Malgré les avancées notées dans le pays, le Sénégal reste une terre de discrimination à l’égard des femmes. A l’issue de sa visite dans le pays, la présidente du Groupe de travail du conseil des droits de l’Homme sur la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique, Emna Aouij, a invité les autorités à redoubler d’efforts afin d’assurer l’application effective des droits des femmes.
Le Sénégal doit redoubler d’efforts afin d’assurer l’application effective des droits des femmes. C’est la conclusion de la mission du Groupe de travail du conseil des droits de l’Homme sur la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique. Au terme de son séjour qui l’a conduite à Dakar et dans quelques localités de l’intérieur, Mme Emna Aouij, la présidente du groupe de travail, a fait face à la presse hier. Et c’est pour inviter le Sénégal «à harmoniser sa législation avec les instruments juridiques internationaux en matière de droits humains des femmes et combattre farouchement les résistances culturelles à la pleine réalisation des droits des femmes». Il faut dire que le tableau peint par la présidente du Groupe de travail est très lourdement chargé avec de nombreuses formes de discriminations à l’endroit des femmes.
Au titre de ces discriminations, l’interdiction de l’Interruption volontaire de grossesse (Ivg). «Le groupe de travail a pu constater que le Sénégal a une des lois sur l’avortement les plus restrictives d’Afrique», estime Mme Aouij. L’Ivg est aujourd’hui la 5e cause de mortalité maternelle, mais elle reste interdite aussi bien par le Code pénal en ses articles 305 et 305 bis, qui sont hérités de l’époque coloniale, que par l’article 15 de la Loi sur la santé de la reproduction. «Le comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a fortement désapprouvé les lois qui restreignent l’Ivg, en particulier celles qui interdisent et incriminent l’Ivg dans toutes les circonstances.» Ces lois pénalisent particulièrement les femmes en situation de précarité socio-économique, estime Mme Aouij. «Une femme peut solliciter un avortement médicalisé seulement si sa vie est en danger et les conditions posées dans le code de déontologie exigeant l’avis de trois médecins sont impossibles à réaliser pour la plupart des femmes, notamment les femmes en milieu rural», indique Mme Aouij.
Pourtant, le Sénégal a ratifié le Protocole de Maputo en 2004. Mais dix ans plus tard, peu d’avancées sont notées pour l’harmonisation de ces textes avec ceux du Code pénal sénégalais. Sans faire de corrélation, le Groupe de travail relève toutefois que 16% de la population carcérale féminine ont été condamnés pour infanticide et 3% pour avortement. Chez les 13 à 18 ans, l’infanticide représente 64% des motifs d’incarcération.
Accès difficile à la justice
Le rapport préliminaire du Groupe de travail dénonce également les violences qui sont le lot des femmes. A ce propos, Mme Aouij souligne que «l’accès à la justice des femmes victimes de violences est tout particulièrement difficile. La peur de la stigmatisation, des représailles, le coût des procédures, l’éloignement dans les zones rurales, la difficulté à réunir les preuves nécessaires, le manque de femmes dans la police et le manque de formation du personnel sont autant de facteurs qui empêchent les femmes de déposer plainte», remarque le groupe. Et quand elles déposent des plaintes, celles-ci ne sont pas diligentées et le Groupe de travail juge «inadmissible» que les femmes aient à payer 5 à 10 mille francs pour obtenir un certificat médical dans des cas de violences sexuelles.
En outre, la présidente du Groupe de travail pointe de graves discriminations envers les femmes dans le Code de la famille. C’est le cas pour la puissance maritale et paternelle exercée par le père en tant que chef de famille et «qui porte atteinte aux possibilités d’épanouissement et d’autonomisation des femmes». Le comité, qui estime que «la polygamie est contraire à la dignité des femmes et des filles et porte atteinte à leurs droits fondamentaux», s’émeut du pourcentage de 35,2% des ménages qui sont polygames. De même, la question de l’héritage pose problème, selon Mme Aouij, dans le sens où «la définition des successions de droits musulmans qui accorde le double à l’homme est incompatible avec le principe d’égalité prôné par la Constitution». Ces questions qui ont été abordées dans ce rapport seront présentées plus largement par le Sénégal en juin 2016 devant le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies. Depuis son adhésion en 1994, le Sénégal n’a encore présenté aucun rapport.
Emna Aouij, présidente du Groupe de travail
«L’instituteur n’est pas là pour agresser son élève, mais pour le protéger»
La présidente du Groupe de travail du conseil des droits de l’Homme sur la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique, Emna Aouij, qui a été très émue par le nombre élevé de jeunes écolières tombées enceintes des œuvres de leurs enseignants, estime qu’il est temps de tirer la sonnette d’alarme. «L’instituteur n’est pas là pour agresser son élève, mais pour le protéger. Heureusement, le Sénégal est un pays qui respecte ses engagements et qui va certainement prendre des dispositions pour éradiquer cette forme de violence.» Selon les chiffres fournis par le groupe de travail des Nations unies sur la discrimination contre les femmes, les grossesses précoces privent 9% des enfants âgés de 7 à 14 ans d’opportunités de poursuivre leurs études. Un taux qui atteint 13% en milieu rural. «Le groupe recommande que des mécanismes de signalement soient systématiquement mis en place dans les structures scolaires afin de détecter toute violence ou abus», propose Mme Emna Aouij, présidente du Groupe de travail. Elle recommande également que l’âge légal du mariage soit porté à 18 ans.