Dans les années 1960, l’ensemble lyrique traditionnel était une fierté nationale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, non pas parce que le talent n’y est plus, mais plutôt que la politique culturelle n’est plus la même. EnQuête a tenté de replonger dans les belles années de cette formation musicale, mais aussi de voir ce qu’il en reste aujourd’hui.
Gardien de la tradition sénégalaise, notamment de la musique, l’ensemble lyrique traditionnel n’a plus son aura d’antan. Jadis, très convoitée, la formation musicale de Sorano n’est plus assez courue. Elle a vu le jour en 1965, après la création du théâtre national Daniel Sorano, sous l’impulsion de feu le président Léopold Sédar Senghor.
En créant cette infrastructure, le président poète souhaitait en faire une arme de sa politique de développement de la culture. Ainsi, naquirent diverses troupes dont l’ensemble lyrique traditionnel. ‘’A chaque fois que Senghor avait un invité de marque, il l’amenait ici et on jouait devant lui’’, fait savoir le directeur de la troupe Malick Socé, rencontré à Sorano, au cours du filage d’un spectacle.
Et il se rappelle, le regard lumineux et sur un ton enthousiaste, ce jour qui lui a été conté par un de ses aînés. ’’Un jour le Président Senghor a amené ici Sékou Touré et ce dernier n’a pu se retenir et a crié fort d’admiration devant tout le monde’’.
‘’Quand Senghor devait voyager, c’est l’ensemble lyrique traditionnel qui l’accompagnait. Les musiciens partaient trois jours avant lui et on montrait ce que le Sénégal avait de plus riche dans sa culture’’, raconte la cantatrice Ndèye Fatou Ndiaye.
Au début était ‘’La Case’’
L’ensemble lyrique traditionnel est né des cendres d’un groupe appelé à l’époque ‘’La Case’’. Samba Diabaré Samb, Amath Ndiaye Samb, Ablaye Nar Samb, Doudou Ndiaye Rose, Mame Less Thioune, Ablaye Socé, Maguette Diagne etc, ont fait leurs premiers pas dans ce groupe. C’est à l’ouverture de Sorano que Senghor a fait appel à eux.
Khar Mbaye Madiaga, Soundioulou Cissokho, Mahawa Kouyaté, Khady Diouf, Ndèye Wassanam, Sombel Faye, Doudou Sarr ‘’xalola’’, Ablaye Mboup, Ndiaga Mboup, Madiop Seck, Ndiaye Seck Mboup, Sakou Dieng, Yamar Thiam ‘’tama’’, et les artistes de ‘’La case’’ précités ont formé la première génération d’artistes de Sorano.
‘’Les plus grandes voix du Sénégal de l’époque étaient pensionnaires de Sorano’’, explique Malick Socé, membre de l’ensemble lyrique traditionnel, depuis 1986. L’on se rappelle encore des envolées lyriques de Fatou Sakho, Fatou Thiam Samb, Kiné Lâm, Daro Mbaye, Diabou Seck, Ndèye Mbaye Djinma Djinma, Madiodio Gningue, Fatou Guewel, Assane Mboup qui étaient les vedettes des années 1980 et 1990.
‘’On veut faire un cd avec les grandes voix de Sorano. C’est un projet qu’on est en train de mûrir’’, annonce le directeur de Sorano, le Dr Massamba Guèye. Cette production suivra peut-être celle du premier Cd de l’ELT présenté mercredi aux journalistes et intitulé ‘’sunugaal gii’’.
‘’C’est à l’État de refaire de ce groupe ce qu’il était’’
Cependant, il faut aujourd’hui reconnaître que l’ELT n’est plus ce qu’il était jadis. ‘’C’est l’Etat qui avait créé ce groupe et on dépend toujours de lui. Alors, c’est à lui de refaire de ce groupe ce qu’il était’’, souligne Malick Socé. Mais, en attendant le bon samaritain, ils n’ont pas l’intention de croiser les bras.
‘’On veut faire retrouver à cette troupe son aura d’antan. En 1989, l’ensemble lyrique tradiitionnel avait joué dans la salle des Présidents, lors du sommet de la Francophonie. On va se battre pour que, lors de la tenue au Sénégal du même sommet cette année, que l’ELT retrouve sa place et y joue un rôle central’’, souhaite le directeur du théâtre national Daniel Sorano, Dr Massamba Guèye.
L’ELT, une véritable école
‘’Les chanteurs dont les ascendants sont d’ex-pensionnaires de Sorano sont talentueux. C’est le cas de Doudou Ndiaye Mbengue dont le père Balla Mbengue était ici. Idrissa Ndiaye qui est le pater de Papa Ndiaye Guewel était ici aussi. Et je peux encore en citer. C’est pourquoi je dis que Sorano est une école’’, se félicite Malick Socé. Arame Traoré et Saliou Mbaye confirment. Le dernier nommé est lauréat du concours de ‘’relève bii’’.
Âgé de 35 ans, il est la dernière recrue de l’ensemble lyrique traditionnel. ‘’J’apprends beaucoup ici, allant des techniques de chant à la tenue sur scène’’. ‘’Quand j’arrivais ici en 1992, j’ai trouvé des gens qui avaient l’âge de ma grand-mère. J’ai trouvé ici Khar Mbaye Madiaga et Mahawa Kouyaté. Elles m’ont aidée et soutenue dans ma carrière’’, témoigne Arame Camara qui est aujourd’hui l’une des doyennes de la troupe, avec Ndèye Fatou Ndiaye et Marie Ngoné Ndione.
La chanteuse sérère est arrivée au théâtre en 1996, après un passage au sein de l’orchestre national. ‘’Je suis arrivée, quand Khady Diouf était au seuil de la retraite. Je ne pouvais pas faire de solo au début. Mais elle, Ndèye Fatou Ndiaye et les autres m’ont poussée à le faire et aujourd’hui, je le réussis tant bien que mal’’, indique-t-elle.
Tous ces artistes ont toujours su allier leur travail à Sorano et leur carrière solo. ‘’On vient travailler ici à 9h 30 et on termine des fois en début d’après-midi. J’ai le temps de me reposer et d’aller après en studio’’, révèle Alassane Mbaye qui mène actuellement une brillante carrière solo.
Un creuset du Sénégal
L’autre spécificité de ce groupe est son melting-pot. Depuis toujours, une multitude d’ethnies s’y côtoient. En véritable creuset, l’ELT compte des chanteurs bambaras, khassonké, sérère, haal pulaar, wolof, diola, etc. Ici, chaque lead vocal est aussi choriste. Du coup, chaque chanteur est tenu de savoir comment chanter dans la langue de l’autre. ‘’Je suis arrivée ici il y a trois mois.
Ce qui m’a le plus marquée, c’est que j’ai trouvé ici toutes les ethnies et maintenant j’arrive à chanter dans toutes les langues’’, s’exclame Maty Thiam Dogo qui pourtant s’est déjà fait un nom dans le milieu de la musique. Il ne suffit donc pas seulement d’avoir une belle voix. Malgré l’âge, le talent et la reconnaissance, on peut toujours apprendre en arrivant pour la première fois à Sorano. On retrouve autant d’instruments, de tonalités, que de voix dans cette formation musicale.
L’ensemble lyrique traditionnel, c’est aussi une grande famille qui partage beaucoup. ‘’On est une vraie famille. L’une des filles de Mbaye Ndiaye ‘’kam ndick’’ porte mon nom. J’ai chanté Ndèye Fatou Ndiaye. Athia Wélé a chanté elle aussi l’un des enfants de Ndèye Fatou Ndiaye. Donc, on est une famille’’, souligne Marie Ngoné Ndione.