Dakar, 2 mai 2015 (AFP) - Manque de ressources humaines et de laboratoires,
sanctions dérisoires, cherté des produits pharmaceutiques: l’Afrique
représente une proie facile pour "l’industrie assassine" des faux médicaments
qui prospère sur la mondialisation, se sont alarmés des experts réunis cette
semaine à Dakar.
"Des milliers de personnes perdent la vie" sur le continent, victimes des
faux médicaments, ont souligné les participants à cette conférence, à
l’initiative de la Fondation Chirac pour l’accès à une santé et des
médicaments de qualité, la Fédération internationale des fabricants et
associations pharmaceutiques (IFPMA) et l’Association pour l’information sur
les médicaments (DIA).
Selon un numéro spécial de l’American Journal of Tropical Medicine and
Hygiene paru en avril sur la qualité des médicaments, un faux antipaludéen et
un autre de piètre efficacité sont ainsi incriminés dans la mort de 122.350
enfants africains en 2013.
En Afrique, le tiers des médicaments contre le paludisme, maladie la plus
mortelle du continent, est constitué de "faux", une proportion qui peut monter
à 40% au Ghana et au Cameroun, voire près de 64% au Nigeria, selon les experts.
Les faux médicaments sont "une industrie assassine en plein essor" en
Afrique, a résumé le directeur national de la pharmacie du Sénégal, Pape
Amadou Dièye, lors de la réunion, en présence de spécialistes du monde entier,
avec le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates et de la Banque mondiale.
Cette contrefaçon, estimée à 15% des médicaments dans le monde, peut
atteindre 30% en Afrique, selon les experts.
- ’Vendus comme des tomates ou des oignons’ -
"Les défis sont énormes", affirme Margareth Ndomondo-Sigonda, une
responsable du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad),
égrenant les carences du continent: Capacités humaines et financières
limitées, absence de laboratoires de contrôle, réglementation incomplète,
manque de pharmacies en zone rurale...
"Les faux médicaments sont vendus comme des tomates ou des oignons sur les
marchés", déplore Sybil Yeboah, une responsable de l’Organisation
ouest-africaine de la Santé.
"C’est un marché très prometteur" d’autant plus que l’Afrique "n’a pas ses
propres moyens de production de médicaments", souligne-t-elle.
En Afrique, "30% des médicaments contrefaits viennent de l’Inde et de la
Chine", dit-elle, citant des statistiques de l’Organisation mondiale de la
Santé (OMS).
Même si le Nigeria est cité parmi les pays producteurs de faux médicaments,
l’Afrique contribue marginalement à leur production, avec "moins de 5%", selon
un participant.
Le marché des faux médicaments est favorisé, selon les documents distribués
lors de la conférence, par des facteurs tels que "l’offre de médicaments
inférieure à la demande, l’ignorance, les prix élevés des médicaments et la
porosité des frontières" en cette période de mondialisation.
"Renforcer la coopération internationale entre Etats et acteurs de la santé
est primordial", a rappelé le directeur général de l’IFPMA, Eduardo Pisani.
"Il faut aussi que l’Inde et la Chine jouent un rôle" pour empêcher les
faux médicaments produits par leurs entreprises d’arriver en Afrique, a relevé
un participant.
Dans un article de la publication de l’American Journal of Tropical
Medicine and Hygiene en avril, l’ancienne directrice de la Food and Drug
Administration (FDA), l’agence américaine du médicament, le Dr Margaret
Hamburg, relève que la mondialisation complique la traçabilité des produits
pharmaceutiques.
Elle prône en conséquence "un mécanisme mondial de contrôle de qualité et
de sécurité pour empêcher des malades d’être exposés à des produits falsifiés".
Quant à la répression du trafic de faux médicaments, elle reste
insignifiante par rapport à la gravité du phénomène en Afrique, avec des
peines jugées peu dissuasives.
Ainsi, au Sénégal, ce délit est passible de six jours à six mois de prison.
Dans ce pays, 42 personnes arrêtées en mai 2014 pour des faits de cette nature
ont été condamnées chacune à 15 jours de prison.