Décision n° 023/14/ARMP/CRD du 22 janvier 2014 du comite de règlement des différends statuant en commission litiges sur la saisine de l’agence sénégalaise d’électrification rurale (ASER) pour passer par entente directe avec l’entreprise indienne Lucky exports le marché relatif a la « fourniture, le transport et la pose de matériels de réseaux électriques dans différentes régions du pays ».
Le comite de règlement des différends statuant en commission litiges,
Vu le Code des Obligations de l’Administration modifié par la loi n° 2006-16 du 30 juin 2006, notamment en ses articles 30 et 31 ;
Vu le décret n°2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des marchés publics ;
Vu le décret n° 2007-546 du 25 avril 2007 portant organisation et fonctionnement de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), notamment en ses articles 20 et 21 ;
Vu la décision n° 005/ARMP/CRMP du 19 mai 2008 portant règlement intérieur du Conseil de Régulation des Marchés publics ;
Vu le recours de l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale ;
Après avoir entendu le rapport de M. Ely Manel FALL, Chef de la Division Réglementation, Direction de la Réglementation et des Affaires juridiques, rapporteur présentant les moyens et les conclusions des parties ;
En présence de Monsieur Mademba GUEYE, Président ; de M. Samba DIOP, M. Boubacar MAR et M. Cheikhou SYLLA, membres du Comité de Règlement des Différends (CRD) ;
De M. Saër NIANG, Directeur général de l’ARMP, secrétaire rapporteur du CRD ; M. René Pascal DIOUF, Coordonnateur de la Cellule d’Enquêtes et d’Inspection ; Ousseynou CISSE, chargé d’enquêtes ; Moussa DIAGNE, chef de la division formation et Mesdames Takia Nafissatou FALL CARVALHO, Conseillère chargée de la Coordination et du Suivi et Khadidiatou LY, chargée d’enquêtes, observateurs ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Adopte la présente délibération fondée sur les faits et moyens exposés ci-après :
Par lettre du 03 janvier 2014, enregistrée le même jour au service du courrier puis le 07 janvier 2014 au Secrétariat du CRD sous le numéro 004/CRD, le Directeur général de l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale a saisi le Comité de Règlement des Différends d’une demande d’avis pour passer par entente directe le marché relatif à « la « fourniture, le transport et la pose de matériels de réseaux électriques dans différentes régions du pays » à l’entreprise Indienne LUCKY EXPORTS.
LA RECEVABILITE DU RECOURS
Considérant que la saisine du CRD par le Directeur général de l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale, autorité contractante, vise l’avis défavorable rendu par la DCMP le 31 décembre 2013 ;
Que la saisine est fondée sur les dispositions de l’article 140 du décret n°2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des marchés publics ;
Considérant que le décret n°2007-546 du 25 avril 2007 portant organisation et fonctionnement de l’ARMP, en son article 22, donne compétence à la Commission des Litiges du Comité de Règlement des Différends pour statuer sur les saisines relatives aux litiges opposant les organes de l’Administration intervenant dans le cadre de la procédure de passation ou d’exécution des marchés publics et délégations de service public ;
Considérant que le présent litige opposant l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale, en sa qualité d’autorité contractante, à la DCMP, organe de contrôle a priori de la passation des marchés publics, il convient de déclarer recevable le présent recours par application l’article 22 susvisé.
LES FAITS
Le 21 avril 2011, la République du Sénégal a signé avec EXIM Bank Of India, un accord de ligne de crédit d’un montant de vingt sept millions cinq cent mille dollars US (27.500.000 US$) pour le financement d’un Programme d’Electrification Rurale.
Après signature dudit accord, l’Ambassade du Sénégal en Inde a publié le 20 mai 2011, sur son site web www.embsenindia.org, un avis d’appel d’offres.
Les autorités sénégalaises compétentes ont lancé un appel d’offres en procédure d’urgence, en vue de permettre la sélection d’une entreprise indienne qui sera chargée d’exécuter le projet comprenant :
l’électrification de 214 villages dont 7 seront équipés de plateformes multifonctionnelles
la réalisation et l’équipement d’une ligne principale de 61 km de 30kva
l’électrification à l’énergie solaire de 200 établissements communautaires (écoles et dispensaires)
la réalisation d’installations électriques domestiques pour environ 15.395 foyers.
Au terme de la procédure de sélection, par décision n°151/11/ARMP/CRD du 17 août 2011, le CRD a ordonné la suspension de la procédure de passation du marché incriminé. Il a déclaré que la violation constatée des dispositions du Code des marchés entraîne la nullité absolue du contrat qui avait déjà été signé entre l’ASER et l’entreprise attributaire.
Ainsi, le 29 février 2012, l’ASER a décidé de reprendre l’appel d’offres suivant les termes ci-après :
« Fourniture, transport et pose de matériels de réseaux électriques dans différentes régions du pays ».
Le montant estimatif du projet s’élève à 27,5 millions US $.
Les fournitures et services connexes de pose sont en un seul lot indivisible comprenant les rubriques suivantes :
I. A.électrification de 72 Chefs lieux de Communautés rurales et villages satellites
B.électrification par extension de réseaula région de Casamance
C.électrification par voie solaire dans la région de Casamance.
De ce fait, sept (7) entreprises avaient retiré le dossier d’appel d’offres, mais à l’ouverture des plis le 30 avril 2012, seules quatre (4) entreprises ont répondu, il s’agissait de :
→ ANGELIQUE INTERNATIONAL LTD ;
→ LUCKY EXPORTS ;
→ OVERSEAS INTERNATIONAL ;
→ KEC INTERNATIONAL.
Après l’examen préliminaire, il s’est avéré que Lucky Exports, KEC International et Overseas International ont produit des garanties de soumission émises par des institutions financières Indiennes sans qu’aucune référence de correspondant local ne soit indiquée, conformément à la section 20.2 des IC. Ainsi, seule l’offre du candidat ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED (AIL) a été admise à l’évaluation détaillée.
A l’issue de l’évaluation détaillée de l’offre d’Angélique International Limited (AIL), le Comité Technique d’études et d’évaluation des offres a fait observer que l’attestation n°11/209/DG/fd 21 mars 2011 produite pour le marché « Electrification rurale Phase 1 Programme Indien délivrée par l’ASER » au soumissionnaire AIL, n’est pas valable.
En conclusion, la Commission des Marchés a constaté qu’il n’a été proposé que des offres non conformes et, par conséquent, a recommandé de déclarer l’Appel d’Offres infructueux conformément à l’article 64 du code des marchés. Ce rapport a été soumis pour avis préalable à la DCMP.
La DCMP saisie par l’ASER a, par contre, estimé que l’appel d’offres ne pouvait être considéré comme infructueux et a recommandé la poursuite de l’évaluation par la demande, aux entreprises soumissionnaires, de compléments d’informations relatives aux correspondants locaux des banques émettrices des cautions de soumission et à l’attestation n°11/209/DG/fd du 21 mars 2011 pour AIL.
Ce qui fut fait par l’ASER qui a ensuite, demandé à la DCMP un avis pour :
la reprise de l’évaluation des offres pour Lucky Experts et Overseas International Alliance ;
la confirmation de la non-conformité des offres de Angélique International Limited pour défaut de production d’attestation de services fait pour travaux terminés d’une valeur de 12 millions de $ US conformément à la clause 5.1 des IC et ;
la confirmation de la non-conformité des offres de KEC pour non désignation de la banque locale correspondante de sa banque émettrice de sa garantie de soumission conformément à la clause 20.2 des IC.
Par lettre n°002683/MEF/DCMP/54 du 27 juin 2012, la DCMP a notifié à l’ASER qu’elle ne peut pas émettre un avis de non objection sur le présent dossier et a suggéré que l’ASER se rapproche de l’ARMP pour la suite à donner à la procédure.
C’est dans ce cadre que l’ASER a sollicité, auprès du Comité de Règlement des Différents de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics, un arbitrage pour permettre de reprendre l’évaluation des offres sur la base de l’avis demandé à la DCMP.
En réponse et par décision n°77/12/ARMP/CRD en date du 16 juillet 2012, l’ARMP a conclu à la non-conformité de l’offre du soumissionnaire ANGELIQUE INTERNATIONAL LTD et ordonné la reprise de l’évaluation des offres des trois autres soumissionnaires ;
Mais le 20 août 2012, l’ASER a reçu la notification d’une attestation d’arrêt rendu par la Cour Suprême, suite à sa saisine par le candidat AIL, qui ordonne le sursis à exécution de la décision n°77/12/ARMP/CRD du 16 juillet 2012 du CRD de l’ARMP.
La Chambre administrative de la Cour Suprême a suivi AIL dans son recours et a délivré le 30 novembre 2012 une attestation d’arrêt annulant la décision du CRD de l’ARMP en ce qu’il a déclaré non conforme l’offre d’AIL et l’a écarté de la reprise de l’évaluation des offres.
Les quatre (4) offres ont ainsi été reprises en analyse par la Commission des marchés qui a rendu une décision d’attribution provisoire à Lucky Exports, suite à la non-conformité des offres des concurrents.
Ce choix a été confirmé par la Décision N° O72/13/ARMP/CRD du 27 mars 2013 suite à l’avis défavorable de la Direction Centrale des Marchés Publics (DCMP) sur la proposition d’attribution du marché de fourniture, de transport et de pose de matériels de réseaux électriques dans différentes régions du Sénégal (AO N°01/2012/ASER-INDE).
La société AIL (ANGELIQUE International Limited) a introduit à nouveau une demande de sursis à exécution auprès de la Cour Suprême contre cette décision le 22 avril 2013 et un recours au CRD le 25 avril 2013 pour retrait de la décision N° 072/13/ARMP/CRD du 27 mars 2013.
Par décision n°109/13/ARMP/CRD du 8 mai 2013, l’ARMP déclare le recours irrecevable et dit la décision du CRD définitive et immédiatement exécutoire par l’autorité contractante.
Par ailleurs, la Cour Suprême à son audience du vendredi 12 juillet 2013, a rejeté la demande de sursis qui était introduite par AIL.
Le contrat signé est immatriculé le 17 juillet sous le n° T1161/13 par la DCMP et a été approuvé le 19 juillet 2013 par le Ministre Délégué auprès du Ministre de l’Economie et des Finances chargé du Budget.
Ainsi, le contrat signé, approuvé et tous les documents annexes ont été transmis à EXIM BANK INDIA le 7 août 2013 par DHL. Le 24 octobre 2013, la Cour Suprême rend un arrêt annulant la décision de l’ARMP du 27 mars 2013 qui confirmait l’attribution du marché à LUCKY EXPORTS.
A la suite de cette annulation, la DCMP a été saisie par courriers n° 13_591/SMF/nrd du 09 décembre 2013 et n°13_592 du 10 décembre 2013, pour respectivement, la déclaration de l’appel d’offres infructueux et pour une demande d’avis pour passer le marché en question par entente directe avec Lucky Exports.
Elle a émis, par lettre n°006873/MEF/DCMP/51du 31 décembre 2013, un avis négatif sur la demande d’avis après avoir déclaré l’appel d’offres infructueux.
C’est la raison pour laquelle l’avis du Comité de Règlement des Différends (CRD) de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) est sollicité pour passer le marché, en question, par entente directe avec l’entreprise LUCKY EXPORTS en application de l’article 76_2b) du code des marchés et les trois derniers alinéas dudit article.
LES MOYENS DEVELOPPES A L’APPUI DU RECOURS
L’autorité contractante sollicite l’arbitrage du CRD suite à l’avis défavorable de l’organe de contrôle, en ce sens que pour des raisons tenant aux « circonstances exceptionnelles du projet concerné impliquant des motifs impérieux d’intérêt général,», il doit donc se prémunir contre tout risque de perdre le financement et éviter ainsi la privation de l’accès à l’électrification aux populations des 214 localités intéressées.
En effet, elle peut raisonnablement douter de la patience de la partie indienne près de trois ans après l’accord avec EXIM Bank of India et surtout lorsque l’on sait qu’une nouvelle procédure d’appel d’offres peut encore durer entre neuf mois à un an et même plus s’il y a des recours.
LES MOTIFS DONNES PAR LA DCMP
Selon la DCMP, par rapport à la demande de passer le marché par entente directe avec LUCKY EXPORTS, il convient de souligner que les conditions cumulatives requises au titre de l’article 76 du Code des Marchés publics (CMP) pour ouvrir droit à cette procédure sur la base de l’urgence impérieuse ne sont pas réunies.
En effet, la situation actuelle de l’exécution du marché en question ne peut être considérée comme extérieure à l’autorité contractante, à la lumière de la décision n°072/13/ARMP/CRD du 27 mars 2013 qui établit que « le retard considérable accusé par la procédure de passation du marché est du fait des errements et des violations de l’Autorité Contractante ».
SUR L’OBJET DU LITIGE
Il résulte des faits et motifs ci-dessus exposés que le litige porte sur une autorisation de passer par entente directe le marché, en objet, avec l’entreprise LUCKY EXPORTS sur la base de l’article 76_2b) du code des marchés.
AU FOND
Considérant que les marchés par entente directe ne peuvent être passés que dans les cas limitativement énumérés à l’article 76 du Code des Marchés Publics ;
Considérant qu’en cette occurrence, le recours à la procédure d’entente directe est motivé par le caractère jugé impérieux de l’urgence ;
Qu’à cet égard, il importe d’observer qu’il n’est pas établi, comme l’a fait observer à juste raison la DCMP, que l’urgence invoquée par l’autorité contractante résulte de circonstances imprévisibles, irrésistibles et extérieures à cette dernière puisque la situation actuelle de passation du marché, en question, ne peut être considérée comme extérieure à l’autorité contractante, à la lumière de la décision n°072/13/ARMP/CRD du 27 mars 2013, qui affirme que « le retard considérable accusé par la procédure de passation du marché est du fait des errements et des violations de l’Autorité Contractante » ;
Que l’autorité contractante en faisant preuve de rigueur notamment par rapport au respect des règles et pratiques en matière de passation des marchés publics mais aussi en suivant strictement le règlement de sa consultation, pouvait s’éviter d’être dans cette situation qualifiée d’impérieuse ;
Considérant que le régulateur avait décidé en opportunité, comme il est habilité à le faire, en ordonnant la poursuite de la procédure suivant l’argumentaire tiré du risque de perte du financement ;
Qu’en retour, le juge de l’excès du pouvoir a considéré que l’expiration du délai imparti par l’accord de financement ne saurait justifier des atteintes aux règles de passation des marchés publics ;
Que dans ces conditions, le régulateur ne peut autoriser l’entente directe en se fondant, une nouvelle fois, sur le moyen tiré du risque de perte du financement sans être en conflit avec la règlementation ;
Considérant, toutefois, que l’article 76 du Code des Marchés publics donne la possibilité au Premier Ministre de certifier par notification écrite à l’ARMP et à la DCMP que, « pour des raisons tenant aux circonstances exceptionnelles du cas concerné impliquant des motifs impérieux d’intérêt général, l’attribution du marché doit être poursuivie immédiatement » ;
Qu’à cet égard, se fondant sur la disposition susvisée, le Premier Ministre a certifié, par lettre du 13 janvier 2014 adressée à l’ARMP, la nécessité d’autoriser la continuation de la procédure au regard de la sensibilité du projet et de l’urgence qui s’attache à sa réalisation ;
Que, du reste, cette certification du Chef du Gouvernement est motivée par les aspects suivants :
le risque de perdre le financement auprès de l’Inde tenant compte de l’accord de financement signé depuis 2011 ;
la longue durée que pourrait nécessiter la relance du marché ;
le caractère hautement prioritaire qui s’attache à la mise en œuvre du projet ;
Qu’en considération de ces motivations, il y a lieu de donner acte à la certification du Premier Ministre ;
Considérant que, par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 77.5 du Code des Marchés publics, le marché doit donner lieu à un compte rendu détaillé de la procédure de passation et d’exécution établi par l’Autorité Contractante, et communiqué au Premier Ministre et à l’ARMP et qu’en outre, au regard de l’article 76, il est impératif que l’entreprise LUCKY EXPORTS accepte de se soumettre à un contrôle des prix spécifiques durant l’exécution des prestations ;
Qu’à cet égard, il y a lieu de préciser que cesdits prix doivent être définis à partir de l’offre financière du titulaire qui a été déposée dans le cadre de la procédure annulée ;
PAR CES MOTIFS :
1)Déclare recevable la saisine de l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale;
2)Constate que les critères de l’urgence impérieuse tels que définis par l’article 76 du Code des marchés publics ne sont pas réunis;
3) Constate que le Premier Ministre a certifié, par lettre adressée à l’ARMP, la poursuite de la procédure comme le lui permet la réglementation au regard de l’intérêt géné; en conséquence ;
4) Donne acte à la certification du Premier Ministre portant sur l’urgence du projet ;
5)Ordonne la continuation de la procédure de passation du marché par entente directe;
6)Dit, par ailleurs, que les prix du marché doivent être définis sur la base de l’offre financière du titulaire qui a été déposée dans le cadre de la procédure annulé;
7)Dit que le Directeur général de l’ARMP est chargé de notifier à l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale et à la DCMP, la présente décision qui sera publiée sur le site des marchés publics.