Le parquet a requis hier une peine de 10 ans ferme contre Aïda Ndiongue, Abdoul Aziz Diop et leurs complices cités dans le présumé détournement de deniers publics au plan Jaxaay. L’Etat leur réclame des dommages et intérêts d’un montant de 25 milliards de francs CFA.
‘’Les faits sont d’une particulière gravité et méritent la sanction qui sied.’’ En entendant ces mots du substitut Pape Ismaël Diallo, toute la salle s’est concentrée davantage sur le réquisitoire du magistrat. Aïda Ndiongue et ses coprévenus ainsi que leurs proches et avocats ont guetté le mot fin du substitut, pour voir quelle peine celui-ci allait requérir. Lorsqu’il a prononcé une peine de 10 ans ferme, en sus d’une amende ferme de 5 millions CFA, des protestations en sourdine ont fusé de partout. Resté imperturbable face aux signes de désapprobation, le jeune parquetier a estimé que les prévenus méritent le maximum de la peine, dans la mesure où ils n’ont fait montre d’aucun amendement. Pis, a souligné le magistrat, ‘’ce sont de maigres ressources allouées à une couche vulnérable de la population qui ne dort pas durant l’hivernage qui ont été détournées par les prévenus’’.
En fait, Aïda Ndiongue, Abdoul Aziz Diop, Amadou Ndiaye et Madou Sall sont poursuivis pour détournement de deniers portant sur 20 milliards 688 millions 638 mille 967 F CFA. Les prévenus sont en prison, depuis le 17 décembre 2013, à l’exception de Modou Sall, libéré depuis le 31 juillet 2014. Selon l’accusation, des chèques de montants respectifs de 3 milliards 789 millions 988 mille 967 de francs CFA, 3 milliards 998 millions 750 mille de francs CFA, 1 milliard 350 millions de francs CFA et 5 milliards de francs CFA ont été émis pour le compte de Aïda Ndiongue. C’était dans le cadre du projet de construction de logements sociaux et de lutte contre les inondations (PCLSLIB) appelé Plan Jaxaay et le Parcree (maison de l’outil). D’après toujours l’accusation, les sociétés EGFDED, Ets Walo services et Ya Khalifa Ababacar Sy appartenant toutes à Aïda Ndiongue ont été les bénéficiaires des chèques, alors que l’ex-sénatrice libérale n’a pas exécuté l’intégralité des marchés.
Aïda Ndiongue et ses coïnculpés l’ont contesté hier, devant le tribunal correctionnel de Dakar. La responsable libérale a affirmé avoir livré l’intégralité des marchés. Classeur bourré de feuilles, la prévenue, vêtue de rose et de blanc, a commencé d’abord par démonter l’accusation concernant l’exercice illégal de commerce par un fonctionnaire. ‘’Depuis 1986, je ne suis plus enseignante. Je ne connais même plus mon matricule de solde’’, a précisé d’emblée Aïda Ndiongue qui se considère comme démissionnaire, car n’ayant pas déposé une demande de réintégration, après avoir bénéficié d’une disponibilité d’un an.
J’ai démissionné de l’enseignement en 86
Sur l’escroquerie portant sur des deniers publics, la prévenue a soutenu n’avoir jamais été épinglée par un corps de contrôle de l’Etat, depuis qu’elle travaille avec celui-ci, depuis 1987. Selon ses déclarations, l’accusation n’a pas su faire la différence entre les marchés du Pacree et du Plan Jaxaay, notamment, le marché des produits phytosanitaires qui est pendant devant le doyen des juges d’instruction. Par conséquent, les chèques qu’elle a reçus concernent les marchés des bacs à ordures, des tentes et des motopompes. ‘’Le marché a été très bien exécuté’’, a-t-elle assuré. Et le président de lui notifier que les gendarmes ont soutenu le contraire, puisqu’ils ont mentionné que le matériel était dans son entrepôt. ’’Je ne peux pas dire qu’ils racontent des histoires, mais l’enquête a été biaisée, car il fallait m’emmener en prison’’, a répliqué la responsable libérale. Avant d’ajouter avoir gardé le matériel sur demande du ministère de l’Habitat qui n’a pas d’entrepôt.
‘’Je fais ce que je veux avec mon argent’’
Revenant à la charge, le président lui a demandé si elle avait payé les fournisseurs. ‘’Mes relations avec mes fournisseurs ne regardent pas l’Etat’’, a-t-elle répondu d’un ton ferme. Le même ton a été utilisé concernant ses bijoux évalués à 3 milliards, après instruction, et les coffres dont elle dispose à la CBEAO. ‘’C’est mon argent, j’en fais ce que je veux’’, a déclaré Aïda Ndiongue, avant de répondre au parquet qui l’a interpellée sur ses bijoux évalués initialement à 15 milliards : ‘’Même l’épouse du Sultan de Brunei n’a pas des bijoux de cette valeur’’, plongeant la salle dans un fou rire. L’ex-mairesse des HLM a ensuite évalué ses bijoux à 700 millions.
Quid des différentes sociétés ayant bénéficié des marchés et qui, selon l’accusation, appartiennent toutes à la prévenue? Aïda Ndiongue a battu en brèche ces allégations, en soutenant qu’une seule société à son nom a gagné un marché. Sinon le reste des sociétés appartient à des membres de sa famille et ceux-ci ont soumissionné régulièrement. A l’en croire, elle n’a pas créé les sociétés EGFDED, Walo services, Ya Khalifa Ababacar Sy, mais en tant qu’aînée de sa famille, elle leur a servi de caution morale et financière. Seulement, lorsque les différents gérants de ces sociétés ont été entendus à la barre, ils ont laissé entendre qu’ils n’avaient pas accès au compte et qu’ils avaient donné une procuration à la prévenue.
Aziz Diop : ‘’Il y a de l’amalgame sur ma personne’’
Aïda Ndiongue n’a pas été la seule à contester les faits qui lui sont reprochés. Son frère libéral, Abdoul Aziz Diop, a lui aussi réfuté les accusations de détournement de deniers dont le parquet a demandé une disqualification en complicité d’escroquerie portant sur des deniers publics. Le président de la Fédération nationale des cadres libéraux (FNCL) a laissé entendre qu’il n’intervenait ni dans le choix des marchés ni dans la réception des matériels. ‘’Dans ce dossier, les enquêteurs ont fait beaucoup d’amalgames sur ma personne. En tant que coordonnateur, je n’intervenais pas dans la réception, parce que j’étais cumulativement directeur de Cabinet et coordonnateur, mais je n’ai jamais été présent dans un lieu de réception du Plan Jaxaay’’, s’est défendu Abdoul Aziz Diop. Il a ajouté que son rôle se limitait à signer les ordres de paiements faits par la comptable Mboré Ndiaye qui a bénéficié d’un non-lieu, à l’issue de l’instruction. Il a nié avoir contraint le comptable à effectuer des paiements, car, lorsqu’il a émis un ordre de virement au Trésor, il lui a été notifié que désormais il fallait respecter l’ordre’’.
Son coprévenu Modou Sall, secrétaire général du ministère de l’Habitat, a également avancée qu’il n’a jamais signé les marchés ni les procès-verbaux de réception, car n’étant pas membre de la cellule de passation des marchés. L’agent comptable particulier dit avoir été perdu par des ‘’dépenses régulières’’. Il s’agit de deux chèques de 5 milliards représentant les marchés de tentes et de bacs à ordures. Mais malgré toutes ses dénégations, les avocats de l’Etat restent convaincus que les prévenus sont coupables. Me Aly Fall trouve curieux que toutes les entreprises contractantes appartiennent à Aïda Ndiongue. C’est parce que tout simplement pour Mes Samba Bitèye et Bassirou Ngom, il y a eu fraude, depuis l’appel d’offres jusqu’à la livraison qui jusque-là n’est pas effective. Donc, selon Me Fall, il est évident que l’Etat a subi un préjudice. Pour la réparation, les avocats de l’Etat ont réclamé la somme de 25 milliards de francs au titre de dommages et intérêts et la confiscation des biens des prévenus.