Paris, 1 avr 2015 (AFP) - Après le printemps arabe, un printemps africain? L’alternance historique au Nigeria, avec l’élection à la présidence de l’opposant Muhammadu Buhari, semble ancrer un peu plus la démocratie en Afrique, où nombre de dirigeants restent néanmoins au pouvoir depuis des dizaines d’années.
Dans le pays le plus peuplé du continent, la victoire inattendue de M. Buhari à la présidentielle, reconnue par le sortant Goodluck Jonathan et à l’issue d’un scrutin pacifique, est un symbole fort.
La révolution d’octobre 2014 au Burkina Faso avait donné le coup d’envoi: la rue avait alors chassé du pouvoir le président Blaise Compaoré après 27 ans aux affaires. Incarné par le géant économique et démographique nigérian, ce vent de la démocratie prend désormais une autre dimension.
"C’est un moment clé, pas seulement pour le Nigeria mais pour toute la région", analyse Jeffrey Smith, du Robert F. Kennedy Centre for Justice and Human Rights, à Washington.
"Le Burkina Faso a eu une très forte résonance dans beaucoup de pays, notamment au Togo, au Congo, peut être en RDC... Et là, le Nigeria est un poids lourd", observe Philippe Hugon, auteur de Géopolitique de l’Afrique, pour qui "il y a quand même une évolution démocratique en Afrique (...)".
L’élection au Nigeria "aura un gros impact compte tenu de l’intensité électorale en Afrique", pronostique également Hugo Sada, spécialiste de l’Afrique et ancien délégué à la paix, aux Droits de l’homme et à la démocratie de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Plus d’une vingtaine de présidentielles doivent se tenir d’ici fin 2017 sur le continent, rappelle M. Sada.
"On arrive à un stade de maturité de consolidation des processus démocratiques, surtout quand on regarde dans la durée depuis 20 ans", estime-t-il.
Il y a eu plusieurs élections avec des alternances réussies en Afrique: au Ghana, au Mali, ou au Sénégal notamment. A Dakar, Macky Sall a succédé à Abdoulaye Wade en 2012. Les opposants historiques Alpha Condé (2010) et Mahamadou Issoufou (2011) ont été élus en Guinée et au Niger après des transitions militaires. En 2014 au Malawi, Joyce Banda a fini par accepter sa
défaite face à Peter Mutharika.
Pour Jeffrey Smith, avec le Nigeria, c’est la huitième fois sur le continent (dont trois au Sénégal) qu’un président sortant est battu par son opposant dans les urnes.
Il y a aussi les mouvements citoyens et militants pro-démocratie, qui ont joué un rôle clé comme par exemple au Burkina. Et qui travaillent au corps les sociétés, faisant un travail de vigie avant des scrutins risqués, au Togo, Burundi, RDCongo et Congo notamment.
-’Le Nigeria pas forcément un modèle’-
"Il y a 54 pays en Afrique. Bien sûr qu’il y a un certain nombre de pays où ça ne progresse pas. On ne peut pas par décret faire que toute l’Afrique devienne démocratique. Petit à petit, les mauvais exemples deviennent des exceptions", résume Hugo Sada.
"Le Nigeria montre qu’il y a une progression démocratique et elle est exemplaire. Cela montre que les élections fonctionnement tant bien que mal", poursuit-il, en allusion aux menaces -restées quasi lettre-morte- du groupe islamiste Boko Haram sur le déroulement du scrutin nigérian.
"Il y a aussi des avancées techniques avec des élections électroniques ou la biométrie qui font que le risque de bourrage des urnes est moindre", ajoute Philippe Hugon.
L’élection nigériane a été marquée par des couacs techniques, dus à l’utilisation pour la première fois de lecteurs de cartes électorales biométriques, qui ont engendré de longues files d’attente devant les bureaux votes. Ce système a néanmoins sans doute permis de minimiser les inévitables fraudes, dans un pays où le clientélisme est roi et le bourrage d’urnes une
tradition bien ancrée.
Il y a des "spécificités nigérianes" à cette alternance réussie, ajoute M. Hugon: "un président de la commission électorale intègre, alors que celui-ci est souvent proche du pouvoir. Une opposition intelligemment coalisée".
Pour Thierry Vircoulon, spécialiste Afrique de l’International Cris Group (ICG), il faut se garder de généraliser: "le Nigeria a peut-être eu des élections, mais cela n’en fait pas forcément un modèle".
"On ne peut pas comparer le Nigeria avec d’autres pays qui viennent de connaître ou vont connaitre une période électorale. Chaque pays a ses particularités et son contexte. Au Burundi, en RDC et au Rwanda, c’est la question du troisième mandat (d’affilée du président) qui pose question, et contre laquelle la société civile et l’opposition se battent", analyse-t-il.
Philippe Hugon concède qu’il "ne faut pas idéaliser. Il y a encore des présidents à vie. Paul Biya (Cameroun), Robert Mugabe (Zimbabwe), Teodoro Obiang (Guinée équatoriale) etc... Ceux qui assurent une certaine sécurité risquent de rester, je pense à Idriss Deby" au Tchad.
Et, M. Vircoulon de souligner: "les élections ne constituent qu’un petit morceau du processus démocratique. Ce n’est pas parce qu’un pays a eu des élections considérées libres et démocratiques que c’est un pays libre ou démocratique".
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