Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a battu en brèche, lundi à Dakar, la théorie du choc des civilisations de l’universitaire américain Samuel Huntington, en la qualifiant d’"absurde" et de "simplement stupide".
M. Diagne, qui intervenait à une table ronde sur la question de savoir si on peut aujourd’hui "parler d'un choc des civilisations", affirme qu’il ne peut répondre que par la négative à cette interrogation, dans la mesure où "c’est absurde" de penser que les conflits naissent des différences entre les civilisations.
L’expression "choc des civilisations" est tiré de l'article "The Clash of Civilizations" publié en 1993 par la revue américaine "Foreign Affairs". Cet article a été développé par son auteur, l’Américain Samuel Huntington, professeur à l’Université de Harvard (Etats-Unis d’Amérique), qui publiera trois ans plus tard un livre, sous le même titre.
Dans ce célèbre ouvrage, qui suscitera de nombreuses réactions dans le monde, M. Huntington estime que "les causes de conflits ont cessé d'être uniquement géopolitiques et liées à la conquête du pouvoir, pour devenir idéologiques".
"Huntington nous dit qu'il faut désormais penser les conflits en termes pas idéologiques, mais culturels. Il nous dit que le choc des civilisations dominera la politique à l'échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur", a d’abord expliqué Souleymane Bachir Diagne.
M. Diagne dira ensuite qu’il pense, comme "beaucoup" d’autres intellectuels, que la théorie de l’universitaire américain est "simplement stupide".
"L’idée même de conflit des civilisations finit par installer les gens dans la logique qu’ils sont en confit" les uns avec les autres, a-t-il ajouté.
La réflexion donnée par Samuel Huntington découle d’une "logique perverse" de la notion de civilisation, car "il s’agit d’installer dans l’esprit de quelqu’un qu’il est en conflit avec l'autre, car étant d’une culture ou d’une religion différente de celle de l’autre", a analysé le philosophe sénégalais.
"C’est faire trop d’honneur à Samuel Huntington que de s’attarder sur son texte", a-t-il ajouté.
Lors de la rédaction de son article, M. Huntington "avait éclairement ignoré l’Afrique, mais face aux critiques et en prenant conscience que l’Afrique est un continent trop massif pour être ignoré, il a décidé de l'intégrer dans sa thèse" qui sera publiée sous forme de livre en 1996, a rappelé Souleymane Bachir Diagne.
Il a relevé "le caractère approximatif et confus de la réflexion de Huntington, qui est resté relativement superficiel".