loi des Africains, constituée par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, par le renforcement de la législation par un système judiciaire qui ne soit plus sous les ordres de l’Exécutif».
Répression et musellement de la presse
Aujourd’hui, les défenseurs des droits de l’Homme se désolent que «des arrestations arbitraires, des persécutions tous azimuts de journalistes, de dissidents et de citoyens ordinaires continuent dans l’impunité la plus totale». Ces «violations» remettent en cause les engagements de la Gambie qui avait présenté des garanties d’un pays qui respecte les droits humains lors de la création de l’institution en 1987. Les faits replongent Banjul dans l’amère réalité qui lui donne le titre de «la capitale de la violation des droits humains en Afrique, entachant ainsi la crédibilité du mécanisme africain de droits humains». Depuis 20 ans, le pays n’a pas présenté de rapport sur l’état de mise en œuvre de la Charte. Il accumule du coup un retard de 10 rapports et n’a accueilli aucune mission de promotion de la commission.
En outre, le dernier rapport du pays portant sur les prisons date de 1999. Alors que les conditions dans les prisons et autres lieux de détention des prisonniers politiques et centres de détention secrets n’ont cessé de se dégrader. Il existe à ce jour plusieurs cas documentés de disparitions forcées, de maltraitances et de tortures commis sur les détenus. Une situation confirmée par les rapporteurs des Nations unies lors d’une visite en Gambie en 2014 sur les exécutions sommaires et extrajudiciaires et sur la torture. Des rapporteurs ont été empêchés par les autorités gambiennes de mener à terme leur mission.
La répression systématique des voix dissidentes et le bâillonnement de la presse et de l’espace civique ont connu de l’ampleur depuis le coup d’Etat manqué du 30 décembre 1994 dans le pays. Le ton avait «malheureusement» été donné en octobre de la même année, avec le vote de lois durcissant le Code pénal et aggravant les peines concernant la pratique de l’homosexualité, regrette Japhet Biegon, représentant d’Amnesty international. Il a dit : «La Gambie ne peut pas continuer à ignorer les remarques et recommandations de la communauté internationale en continuant à réprimer les médias et les personnes qui critiquent le régime. Nous continuerons à dénoncer la violation des droits de l’Homme dans ce pays et la disparition de journalistes.»
Depuis 2006, personne n’a eu les nouvelles du journaliste Ebrima Maneh qui a disparu sans refaire signe de vie. La rapporteur spéciale de la Cadhp sur la liberté d’expression, Me Tlakula, a indiqué que la commission a saisi les autorités gambiennes pour en savoir davantage. Mais la réponse apportée par Banjul n’augure rien de bon : «Les autorités disent qu’elles ne savent pas où se trouve M. Maneh. Voilà où nous en sommes.» Et là où en est la Gambie qui abrite le siège de la Cadhp...
Effets de la campagne pour la délocalisation du siège de la Cadhp
La Gambie réplique aux critiques
La campagne pour la délocalisation du siège de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (Cadhp) avait fait rage ces derniers mois. Choquées par la violation des droits de l’Homme, les Ong avaient lancé une vaste offensive médiatique pour pousser l’Union africaine à délocaliser le siège dans un autre pays pour «sanctionner la Gambie».
Ladite campagne semble porter ses fruits si on tient compte de «quelques efforts» consentis par Banjul, notamment en termes de présence tout au long des séances. «Il y a un effort parce que d’habitude, il n’y avait aucun représentant gambien dans la salle. Cette année, il y avait au moins une personne qui répondait aux accusations de violation des droits de l’Homme.»
Tout au long de travaux, le représentant gambien a tenu à apporter la réplique en parlant «de fausses accusations des Ong sur les affaires de torture, de violation de la liberté d’expression».