« Téléphone, eau et électricité à la présidence : Macky décrète l’austérité totale ». Tel est le titre de la « Une » d’un quotidien de la place, dans son édition du samedi 2 novembre 2013. Cette décision annoncée du président de la République s’inscrit certainement dans le cadre de ses nombreuses promesses de campagne électorale, notamment qu’il mettrait en œuvre, une fois élu, une gouvernance sobre qui se traduirait par « une réduction drastique du train de vie de l’État ». L’attention du président de la République semble avoir été retenue, en particulier, par les graves abus constatés dans la gestion du patrimoine bâti de l’État. Profitant du Conseil des Ministres du jeudi 17 octobre 2013, il a rappelé au gouvernement « l’impératif de l’abandon des conventions à usage de logements pour les agents de l’État au profit d’indemnités représentatives ».Ces abus sont d’ailleurs un secret de polichinelle, mais il a fallu que le président de la République les aborde en conseil des ministres pour que la bride soit lâchée, que des informations fusent de toutes parts. Ainsi, le Directeur général de l’Agence de Gestion du Patrimoine bâti de l’État (Agpbe), M. Aliou Mara, nous apprend que l’État conventionne, à usage de bureaux et de logements affectés aux autorités civiles et militaires, 1500 bâtiments par an, pour un coût de 14 milliards de francs Cfa (Source : Aps, seneweb du 20 octobre 2013). M. Mara se désole que « la majorité des occupants (des logements administratifs et conventionnés) ne sont pas des ayants-droit ». Cela, nous le savions déjà. M. Mara poursuit : « Si on se limitait juste aux logements de fonction et aux logements par nécessité de service, les chiffres n’allaient pas monter jusqu’à 5 milliards. »
M. Mara nous en apprend encore en évoquant une exception sénégalaise : « En Afrique, seul le Sénégal conventionne des logements pour loger ses agents. » «On peut loger des fonctionnaires, poursuit-il, à condition qu’il y ait des logements disponibles dans le parc administratif de l’État ». Il continue d’exprimer son indignation, même un peu tard, en ces termes : « On ne peut pas continuer de louer des maisons pour loger des gens. » C’est encore plus inacceptable, selon M. Mara, si les maisons sont louées jusqu’à 800000 francs, alors que les bénéficiaires n’ont droit qu’à une indemnité représentative de 200000 francs. L’expérience a montré d’ailleurs qu’il peut arriver que la location dépasse 1000000, et atteigne même parfois 1500000 francs, pour loger un chauffeur ou une secrétaire – de luxe. « Ce n’est pas normal, se désole M. Mara, c’est une augmentation de salaire qui ne dit pas son nom ». Et notre directeur général (Dg) de rappeler les dispositions du décret 91.490 qu’il faut respecter.
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Le Directeur général de l’Agpbe a été d’ailleurs plus précis encore, si on en juge par ses explications au quotidien « Le Populaire » du lundi 19 octobre 2013. Il y révèle notamment que le coût des conventions de bâtiments à usage de bureaux et de logements est passé de 1,183 milliard de francs Cfa en 2006, à 14,9 milliards en 2012. Un véritable bond. Et, le plus grave, c’est « l’occupation de certains de ces édifices », qui amène le Dg, dépité (du moins en apparence) à lâcher : « C’est une gabegie. Il y a eu des affectations désordonnées, du népotisme, des services de camaraderie. » Il y a donc urgence, poursuit-il, à « changer la donne en réduisant drastiquement ces dépenses ». « Nous voulons réduire les conventions à 7,5 milliards (…) d’ici 2015 », conclut-il, et cela passera par une réhabilitation du parc de l’État qui « est bien fourni ».
Il y a eu donc de graves dérives dans la gestion du patrimoine bâti de l’État. Elles nous ont crevé les yeux pendant les douze longues années de la gouvernance meurtrie des Wade, et les quinze premiers mois de celle de son successeur. Certains d’entre nous les ont toujours vigoureusement dénoncés, mais sans succès. Aujourd’hui, une voix autorisée les reconnaît et les étale sur la place publique, même avec beaucoup de retard. Entre temps, des dizaines, des centaines de nos précieux milliards de francs auront pris la clé des champs. Cependant, comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, nous accordons un préjugé favorable au président de la République, dans sa volonté exprimée de mettre enfin un terme à cette dilapidation inacceptable de nos maigres ressources nationales, en attendant qu’il passe aux actes.
Mille cinq cents (1500) bâtiments conventionnés pour un coût de 14,9 milliards par an, c’est moralement insoutenable dans un pays pauvre et très endetté ! C’est d’autant plus insoutenable que l’État dispose, selon le Dg de l’Agpbe, d’un parc « bien fourni ». Le président Macky Sall avait donc le devoir de s’attaquer à cette gabegie dès les premiers mois de sa gouvernance, une gouvernance dont il nous promettait fermement qu’elle serait sobre et vertueuse. En tout cas, avec cette gabegie indécente dans la gestion du patrimoine bâti, il a l’opportunité de nous convaincre de sa sincérité. La lumière doit être rapidement faite sur les contrats certainement complaisants de conventions de bâtiments. C’est absolument nécessaire et urgent, si on sait que la plupart des bâtiments conventionnés appartiennent aux privilégiés de l’ancien et de l’actuel régime – pour nombre d’entre eux. Ils abritent des ministères, des agences nationales, des directions de services éclatées, des logements administratifs, etc. On en rencontre dans tous les coins de rue de Dakar.