Une enquête dans le cadre du dossier spécial proposé par Afrik.com sur la région de Kédougou. L’exploitation industrielle de l’or depuis 2009 a engendré de nombreuses difficultés à Kédougou, région la plus pauvre du Sénégal, à la frontière avec le Mali. Les populations sont toujours en attente des retombées de cette activité génératrice de revenus. Sans compter les orpailleurs traditionnels et villageois qui se sentent menacés par l’industrie minière. Enquête sur ce qui pourrait devenir une bombe à retardement.
A Kédougou
« 45 milliards de Fcfa sont sortis de Kédougou grâce à l’exploitation de l’or en 2013 mais nous n’avons jamais bénéficié de cette coquette somme ! », s’écrie Boureima Keita, agent de développement au sein d’une ONG, dans la région. Son propos résume bien l’exaspération des habitants de Kédougou qui ne bénéficient toujours pas des retombées de l’exploitation minière industrielle qui a débuté en 2009. Le cinquantenaire assis sur un banc auprès de Diabouding Diallo, dans la maison de cette dernière, au cœur d’un petit village du site minier de Kharakéna, est loin d’être le seul à évoquer les diverses difficultés des populations dues à la ruée vers l’or.
« En voulant réglementer l’orpaillage, l’Etat a semé la pagaille »
Depuis un moment, pour Diabouding Diallo et les siens qui vivent de l’orpaillage traditionnelle plus rien ne va. Ce petit bout de femme, entouré de plusieurs hommes natifs du village, mère de famille de huit enfants, issue de la communauté malinké, 50 ans, joue parfaitement son rôle de chef de famille depuis le décès de son mari, il y a un an. Elle est très respectée dans la zone du fait de sa fonction de responsable pour tous les villages alentours de l’exploitation de l’or au site de Kharakéna. Son rôle, veiller à ce que l’exploitation de l’or se fasse dans les règles, gérer les conflits et résoudre les problèmes que les orpailleurs rencontrent. D’habitude pleine de vie, le sourire facile, désormais c’est de la tristesse qu’on lit sur son fin visage. Personne ne cache son désarroi face à l’exploitation de l’or qui ne rapporte plus autant qu’avant surtout depuis que l’Etat a décidé en août dernier de fermer le site, très convoité, notamment par des Africains originaires de tous le continent, avant de le rouvrir il y a moins de quatre semaines. L’objectif de cette mesure, reprendre le contrôle du site pour mieux réglementer l’exploitation de l’or, qui jusqu’ici a toujours été gérée de façon traditionnelle. Désormais une carte d’orpaillage est exigée à tous les exploitants. Mais seuls les Sénégalais y ont droit.
La main mise de l’Etat dans l’orpaillage est comme un coup de frein à la principale source de revenu de Diabouding Diallo et les autres orpailleurs. « Avant nous avions notre propre réglementation. Et ça se passait très bien. On cohabitait bien avec les autres Africains. Chaque fois que l’un d’eux voulait exploiter de l’or, il venait nous voir ou se rendait chez le chef de village. On inscrivait son nom sur la liste des exploitants et on lui donnait une petite parcelle de terre pour qu’il puisse s’installer », explique-t-elle sous le regard approbateur des hommes du village qui lui vouent un profond respect. Le déploiement des gendarmes dans la zone est aussi décriée. « Mais les gendarmes que l’Etat nous a imposé font peur aux orpailleurs. Certains se cachent en les voyant, d’autres sont même morts à l’intérieur des mines en tentant de fuir », fustige-t-elle. Elle est aussi particulièrement exaspérée par le nombre de document administratifs que lui réclament les autorités pour justifier ses activités.
« Nous sommes assis sur des œufs, on peut être expulsés de notre village à tout moment »
« L’Etat ne devait s’arrêter qu’à assurer notre sécurité et n’avait pas à se mêler de nos djouras (sites miniers) », renchérit Boureima Keita, qui estime que les autorités doivent s’en tenir à assurer la sécurité des orpailleurs. « Depuis que l’Etat a décidé de gérer a sa manière le site, les meurtres, et bagarres et l’insécurité se sont multipliés, assure-t-il. Or auparavant nous vivions dans l’harmonie avec les autres Africains. La main mise de l’Etat nous a beaucoup affecté. Ici tous les villageois vivent que de l’or. Nous ne connaissons que cela. Nous avons cessé nos activités agricoles depuis très longtemps, depuis le temps de nos ancêtres. Que l’Etat nous laisse gérer les choses à notre manière de façon traditionnelle et qu’il nous impose pas des méthodes qui ne sont pas adaptés à l’orpaillage traditionnelle ni à notre mode de vie ! », s’écrie-t-il. Finalement, selon lui, « en voulant réglementer l’orpaillage, l’Etat a semé la pagaille ! »
Les mesures de l’Etat ne sont pas la seule source d’inquiétude des orpailleurs traditionnels, qui se sentent menacés par les sociétés minières installées dans la région. Nombre d’entre eux et plusieurs villageois craignent d’être expulsés de leurs terres. « Nous sommes assis sur des œufs car on ne sait rien de ces sociétés étrangères et demain elles peuvent très bien venir nous dire de nous en aller pour exploiter l’or », affirme Boureima Keita. « Nous vivons constamment dans l’inquiétude d’être expulsés du jour au lendemain », renchérit-t-il. La direction des Mines située au centre ville de la région n’est pas du même avis. « Chaque fois que des villageois ont été contraint de partir pour que des sociétés exploitent ils ont reçu des compensation de l’Etat », assure Oumar Wane, ingénieur géologue, et chef de service régional des Mines de Kédougou.
Prostitution, sida, déforestation
Les nombreux problèmes engendrés par l’extraction de l’or à Kédougou, il fallait s’y attendre, analyse Hervé Bindia, observateur, natif de la région, qui rappelle que l’industrie minière est récente au Sénégal. Selon lui, « contrairement aux autres pays de la sous-région comme le Mali, l’Etat n’a pas encore d’expérience dans le domaine de l’exploitation de l’or. L’Etat cherche encore comment réglementer l’extraction minière pour faire face à toutes les difficultés qu’elle engendre. C’est vraiment la pagaille ! ». On peut considérer « Kédougou comme la Californie du Sénégal, explique-t-il. Les problèmes qui se posent actuellement concernant la ruée vers l’or étaient les mêmes que la Californie a connu à ses débuts ». Sans compter que l’exploitation de l’or « a aussi engendré le développement de la prostitution, des maladies comme le sida, et la dégradation de l’environnement telle que la déforestation car les arbres sont sans cesse coupés pour les besoins de l’exploitation », souligne-t-il.
C’est en 2009, que les premières sociétés minières se sont installées à Kédougou. La région dispose de 13 sites miniers. La direction des mines de la région affirme avoir délivré 42 permis d’exploration de l’or mais officiellement seule une société minière exploite dans la région. Il s’agit de la société canadienne Sabadola Gold Opérations (SGO). Cette ancienne société australienne, rachetée par les Canadiens, est cotée à la bourse de Toronto et Sydney. Elle est basée dans la zone de Sabadola. Elle exploite sur un périmètre de 1000 kilomètre. Elle est aussi dotée d’un permis d’exploration et de plusieurs filiales dans la région. Ses premiers lingots d’or sont sortis en mars 2009. L’Etat a une part de 10% dans le chiffre d’affaire de Sabadola Gold Opérations, qui lui reverse par ailleurs une taxe redevance de 3%. Cette dernière passera à 5% avec la révision du code minier en cours, selon la direction des Mines, qui rappelle que tous les contrats actuels ont été signés sous le régime de l’ancien président Abdoulaye Wade.
Pour de nombreux intellectuels de la région, l’Etat devait négocier un pourcentage plus élevé que 10% qui est moindre en comparaison au chiffre d’affaire faramineux de la société canadienne. En attendant, la région ne profitent pas des bénéfices de l’exploitation de l’or et reste jusqu’à présent la plus pauvre du Sénégal. Il faut dire que l’état de pauvreté de Kédougou est alarmant, donnant l’impression que rien n’a été fait depuis l’indépendance du Sénégal en 1960. Il n’y a pas infrastructures, pas d’éclairages publics, pas d’hôpital, mais seulement un dispensaire. Une misère qui a poussé la population d’ailleurs à se révolter, provoquant des émeutes en décembre 2008, qui se sont soldées par la mort d’un jeune, tué d’une balle dans la tête par un gendarme.
« Kédougou assise sur une bombe à retardement »
« La seule solution pour que la région se développe serait que les sociétés minières accompagnent les populations vers le développement », estime Badou Niang, président de l’association des artisans de Kédougou, qui affirme lui-même avoir travaillé avec Sabadola Gold Opérations intéressée par les compétences du jeune homme dans le domaine du fer forgé. « Pourtant nous participons au développement de la région », selon Médoune Niang, coordonnateur de développement au sein de la société canadienne. Son, rôle proposer à la société des projets de développement dans la région. « On n’est les premiers employeurs de la région. 50 à 60% de notre effectif sont de la région de Kédougou. Sur 100 employés 90 sont Sénégalais. Nous recrutons aussi au niveau de Dakar et Thiès lorsque que nous ne trouvons pas les profils que nous recherchons dans la région », explique-t-il. Selon lui, « la mine a ses standards, c’est une machine exigente qui doit tourner. Or les entreprises locales ne proposent pas le matériel adéquate, elles ne sont pas encore prêtes à répondre aux besoins en matériels des sociétés minières. Le niveau de compétence dans la région est très bas. » Pour Médoune Niang, bien que les sociétés minières aient leur partition à jouer, l’Etat ne doit pas non plus fuir ses responsabilités car c’est avant tout à lui de développer Kédougou.
De son côté, le président des artisans de la région de Kédougou, estime qu’il faut maintenant des actions concrètes pour développer Kédougou. « Cela fait des années qu’on nous promet des retombées des activités minières. En vain. Les sociétés minières doivent d’avantage travailler avec les populations, selon Badou Niang. Il faudrait qu’elles emploient sur place et forment des techniciens. Elles doivent aussi si possible commander leurs matériels dans la région qui a des artisans qualifiés qui peuvent les fournir. C’est comme ça que le développement se fera. »
Il ne fait pas de doute pour l’artisan. « Kédougou est assis sur une bombe à retardement », prévient-il. « Les populations sont usées par la misère et la pauvreté qu’elles supportent comme un fardeau depuis beaucoup trop longtemps. Il suffit d’une étincelle pour que tout explose. Si rien n’est fait, nous aurons des émeutes encore plus violentes que celles de 2008. »