«L’argent n’aime pas le bruit», dit l’adage. Depuis la deuxième alternance, la lutte contre l’enrichissement illicite, une très forte demande sociale, est au cœur du débat politique au Sénégal. Son corollaire est la traque des fortunes planquées dans des banques par des dignitaires libéraux et des fonctionnaires présumés peu respectueux du bien public. Seulement, cette politique gouvernementale n’est pas sans conséquences.
Un grand sentiment d’inquisition habite beaucoup d’acteurs économiques et financiers, les chefs d’entreprises et potentiels investisseurs en particulier. Et le secret bancaire est au cœur de ce qui apparaît de plus en plus comme un malaise. Mais qui a tort ? Les indélicats clients des banques ou les gérants de coffres-forts qui font motus et bouche cousue
L’affaire «Aïda Ndiongue», dossier qui a cassé la banque de l’actuel poker médiatique, a ramené au sein de l’opinion la lourde question des rapports entre les Sénégalais et l’argent d’une part ; et d’autre part, le secret qu’ils lient à tort ou à raison au patrimoine. Chacun ces derniers jours, dans son intimité, s’est demandé ce que l’autre (le collègue, le voisin, le parent, la personnalité publique) a quand les déboires judiciaires de l’ancienne sénatrice ont tourné au déballage.
Les chiffres annoncés (47 milliards F Cfa, selon le patron du patron du parquet du tribunal de Dakar, le procureur Serigne Bassirou Guèye), le montant de sa fortune supposée et le vocabulaire des coffres-forts ont ramené au devant de la scène ce qui était jusqu’ici tabou. Mais qui en profite ?
Si le droit à l’information chevauche en parallèle le sillon de la traque des biens mal acquis, il va se bien trouver un jour où il va butter sur un autre droit tout aussi essentiel, très privé, qui est de ne pas dévoiler sur la place publique ce que l’on possède. La culture profonde la société sénégalaise est bâtie sur un mélange de mutisme et de secret. C’est un peuple qui a le fétichisme du nombre.
On ne donnait pas son âge réel jusqu’à ce que l’état-civil vienne y mettre un terme ; pas la liste de ses enfants ; pas la quantité de têtes de son troupeau ou l’ampleur de ses récoltes. C’est la même logique qui prévaut dans l’organisation du capitalisme financier. Les plus fortunés ne sont pas les riches les plus médiatisés. La recherche de la plus-value dans un capital est structurée de sorte que le secret est son fondement. Car il y a comme un péché originel dans la reproduction de l’argent : il doit être silence, verrou et mythe.
Ce n’est pas pour rien que les premiers banquiers «capitaliseurs» de ressources, dans l’Europe de la Renaissance, avaient comme principales qualités la discrétion, la vertu et la vocation. Les banques, depuis leurs origines, ont toujours fonctionné sur le postulat qu’elles gardaient au-delà de biens (or, argent, diamant, bons du trésor), des secrets. Maintenant, le Sénégal de 2014 est ce qu’il est : une «médiacrature» démocratique qui écrase tout ; basée sur une opinion qui réclame des têtes.
Le pouvoir en place le comprend car conscient du fait que la crise doit être partagée même si les riches ont le droit de parader. C’est le patrimoine qui constitue le code génétique social et il est au cœur du secret bancaire dans un pays où c’est seulement une infime minorité de la population qui dispose d’un compte bancaire. Lever des secrets bancaires soulèvera toujours des tollés car ce sont en même temps des vies qui seront mises à nu. Toutefois, le système est organisé de telle sorte que c’est là un jeu dangereux. Quand vient le bruit, l’argent fuit…