Il n’y a pas de statistiques officielles, mais les élèves ont succombé à la tentation du chanvre indien. Dans certains lycées dakarois, ils grillent leurs joints devant les portails de leurs établissements. Comme si de rien n’était. Pis, le trafic s’instaure au vu et au su de tout le monde. Impuissante, l’administration essaie de mettre en place des garde-fous pour dissuader les potaches déjà accros à la substance. Conscients du danger, certains essaient de se remettre dans le droit chemin en retrouvant leur lucidité. Ce n’est pas toujours évident. Ceux qui ont déjà franchi la ligne rouge recherchent encore des issues dans un pays qui manque d’infrastructures curatives.
Il est 8 h. Des lycéens s’agglutinent devant le portail de leur établissement situé dans un quartier huppé de Dakar. Sur un coin de rue en face de leur lycée, ils convergent vers un marchand de café pour avoir leur dose matinale de caféine et de nicotine. Ils sont heureux comme des mômes dans ce coin pollué par l’odeur du chanvre indien. Le premier pétard est allumé et fait sa tournée entre des mains expertes. Insouciants, ils se plaisent dans leur paradis artificiel. Alors que leurs camarades ont fini de vider leur cartable en classe, certains s’attardent pour obtenir leur dose avant de rejoindre leurs professeurs. «Moi, je fume à peu près trois fois par jour, après chaque repas», avoue un lycéen adossé sur le mur en face de l’établissement. Au Sénégal, l’usage du chanvre indien ne semble pas être en déclin. Alors que le marché est en expansion dans les collèges et les lycées dakarois.
En cette matinée frisquette, la capitale est bruyante de mouvements de personnes qui vont à l’assaut d’une journée naissante. Mais, Karim (nom d’emprunt) et ses copains ne s’embarrassent pas des va-et-vient des inconnus qui traversent la rue. Elève en classe de seconde S2, le bonhomme assume sa dépendance à la drogue. Sans ciller, il assume : «J’ai commencé à fumer quand j’avais 12 ans. Il y avait des problèmes dans la famille, et mes parents ont divorcé, c’est ça qui m’a poussé à fumer.» Après avoir conjugué au passé ses problèmes familiaux, il grille maintenant ses joints pour convenance personnelle. Il dit : «Maintenant, je fume parce que ça m’aide à me détendre et à soulager le stress de la journée.» Ce geste n’est plus banal dans les lycées dakarois. Karim avoue que les 3/4 de ses camardes fument régulièrement du cannabis.
«3/4 de mes camarades de classe fument du cannabis»
Cette affirmation fait tressaillir de peur dans ces établissements où la régulation sociale est inexistante. Car, la consommation ne connaît pas des instants de répit. Situé sur une avenue très fréquentée de Dakar, un autre lycée cristallise les attentions. Depuis plusieurs années, une réputation sulfureuse précède ses résultats scolaires. Le lieu de rendez-vous est connu : les élèves se retrouvent sur le terrain de sport qui attire des lycéens et des étudiants des écoles de formation qui trouvent ici un réseau de trafiquants qui les alimente. Comme si de rien n’était. Et ils fument sans se cacher.
Le long des murs surplombés par le feuillage des manguiers et d’un grand baobab, des élèves et des habitants du quartier se retrouvent pour partager des joints. Alors qu’un poste de police est à quelques dizaines de mètres. Impuissants, les professeurs d’éducation physique, qui utilisent le terrain, observent la scène. Ils sont stupéfaits par autant d’audace. Réunis pour le repas de midi, les enseignant expliquent que le terrain est «devenu une plaque tournante pour le trafic du chanvre indien». Christian Mendy, qui sert dans ce lycée depuis 24 ans, dénonce l’impunité qui entoure le trafic et la consommation du chanvre dans ces lieux. Il cache mal son désespoir : «Nous qui faisons nos cours ici, on voit que le trafic se fait sous nos yeux. Les administrateurs sont là, voient tout, mais ferment les yeux. Ils n’admettront jamais que leurs élèves fument. Quant à la police, à part une ou deux descentes, elle n’a rien fait pour empêcher le commerce qui se fait à ciel ouvert.»
Aujourd’hui, le phénomène est en train de faire des ravages chez les lycéens. Il est vrai qu’il n’existe pas de statistiques fiables ni des programmes de sensibilisation chez les jeunes qui... grillent leur destin. Bocar (nom d’emprunt), élève en Terminale L, assume être accro à la drogue même s’il a tendance à baisser sa consommation. «Mais, depuis que je suis en Terminale, j’ai beaucoup réduit ma consommation», dit-il. Pourquoi ? «J’ai vu sur Youtube, des vidéos qui montrent que tu perds des neurones quand tu fumes... Ce sont ces vidéos qui m’ont aidé à beaucoup réduire ma consommation», constate-t-il.
«Je fume trois fois par jour»
Malgré la répression, la modicité du prix (500 ou 1000 F Cfa) et l’accessibilité de la substance favorisent le trafic. L’incinération de quatre tonnes de chanvre indien récemment, n’arrive pas à cacher la fâcheuse réalité. «Aujourd’hui, le chanvre indien se trouve facilement dans tous les quartiers de la capitale», regrette un autre élève. Par contre, le potache explique qu’à part quelques interventions mineures de certaines Ong, son lycée n’a jamais vraiment organisé des séances de travail sur la consommation et l’impact du cannabis sur la santé.
Au lycée Yalla Suur-En, le directeur Malick Anne essaie de dissuader la consommation de drogue dans son établissement. Il reconnaît, néanmoins, qu’il n’est pas facile de contrôler les élèves. «Ici, la consommation est strictement interdite et les élèves associés à ces activités sont blâmés. Mais le problème, c’est que l’essentiel de la consommation se passe à l’extérieur de l’école, dans les rues des quartiers qui entourent le lycée», dit Malick Anne. A ses yeux, la montée de la consommation chez les élèves s’explique par le manque de sensibilisation et la faiblesse des efforts consentis par le gouvernement sénégalais. «Si on mettait autant de moyens pour une sensibilisation sur le chanvre indien que sur le virus Ebola, on pourrait voir de vrais résultats. Je n’ai jamais vu le gouvernement faire de la sensibilisation dans nos écoles. Même dans notre école, il n’y a pas de programme de sensibilisation. Je demande à mes professeurs de parler de sensibilisation, mais elle doit être générale», explique-t-il. En attendant, les élèves ne ralentissent pas la cadence...