Le bilan du Pse, jugé satisfaisant par le chef de l’Etat, Macky Sall lors de la réunion de partage des résultats dudit plan le mardi dernier, ne trouve pas l’assentiment de l’opposition, en l’occurrence le Parti démocratique sénégalais (Pds). Babacar Gaye, porte-parole dudit parti a trouvé incrédible les chiffres avancés par le chef de l’Etat sur la croissance économique. A son avis, «il est illusoire d’espérer compter parmi les pays dits émergents d’ici 2035», dans la mesure où les pré-requis structurels n’existent pas encore. Pour lui, «le réveil risque d’être douloureux pour ceux qui dorment debout».
Hier, le gouvernement de Macky Sall a tiré un bilan satisfaisant du Plan Sénégal émergent en une année d’exécution. Selon les résultats présentés, au plan macro-économique, le PIB est passé de 1,7% en 2011, à 4,5% en 2014, avec une projection à 5,4% en 2015. Il est aussi noté la réduction du déficit budgétaire, la maitrise de l’inflation et du niveau de la dette, ainsi que la hausse des recettes budgétaires. Quelle lecture faites-vous de ces chiffres avancés par le gouvernement de Macky Sall ?
C’est de l’auto-flagellation. Quelle crédibilité et quelle signification peuvent avoir ces chiffres contredits par tous les documents officiels existants (DPG des différents Premiers Ministres, Loi de finances rectificative de décembre 2014) pour le pauvre paysan qui ne parvient pas à vendre ses maigres récoltes, la femme de Casamance, du Fouta et de Kaffrine qui meurt en donnant la vie faute de gynécologue ou de sage femme, l’étudiant assassiné pour une modique bourse de 24.000 francs que le Gouvernement peine à payer?
Qui plus est, cette croissance qui finira par devenir une arlésienne, n’a pas d’impact sur la vie quotidienne du sénégalais car elle est portée par les secteurs marchands contrôlés par le capital français (BTP, Banques, Energie, Télécoms....). Avant de parler d’Émergence économique, il faut d’abord régler la question de l’indépendance économique. Or, le Sénégal est économiquement dépendant des lobbys colonialistes et de l’environnement mondial où l’Afrique au sud du Sahara, a peu de place.
Aujourd’hui, avez-vous le sentiment que le PSE est vraiment sur la bonne voie après une année d’exécution, et que les Sénégalais peuvent espérer voir leur pays emprunter les rampes de l’émergence ?
Permettez-moi d’abord de recentrer le débat sur le Plan Sénégal Émergent qui n’est que la version finale de la synthèse de la SNDES, de la SCA. Contrairement aux déclarations du Président Macky Sall qui tente d’endormir les sénégalais dans des projections à long terme, le PSE est bel et bien un plan court-termiste car son programme d’actions prioritaires couvre le quinquennat 2014-2018 quand bien même il se projetterait à l’horizon 2025.
Sous ce rapport, tous les économistes sérieux ont émis des réserves quant à la formulation du Programme Sénégal Émergent positionné comme l’outil de planification d’une économie émergente à l’image des Bricks, la Corée du Sud, du Mexique et Singapour. En effet, selon M. Mouhamed A. B Dionne, Premier Ministre du Sénégal, le triptyque de l’Emergence serait la transformation structurelle de l’économie, une société solidaire et inclusive et l’Etat de droit; et les six (6) moteurs du PSE pour enclencher le développement du pays, l’agriculture, l’élevage, l’habitat social et la construction, l’économie sociale et solidaire, faire du Sénégal un Hub tertiaire régional et multiservices, ainsi que l’amélioration du capital humain.
Or, il est constant que les critères de l’Emergence Economique sont tout autres, et renvoient à des indicateurs plus qu’à des projets et programmes. Et selon Philippe Hugon, professeur émérite, chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), pour qu’un pays soit sur les rampes de l’émergence, il faut un taux de croissance économique fort et soutenu, un marché intérieur dynamique, une diversification de la production (primaire, secondaire, tertiaire et services), un bon taux de couverture des importations par les exportations, une intégration au système financier international par une capitalisation boursière dynamique, un État conscient de son rôle stratégique pour le développement, beaucoup d’investissements dans la Recherche et le Développement et une forte capacité à protéger le territoire pour la stabilité, la sécurité des investissements, des biens et des transactions commerciales.
Franchement, est-ce qu‘il est décent de parler de Sénégal Émergent sans ces pré-requis structurels? D’autant que tous les experts s’accordent à suggérer que pour lancer le processus de l’émergence économique, il faut agir sur trois leviers qu’il est fastidieux de détailler ici. Il s’agit d’une gouvernance politique apaisée, d’une administration républicaine et performante ainsi que d’une intégration harmonieuse entre les instituts de recherches et les entreprises créatrices de richesses. En conclusion, il est illusoire d’espérer compter parmi les pays dits émergents d’ici 2035.
Quand le Chef de l’Etat demande à ses ministres et aux partenaires techniques et financiers de faire un bilan sans complaisance du PSE, de ne pas faire de l’autosatisfaction, et d’accélérer la mise en œuvre des projets du PSE, quelle appréciation politique faites vous de telles invites ?
Cela traduit le niveau très alarmant des acquis par rapport aux attentes du Président de la République à qui on a vendu un pompeux PSE à coûts de milliards. Un bilan sans complaisance de l’état d’avancement de ce mirifique plan, risque de créer beaucoup de désillusions. Il ne s’agit pas de mettre en œuvre les projets du Plan Triennal d’Investissements Publics pour réaliser l’émergence; c’est beaucoup plus compliqué que cela. Je pense en toute honnêteté qu’il fallait commencer par les réformes structurelles de notre économie avant de parler de projets et de programme d’actions prioritaires. Qui plus est, les 11.000 milliards annoncés hypothèquent pour longtemps encore le financement des différents projets prévus dans la première phase 2014-2018. Le réveil risque d’être douloureux pour ceux qui dorment debout.