Le week-end passé, les déclarations de Me Amadou Sall à Guédiawaye et la série d’arrestations effectuée à Pikine ont distendu un peu plus l’atmosphère, à quelques jours de la fin probable du procès de Karim Wade. Malgré cette agitation sociale, la jeunesse de la banlieue refuse d’être les agneaux du sacrifice du jeu politique.
‘‘Nous disons non à la manipulation par les hommes politiques. Nous avons besoin de travailler et de faire avancer le pays’’. Modou Fall se dit businessman et invite ses jeunes concitoyens de la banlieue à ne pas être victimes de la situation hypertendue d’avant verdict du procès de Karim Wade. ‘‘Il faut que la jeunesse de Pikine se réveille. Les politiques qui tirent les ficelles sont une infime minorité d’à peine 1%. Celui qui se laisse manipuler, c’est son problème. Le Sénégal ne se limite pas qu’au verdict du 23 mars ’’, déclare-t-il. Cet homme d’affaire établi sur l’avenue Pikine Tally boumack discute civisme, en compagnie de quatre menuisiers. Sur notre interpellation, tout le monde se lâche dès que l’arrestation de Bathie Séras et Amina Nguirane est évoquée : ‘‘C’est notre lutteur, nous ne lui souhaitons aucun mal. Mais qu’il se défende de ces accusations car nous sommes dans un pays de droit. S’il est établi qu’il n’a rien fait, il sera libre’’, poursuit le jeune Fall, en ajustant ses lunettes noires bien assorties à son ensemble jean.
Sur cette grande avenue, les lits doubles en vente jalonnent les trottoirs sur une centaine de mètres. Les artisans sont à l’œuvre et la plupart de ces Pikinois veulent se départir de cette réputation de banlieue violente qui leur colle à la peau. Ecoliers à la descente, désœuvrés, vendeurs du secteur informel…, la jeunesse de la ville la plus peuplée du Sénégal dit ne plus vouloir servir de chair à canon politique à des individus en manque de popularité. Dans ce ‘‘vivier’’ électoral, traditionnellement favorable au parti démocratique sénégalais (Pds), les jeunes ont toujours porté les plus âpres batailles de Abdoulaye Wade.
A titre d’illustration, l’Apr a été défait par les libéraux lors des dernières locales de 2014: 7 communes d’arrondissement contre 5 sur les 16 que compte le département. Les autorités craignent-elles que ce bastion libéral soit le point de départ d’une contestation le jour du verdict ? En tout cas, le secrétaire général de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (Ujtl) de Pikine nord, Cheikh Omar Talla, trouve cette série d’arrestations troublantes. Pour lui, cette rebuffade des partisans libéraux est la résultante d’une oppression politique. ‘‘Quand l’opposition est stigmatisée et n’a pas un cadre légal, ou se voit interdire de manière systématique la parole, elle doit apporter une réponse appropriée. Toutes ces arrestations sont politiques et méritent une réponse politique’’, se défend-il.
Prisme déformant de la presse
Toujours est-il que la plupart des résidents se démarquent de toute marque de violence qu’on voudrait imputer à leur département. Selon eux, les quartiers de la banlieue ne serviront pas de couveuse à une quelconque contestation le jour du verdict du procès de Karim Wade. Devant les murs ‘‘graffés‘’ de l’école Chérif Mouhamadou Tijani, le marché de Bountou Pikine bat son plein. A l’arrêt des voitures ‘clandos’, un groupe de retraités discute des titres de la presse du jour. Pour eux, le fils de l’ancien président est ‘‘un justiciable sénégalais qui doit répondre de ses actes au même titre que le voleur de volaille qui croupit à Rebeuss’’.
A ce titre, ils ne comprennent pas la défense ‘‘ politicarde’’ qui s’organise en sa faveur ainsi que les répliques malvenues des partisans du pouvoir. ‘‘La force publique a bien géré la situation jusque-là. C’est leur rôle de maintenir la sécurité des personnes et des biens. Ils ont procédé à des arrestations sur la base de leurs renseignements. Il ne faut laisser personne déstabiliser le pays, qu’ils soient partisans de l’opposition ou du pouvoir ’’, défend Amadou Tall, en costume cravate. Un peu plus à l’intérieur, dans les ruelles de Dagoudane, ça débat ferme entre un groupe de jeunes sur l’action d’éclat des membres de Y’en a marre. Mais le sujet change avec la série d’arrestations qu’on note depuis le week-end passé. La séance de thé en est à la deuxième cuisson devant un mur plein de graffitis, dans ce populeux quartier.
Les cris des plus jeunes fusent d’une partie animée de babyfoot. Pour ces jeunes désœuvrés, la situation n’est pas si délétère qu’elle n’y paraît car c’est le prisme déformant de la presse qui amplifie ce problème. ‘‘ A longueur de journée, on ne parle que de ça à la radio, à la télé et dans les journaux. Bathie Séras a été arrêté ; et alors ? A ce que je sache, les inculpés pour enrichissement illicite ne sont pas de la banlieue. Pourquoi donc vouloir en faire l’épicentre de la violence à Dakar ?’’ se demande Ibou Touré, très remonté contre l’image que les médias véhiculent sur son département.
Ramassage des pneus
‘‘Par ces temps qui courent, même nous les vulcanisateurs avons beaucoup de problèmes avec nos pneus’’, confie El Hadj Tall, penché sur une grande cuvette d’eau où est plongée une chambre à air. Les autorités préfectorales prennent les devants depuis l’interpellation du lutteur pikinois Bathie Séras. Dans les rues sablonneuses ou bitumées des quartiers, pas de pneus. Les parents interdisent même aux enfants de jouer avec depuis que les forces de l’ordre ont accentué la sécurisation de la banlieue. Mercredi, une opération de ramassage de ces objets usés a été organisée par le préfet Guedj Diouf lui-même en commençant par Thiaroye, puis Pikine Dagoudane et les Niayes. Plus de 400 pneus avaient été collectés.
Malgré une opposition ferme, Cheikh Omar Talla de l’Ujtl tient tout de même à rassurer quant au déroulement de l’audience de lundi. ‘‘Nous avons construit ce pays et nous n’avons pas intérêt à le détruire. J’appelle à la sérénité tous les Sénégalais et les hommes politiques pour qu’ils comprennent que nous devons préserver tous ces acquis démocratiques’’, déclare-t-il.