A force de laisser arnaquer les étrangers vivant à Dakar avec des loyers exorbitants, les sénégalais se sont retrouvés piégés par la quête de l’argent facile, pilotée par des agents et courtiers immobiliers véreux et des propriétaires pressés de fructifier leurs biens. La précipitation qui caractérise l’adoption de la loi sénégalaise portant baisse des loyers soulève des doutes sur les vrais objectifs et l’efficacité de cette loi.
L’effet boomerang du dépouillement des locataires étrangers
Avec les booms démographique et immobilier à Dakar, beaucoup de personnes, en quête d’activité professionnelle, ce sont improvisées Agent immobilier ou Courtier. Nombre d’entre eux ne connaissent rien du contrat, encore moins du droit du bail. Pendant près de vingt ans, ils ont fait les choux gras des bailleurs avec des loyers excessifs. Leurs premières cibles étant les étrangers venus des pays africains pour étudier ou travailler à Dakar. Ils incitent les bailleurs à louer leurs appartements en priorité aux étrangers qu’ils peuvent abuser en doublant les loyers. Par un silence complice, on a laissé les bailleurs et leurs courtiers déplumer ces locataires étrangers. En 2012, lors d’un cours sur les baux à usage d’habitation que nous avons animé dans un institut de formation à Dakar, une étudiante étrangère à révélé, presque en larmes, la grosse arnaque dont elle et ses compatriotes font l’objet : frais d’agence et caution exagérés ; multiples augmentations de loyers ; rupture de bail sans congé ; refus de restituer la caution en fin de bail, menaces et intimidations, etc. Nous avons accompagné trois d’entre eux pour réclamer leur caution auprès d’un agent immobilier au quartier Sacré Cœur. Comme réponse, il nous chuchote en privé : « laisses-moi faire avec ces Niakk (mot sénégalais pour désigner certains étrangers africains), ils ont de l’argent ». Il s’est avéré que cet agent immobilier est un récidiviste qui agit en bande organisée avec d’autres courtiers. Nous l’avons dénoncé auprès des habitants et du délégué de quartier. Mais c’est avec stupéfaction que nous avons constaté le désintérêt de la population face aux arnaques réservées aux locataires étrangers. Il a fallu porter plainte contre l’agent et son équipe pour les obliger à restituer la caution. Il ne faut donc pas perdre de vue que les premiers responsables de cette dérive immobilière sont les pseudos-agents immobiliers et les chômeurs-courtiers, sans formation ni morale, qui ne jurent que par le gain facile et rapide. La population sénégalaise était au courant de cette escroquerie orchestrée à priori contre les étrangers. Mais elle ne se sentait pas concernée par le mal. Le gouvernement n’a pas agi efficacement contre les pirates de l’immobilier. Par effet de contagion, les prix exorbitants se sont rapidement généralisés. Le piège s’est refermé sur les sénégalais eux-mêmes. Aujourd’hui la population est aux abois, emportée à son tour par la houle déferlante des loyers excessifs. L’Etat est responsable de n’avoir pas pu imposer à tous les bailleurs de déterminer les loyers suivant la surface corrigée. Pour avoir laissé faire depuis plusieurs années, l’Etat a créé de facto une nouvelle pratique de bail à usage d’habitation. De ce fait, il est en partie responsable des dégâts causés par les vautours du marché immobilier. Ce n’est pas la loi votée pour baisser les loyers, à la fois inéquitable et aveugle, qui lui permettra de soigner la fièvre infligée au budget des locataires.
Une loi inéquitable
Annoncée le 31 décembre 2013 par le président sénégalais, la loi portant baisse des loyers a été adoptée par l’assemblée nationale le 15 janvier 2014 et promulguée le 22 janvier 2014. L’objectif déclaré est de freiner la dérive inflationniste qui infeste le marché de la location immobilière. En baissant ponctuellement les loyers (de 29% jusqu’à 150 000 FCFA ; 14% entre 150 000 et 500 000 FCFA, et de 4% au-delà), le président de la République et l’assemblée nationale apportent une solution en trompe-l’œil. Ce n’est pas une loi statique qui résoudra un problème devenu structurel. On diminue les loyers, et après ? Le problème renaîtra dans quelques années. Faudra-t-il alors voter une nouvelle loi pour imposer une nouvelle diminution des loyers ? Et rebelote ? Cette loi fait du vent, mais ne fera pas de dunes. La baisse des loyers envisagée ne sera pas équitable. Car les charges de construction et d’entretien des biens immobiliers ne sont les mêmes d’une région à une autre. Et à l’intérieur d’une même région comme Dakar, il existe de grandes disparités dans les prix du foncier et de la construction : Par exemple, entre le quartier populaire de Yeumbeul et celui de Fann, plutôt résidentiel. Mieux, dans un même quartier les logements n’ont pas le même standing ni les mêmes atouts : commodités, emplacement de l’immeuble ; tranquillité et sécurité du coin ; proximité des routes principales, des commerces, des crèches et écoles, des services de santé, etc.
Une loi aveugle et discriminatoire
En baissant aveuglément les loyers sans tenir compte de la valeur réelle des biens loués, on instaure une discrimination entre les bailleurs et entre les locataires. Prenons l’exemple de deux appartements, l’un loué à un prix excessif par M. ARNAQUE, l’autre à son juste prix par M. HONNETE. Si M. HONNETE louait son bien à 150 000 FCFA, avec la nouvelle loi il doit dorénavant le louer à 106 500 FCFA. Si M. ARNAQUE louait son bien à 152 000 FCFA, alors qu’il vaut un loyer de 100 000 FCFA, avec la nouvelle loi il doit le louer à 130 000 CFA. On voit l’effet pervers de cette loi : D’une part elle dévalorise le bien du bailleur honnête à qui il prive injustement de 43 500 FCFA chaque mois. D’autre part elle maintient le locataire dans l’injustice, et permet au bailleur filou de continuer à l’arnaquer légalement de 30 000 FCFA chaque mois. Qui plus est, avec cette loi les logements adéquats et biens entretenus par leurs propriétaires subissent le même traitement que les logements pourris surévalués par des marchands de sommeil. C’est insensé ! Pour corriger cette absurdité, le gouvernement serait tenté de réécrire cette loi par la voie réglementaire. Il aurait corrompu la fonction du décret et fait preuve d’amateurisme. II reste alors une autre alternative : le président de la République fixe lui-même le loyer de chaque appartement et de chaque maison. Ce qui serait matériellement chaotique et constitutionnellement illégal. Le président de la République aurait violé la propriété privé qui est un droit fondamental garanti par la constitution. Il faut donc de vrais solutions pour protéger les locataires, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Cela doit se faire sans populisme et uniquement sur la base de l’équité, afin de préserver le droit de propriété et ne pas succomber aux méthodes communistes.
Aliou TALL
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen)