Les Chambres africaines extraordinaires (Cae) poursuivent leurs enquêtes en vue de la préparation du procès d’Hissène Habré. Une troisième Commission rogatoire pourrait être envoyée au Tchad et des mandats d’arrêts internationaux délivrés.
L’instruction du dossier de l’ancien Président tchadien Hissène Habré est toujours en cours. Après une première Commission rogatoire (Cr) ordonnée par les juges de la Chambre d’instruction des Cae qui s’est étendue du 20 août au 2 septembre 2013, puis une deuxième en fin 2013, on s’achemine vers une troisième. La Commission d’instruction s’emploie, selon des sources, aux modalités d’exécution de mandats d’arrêt internationaux contre certains anciens dignitaires du régime de Habré. Et c’est cette exigence de la procédure qui motiverait la délivrance de la troisième Cr exécutoire, qui serait la dernière si l’on se conforme au dossier confectionné tout au début de l’ouverture officielle de l’enquête. Lors de la dernière réunion interne tenue au siège de la juridiction spéciale, les principaux enseignements de la deuxième Cr des Cae chargées de mettre en œuvre de jugement de l’ancien Président tchadien en territoire sénégalais ont été tirés, en présence des juges et autres assistants ayant participé directement ou à distance aux différentes phases de l’instruction depuis son ouverture. La compilation de documents ramenés lors de leur dernier séjour à Ndjaména, en fin 2013, a constitué la principale matière à investiguer à Dakar, en sus des rapports et comptes-rendus retenus du paquetage belge joints à la moisson tchadienne, depuis les premiers éléments d’enquête collectés lors de la toute première Commission rogatoire ordonnée par les juges de la Chambre d’instruction des Cae. Le chef du Parquet desdites Chambres avait, par réquisitoire introductif, inculpé Hissène Habré pour crimes de guerre, crimes contre l’Humanité et tortures, le 2 juillet 2013.
Expertise médico-légale. Les avocats de la défense avaient déposé une plainte contre le ministre sénégalais de la Justice et contre le Procureur général, Mbacké Fall. Mais cela n’a pas réfréné les ardeurs des magistrats des Cae. Des experts médico-légaux argentins ont été requis par la Chambre d’instruction pour une assistance technique, et quelques résultats des opérations de datation après exhumation des ossements de victimes des carnages supposés être perpétrés sous le régime de Habré entre 1982 et 1990 sont déjà disponibles au siège des Cae. Ils ont fait l’objet d’une exploitation comparative avec certaines données recueillies lorsque le dossier était entre les mains des autorités belges, et seront joints au fond du dossier de l’affaire Habré. En plus des résultats des enquêtes diligentées par la partie tchadienne, pour ceux des co-auteurs et complices qui devront être jugés à Ndjaména, de nouvelles auditions effectuées dernièrement ont été épluchées pour en tirer des éléments crédibles à charge ou à la décharge du prévenu Habré.
Des suspects dans le collimateur. Il nous revient, en outre, que lors des dernières auditions, des témoins à décharge ont tenu à faire des dépositions pour impliquer de hautes autorités politiques tchadiennes actuellement aux côtés du Président Idriss Deby, pour ne pas dire sa propre personne et celle de certains de ses proches parents, tout en précisant «qu’ils comptaient sur l’indépendance de la justice sénégalaise pour un procès équitable et juste pour tous ceux qui sont impliqués à un haut niveau dans l’exécution des exactions prêtées à Hissène Habré». De plus, depuis plusieurs mois déjà, deux anciens directeurs de la DDS (Police politique du régime) Mahamat Djibrine et Saleh Younouss sont détenus à Ndjaména par les autorités tchadiennes. La Commission d’instruction garde dans son collimateur trois autres présumés complices ou co-auteurs de Habré, que sont Guihini Kore, Torbo Abacar, et un dénommé Zaccaaria Berdeye. Ils figureraient en bonne place sur la liste des personnes susceptibles d’aider, de par leurs interrogatoires de fond, à éclairer la lanterne des magistrats-enquêteurs et devraient, s’ils sont appréhendés, rejoindre Habré dans ses nouveaux quartiers où dans un autre centre de détention à Dakar pour les besoins de l’instruction.
Jusque-là, le pool d’avocats constitué pour la défense de l’ancien Président tchadien maintient sa décision de boycotter les actes posés par la Commission d’instruction des Cae. Et si l’on se fie à la menace d’Hissène Habré lui-même d’opter pour la stratégie du motus et bouche cousue devant le juge, il se pourrait qu’on se dirige vers un procès à sens unique où la défense sera assurée par un avocat choisi d’office par le juge.