Ordres différents, guerre de positionnement, interventions politiques, mercantilisme syndical, corruption, problème de démocratie interne… les organisations se créent à un rythme exponentiel, surtout depuis 2000, du fait surtout des multiples ingérences du régime libéral. Le monde syndical dans l’Education est devenu une auberge espagnole. Il y a du tout venant. Bref, le ver semble être bien logé dans le fruit.
«La majeure partie des responsables syndicaux et des enseignants ne sont mus que par des considérations professionnelles, mais nul n’est dupe ou naïf pour ne pas savoir qu’il y en a d’autres qui ont des connections et qui sont dans des manœuvres pour des agendas autres que syndicaux, soit parce qu’ils travaillent contre le régime du Président Macky Sall, soit parce qu’ils en veulent au ministre Serigne Mbaye THIAM». Ces propos sont du dernier nommé, le ministre de l’Education nationale, dans une interview parue dans l’édition d’EnQuête du mardi 21 avril.
Cette affirmation venant de l’Etat, vraie ou fausse, pose au moins une question sur la table : l’ingérence du politique. A l’heure où l’avenir de milliers d’enfants est hypothéqué par une grève sans fin, il nous semble utile de revisiter les liens entre les deux sphères. En réalité, les liens entre le monde syndical et le monde politique sont anciens au Sénégal. Ils datent du temps de Senghor. Il devrait y avoir une étroite connexion entre la formation syndicale et celle politique. «Officiellement, tout travailleur membre du parti devait obligatoirement être membre de l’UNTS, et tout membre de l’UNTS ne pouvait pas adhérer à un autre parti», lit-on dans le magazine scientifique ‘’Solidaires international’’ n°6 du Printemps 2010.
Ceci a amené alors les partis clandestins à investir l’UNTS pour y mener leur combat politique. La reconnaissance des quatre courants n’a pas changé la donne de manière décisive. L’espace syndical continuait donc à être le champ des combats politiques. C’est justement cette tradition qui va se perpétuer et sera reconduit dans le SUDES. Différentes sensibilités politiques se sont retrouvées pour être à la tête de ce syndicat créé en 1976, après la dissolution en 1973 du premier syndicat autonome des enseignants, le SES.
La preuve de cette présence politique dans le passage suivant tiré du document susmentionné. « Maguette Thiam, le premier secrétaire général du SUDES de 1976 à 1979, était membre du bureau politique du PIT. Mamadou Ndoye qui lui a succédé entre 1979 et 1981, était au BP de la LD/MPT. Il a été alors remplacé par Madior Diouf, actuellement secrétaire général du RND. Babacar Sané qui était membre de la direction du SUDES a été le premier secrétaire général de la LD/MPT lorsqu’elle a été reconnue en 1982. Bathily, l’actuel secrétaire général de la LD/MPT était en charge de la politique revendicative du SUDES dans l’enseignement supérieur. Et ainsi de suite. Les germes de la scission étaient là. »
Cette scission ne tarda pas à se réaliser. Abdou Diouf arrive au pouvoir. Et la reconnaissance de tous les partis ouvre les hostilités. «Après les purges qui touchèrent les maoïstes, la rivalité a opposé la LD/MPT au PIT, elle conduisit à l’éclatement du SUDES». Au congrès de 1984, le SUDES est divisé en deux entités. Selon le témoignage de Mamadou Diouf dans le document du Pr Buuba Diop, Mamadou Ndoye, écarté du secrétariat général du SUDES, a travaillé pour le redevenir. «N’y étant pas parvenu au congrès de 1984, il a alors organisé une scission qui continua à utiliser le sigle SUDES», soutient-il. D’où l’existence du SUDES-Madior et du SUDES-Ndoye. Après une bataille de trois ans, le SUDES Mamadou Ndoye prend le nom de l’Union démocratique des enseignants et enseignantes UDEN en 1987. Entre-temps, le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES) est créé à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
‘’Militants affectés administrativement’’
Ces derniers estimaient à l’époque être lésés, du fait de leur nombre. «Ces organisations qui traversent tous les ordres suivent la pyramide. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup plus d’enseignants dans le primaire que dans le moyen-secondaire et le supérieur. C’est donc une question de masse. La conséquence logique est que les enseignants à l’université ont toujours été à la marge du point de vue des acquis. En guise d’exemple, Un instituteur adjoint était mieux payé à l’époque qu’un assistant à l’Université», relève l’actuel secrétaire général Seydi Ababacar Ndiaye.
Dans les années 90, avec l’arrivée des volontaires et vacataires, le gouvernement a favorisé la création de nouveaux syndicats pour contrer ceux dits classiques à savoir le SUDES et l’UDEN. Des syndicats qui ont fait beaucoup de mal à ces deux précités, si l’on en croit Seydi Ababacar Ndiaye. C’est le cas du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (SELS), de l’Union des enseignants du Sénégal (UES) notamment. Mais ces deux organisations se sont effritées à leur tour. Par exemple, il y a eu une partie du Sels qui a cru devoir rendre la monnaie de sa pièce en devenant un mouvement de soutien à certains ministres. D’autres syndicats comme le SNEMS et l’ADS sont créés. L’ADS est d’ailleurs un cas emblématique de la présence du politique dans le monde syndical. En effet, en 1992, Me Abdoulaye Wade a appelé ses militants à quitter les syndicats dans lesquels ils sont, pour créer le leur. C’est ainsi que certains, répondant à son appel, ont mis en place l’ADS, rappelle Amadou Diaouné, l’actuel secrétaire général du SUDES.
A partir de 2000, on note un foisonnement de syndicats, avec parfois la bienveillance du régime libéral. Le président Wade, estimant que la participation responsable pouvait toujours prospérer, a voulu domestiquer les syndicats et/ou favoriser la création d’autres. C’est ainsi que des syndicats ont bénéficié de favoritisme étatique. L’exemple le plus emblématique de cette intrusion de l’Etat dans le monde syndical reste la décision du Pr Moustapha Sourang. Ce dernier, en 2003, en tant que ministre de l’Education nationale, a sorti une circulaire demandant aux inspecteurs académiques et départementaux de prélever directement 500 F sur chaque volontaire et vacataire pour les verser au SELS et à l’UES. Autrement dit, le ministre avait fait adhérer les volontaires dans ces deux syndicats, sans leur avis et parfois contre leur gré. Cette situation a perduré au moins jusqu’en 2008, selon un interlocuteur. D’où l’expression ‘’militants affectés administrativement’’.
‘’Tout s’est aggravé avec Kalidou Diallo…’’
En 2008, arrive Kalidou Diallo. Lui non plus n’a pas fait mieux que les autres, au contraire. Seydi Ababacar Ndiaye déclare témoigner pour l’histoire. Il affirme : ‘’Tout ceci s’est aggravé avec l’avènement du ministre, mon ami Kalidou Diallo, qui a beaucoup aidé à cette émiettement’’. A titre illustratif, le dernier ministre de l’Education de Wade qui a battu le record de longévité (2008/2012) a mis en place les enseignants de la Génération du concret. Un ministre de la république, chargé de l’éducation, qui crée une organisation presque syndicale, pas sûr que ce soit un rien. Un interlocuteur qui relève les pouvoirs en sa possession y voit un trafic d’influence. «Il peut faire de toi un proviseur, il peut faire venir à Dakar un enseignant qui est à Kédougou. Tout cela peut s’échanger contre une adhésion. Le contraire est là également, puisque ça peut être brandi également comme sanction pour obliger un enseignant à adhérer», fait-il remarquer.
Il y a des syndicats qui par contre sortent complètement de ce cadre. À l’heure actuelle, on parle d’une cinquantaine de syndicats dans l’enseignement. Or, il suffisait de faire un sondage chez les acteurs scolaires eux-mêmes pour se rendre compte qu’il n’y a pas plus d’une dizaine de syndicats visibles sur le terrain. Où sont les autres ? Qui sont leurs militants ? Mystère. Et le constat est que ces dizaines de syndicats sont nés du temps de Wade. Et ça à l’air très facile. «Quelqu’un peut se lever avec deux personnes et créer son syndicat», regrette Seydi Ababacar Ndiaye. «Chaque syndicat qui naît réclame une permanent syndical, on lui en donne», ajoute Amadou Diaouné.
Un surplus de 17 000 check off
Pour ceux-là, le problème est moins une influence politique qu’une affaire personnelle, un business. C’est ce que certains appellent «le syndicalisme affairiste» ou ‘’syndikhalisme’’ (khalis : argent en wolof) pour reprendre un terme en vogue. L’intérêt est double pour le créateur du syndicat. ‘’Les professeurs qui voulaient quitter les classes pouvaient créer un syndicat pour être un permanent syndical’’. Et adieu la craie ! Il s’y ajoute les prébendes, issues de la corruption étatique. A titre d’exemple, Amadou Diaouné révèle que lors du dernier séminaire à Thiès en 2013, il a été constaté un surplus de 17 000 check off payés à des syndicats.
La question se pose de savoir auprès de quel personnel imaginaire a-t-on prélevé ces cotisations et pour quelle raison cet argent indu leur a été attribué ? Etre un secrétaire général, même d’un syndicat télécentre, permet de faire les couloirs du ministère de l’Education. Les quotas sécuritaires, cette boîte de Pandore, assurait toutes les dérives. Un interlocuteur relève qu’il y a même des leaders syndicaux qui ont participé à l’attribution de quota sécuritaire. Et dire que cette prérogative est exclusivement réservée au ministère. Du fait de tous ces avantages, pourquoi rester derrière quelqu’un ? Awa Wade secrétaire générale de l’UDEN dixit : «Ces gens-là, il leur faut créer leur chapelle, quelle que soit l’organisation.»
Même si on n’a pas noté de façon officielle une volonté de l’actuel régime de domestiquer les syndicats, il reste que certains membres du parti présidentiel n’ont pas une mentalité différente de celle de leurs prédécesseurs. Des responsables de l’Apr ne veulent pas en effet qu’un ministère qu’il qualifie de stratégique soit confié à un ministre socialiste. Sachant surtout, disent-ils, qu’on ne sait pas jusqu’ou ira le compagnonnage. D’autres accusent d’ailleurs ouvertement le ministre Serigne Mbaye Thiam de profiter de son statut de ministre de l’Education pour implanter le Ps dans le Saloum et ailleurs. On évoque le rôle ‘’trouble’’ que le Secrétaire d’Etat en charge de l’Alphabétisation, Youssou Touré, enseignant de formation, a joué… C’est dire qu’il serait illusoire de s’attendre à une rupture avec l’Apr dans ce domaine.
Toutefois, il ne faut pas se faire d’illusion, avertit le Pr Bouba Diop. Cette interconnexion été toujours là et le sera encore. Car, ‘’ce sont deux dynamiques qui se rejoignent’’. Cependant, l’ancien secrétaire général du SAES estime que l’élément décisif dans la décision finale n’est plus l’intrusion politique. «L’influence des partis est minime. Les syndicats ont beaucoup plus de compte à rendre à leur base. Lors des Assises, j’ai vu des délégués qui étaient parfois mal à l’aise. Leurs bases leur demandaient des comptes sur leur dossier, et ils disaient ne pas vouloir de promesses».
Par conséquent, il y a une bonne partie des scissions qui s’explique non pas par des influences extérieures mais par ce que Babacar Fall de la FASTEF nomme ‘’le processus de substitution, de rotation, d’accès aux instances de décision’’. Autrement dit la démocratie interne. Nos interlocuteurs sont unanimes pour dire que c’est une question majeure. Il est par exemple frappant de constater qu’un syndicat comme le SNEEL a été scindé en quatre parties, (SNEEL, SNEEL-CNTS, SNEEL-FGTS, SNEEL-FC) compte non tenu des arabisants. Le SELS mère a donné naissance à deux filles : SELS/A et SELS/O, ainsi de suite.