Pourquoi l'opération Serval a-t-elle été rendue possible ? Qu'est-ce qui explique les difficultés de l'armée de la CEDEAO à se mettre en place pour venir en aide à un pays membre? Sur fond de crise malienne scrutée à travers des échanges épistolaires qui constituent la chair de leur ouvrage, "La Gloire des Imposteurs", Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop sont d'avis que les Français ne sont pas des enfants de chœur. Et que leur intervention militaire vise à défendre des intérêts menacés dans un Mali en proie aux dégâts collatéraux de la crise libyenne.
Victimes des violences, des vexations et des humiliations de hordes islamistes occupant le Nord de leur pays, nombre de Maliens vont adouber l'intervention militaire française, n'en pouvant plus d'attendre une improbable intervention de leur armée nationale. D'où ce paradoxe qui en a dérouté plus d'un, notamment Aminata Traoré et Boris Diop, constatant amèrement que leur condamnation sans réserve de l'ingérence française avait rencontré l'accueil enthousiaste de bon nombre de Maliens arborant le drapeau tricolore du libérateur.
Interpellé par ce paradoxe, le passionnant dialogue amorcé par Aminata et Boris se complexifie, comme si l'adrénaline leur montait à la tête. Sans être en opposition, leurs correspondances expriment parfois des nuances dans leurs approches et leurs interrogations sur la place du continent dans un monde globalisé et sur l'idée qu'il se fait de sa dignité. Un moment fort de ce dialogue aura été l'aveu de l'ancienne ministre de la République, Aminata Traoré à son ami Boris, de n'avoir jamais voté et de s'y être finalement résolue pour la première fois lors de la dernière élection présidentielle malienne, pressée qu'elle était par les parents, les amis et autres voisins. Et c'est à cette occasion justement que le taux de participation qui oscillait généralement entre 20 et 30% s'est élevé à 50%.
Face à la complexité du réel comment alors ne pas convenir qu'il n'y a point d'évidence encore moins de certitudes enroulées sur elles-mêmes. Tout dogmatisme et toute velléité d'homogénéisation chromatique et/ou idéologique se révélant par conséquent dérisoires. Ce dont conviendra Boris Diop dans son post- scriptum en expliquant que ce sont "les dirigeants occidentaux et pas leurs compatriotes en général qui ont pris la décision d'attaquer la Libye, mettant du coup le Mali dans la situation désastreuse que l'on sait". De même fera-t-il observer, "il serait tout aussi injuste de condamner l'ensemble des Africains, voire tous les Noirs , à cause des comportements indignes de certains de leurs dirigeants".
Aussi, si l'idée de remettre à leur place les Toubabs rythme le livre comme une obsession tenace au risque faire croire à certains qu'ils se défaussent sur les autres et dédouanent les Africains, Boubacar Boris Diop répond à tous ceux qui seraient tentés par cette critique que Aminata et lui n'ont "jamais fait d'amalgame entre les peuples et les appareils étatiques". Bien au contraire, "La Gloire des Imposteurs" s'attaque à la Françafrique, interroge ce qu'il est convenu d'appeler le Printemps arabe, prend le pouls d'une Afrique travaillée par des forces contradictoires. A l'image notamment des" migrances" d'une jeunesse à l'assaut du désert ou entassée dans des bateaux de fortune, prête à affronter d'innombrables obstacles, portée par l'espoir d'échouer sur la terre promise.
"La Gloire des Imposteurs" , c’est aussi un appel à intérioriser l'idée selon laquelle, "la seule chose intolérable, c'est de s'installer à demeure dans la haine de soi". Boris va ainsi revisiter l'apport de Cheikh Anta Diop pour mieux fustiger la propension des intellectuels à se trouver des maîtres penseurs bien éloignés de leur ancrage local. Un hommage appuyé sera ainsi rendu à Babacar Mbow alias Chacun. Ce dernier a eu la lumineuse intelligence de s'éloigner du "délire idéologique d'alors" pour se recentrer sur son terroir et transformer "en actes concrets" les paroles empreintes de générosité de l'époque.
Sa manière à lui de dire et de faire advenir le possible dans son village de Ndème, logé au cœur du Baol, où il s'investit depuis plus de trente ans dans "une expérience unique de développement à la base, en totale responsabilité des populations". En tout cas, la "Gloire des Imposteurs ne laisse personne indifférent et suscite forcément des réactions. Aussi le lecteur intervient-il forcément au cours de ces échanges épistolaires, acquiesçant, désapprouvant ou prolongeant certaines interrogations et prises de position, répondant ainsi à l'invite des auteurs qui disent avoir "essayé d'ouvrir les portes du dialogue à tous ceux qui voudront bien les lire sans parti pris".