Nul n’est censé ignorer la loi. Cette maxime s’applique mal dans le secteur du commerce. Non seulement les consommateurs ignorent les prix de certaines denrées fixés par l’Etat, mais les boutiquiers qui les connaissent refusent de les appliquer, sous prétexte pour certains qu’ils ne sont pas informés. Un tour dans quelques boutiques pour y voir clair.
Ce dimanche aux environs de 11h, Maïmouna vient faire ses achats à la boutique du quartier. Produit après produit, le boutiquier fait le calcul et lui annonce la somme. Maïmouna tend un billet de banque et encaisse la monnaie dans la seconde qui suit. A-t-elle une idée des prix auxquels elle devrait normalement acheter ? Gênée par la présence du commerçant, elle préfère aborder la question au dehors. ‘’Il est difficile de faire respecter aux boutiquiers les prix fixés. Vous voyez, il n’a même pas affiché son tableau de prix, pour éviter que les clients prennent connaissance des vrais montants, déplore-t-elle. Le constat est presque le même, la quasi-totalité des boutiquiers et du secteur informel n’appliquent pas les prix fixés par le ministère du Commerce. Comme toujours, quand il s’agit de baisser les prix, les boutiquiers traînent les pieds ou font la sourde oreille. Tout le contraire lorsqu’il s’agit de procéder à une hausse.
Au quartier de Fass, les prix varient selon les boutiquiers. Dans la première échoppe visitée, à la rue 22 prolongée, les prix n’ont pas été gonflés. Nous faisant passer comme simple cliente, nos questions ont vite trouvé des réponses auprès du boutiquier. Tee-shirt gris, Thierno s’emploie avec rapidité à satisfaire ses clients. ‘’A combien vendez-vous le litre d’huile en fût ?‘’ lui demande-t-on. Réponse immédiate : ‘’C’est à 900 F CFA’’. Un chiffre qui correspond au prix fixé par l’arrêté ministériel.
Ce respect de la réglementation est aussi noté pour le prix du kilogramme de riz non parfumé, et du sucre. Le prix des dosettes, n’est cependant pas conforme à la législation. Le jeune Guinéen se justifie : ‘’Je vends les dosettes à 300 F CFA, au lieu de 290 F CFA, car cela dépend du prix avec lequel je l’ai obtenu’’. Thierno avoue qu’il n’a jamais été contrôlé par les agents du ministère du Commerce. Quelques mètres plus loin, un autre magasin. Le gérant de ce commerce est un jeune homme qui a remplacé son oncle. Il confie n’avoir pas encore reçu la visite des agents contrôleurs. Ni avoir été enjoint d’afficher le tableau des prix des denrées fixés, comme l’exige la loi.
Malgré la non-observation des prix arrêtés sur certaines denrées de première nécessité, ce lieu reste très sollicité par les habitants de ce quartier populeux. El Hadji, l’aîné et gérant de la boutique, affirme que le litre d’huile est vendu à 900 F CFA, et la dosette à 300 F CFA, le kilogramme de sucre à 600 F.
Les boutiquiers de la Gueule Tapée font aussi dans la spéculation. Ici, les prix des denrées sont gonflés par rapport à ce qui a été arrêté par le gouvernement. Les acheteurs ignorent les prix fixés et subissent la loi des commerçants. Rue 65x60, il est 15 h passées de quelques minutes, un calme plat règne curieusement dans ce quartier connu pourtant pour son ambiance. A part quelques chauffeurs de taxi qui squattent le mur de l’hôpital Abass Ndao, le quartier est quasi-vide. Un alignement de boutiques ouvertes sur une même rue constitue le décor.
‘’On risque de s’attarder sur des réclamations de 25 F CFA’’
A gauche du premier angle, un magasin imposant. Derrière le comptoir, un jeune au teint clair du nom d’Ahmed. Il a affiché le tableau des nouveaux prix dans sa boutique. En dépit de quelques égratignures sur le papier, les écrits sont visibles. Interpellé une fois sur le prix du litre d’huile, le boutiquier avance la somme de 900 F CFA. Une autre pour connaître celui de la dosette, il hésite et dit : ‘’Vous pouvez regarder derrière vous, les prix sont affichés, c’est bien indiqué’’. Croyant avoir affaire à un agent contrôleur du fait de cette série de questions, il se montre méfiant.
A quelques encablures de là, le négoce de Boubacar, un autre jeune Guinéen. Il se fait aider dans le travail par une dame voilée. L’air très actif, il livre ses prix sans hésiter. Comme les autres, il est lui aussi en marge de la réglementation. Dans cette boutique, rien n’est affiché. Le gérant informe n’avoir pas encore reçu la visite des services de contrôle. Yaye Fatou Diouf, une cliente, exprime son amertume face à la situation. ‘’C’est vraiment dommage ! Dans ce pays, à chaque fois, c’est pareil. Quand il s’agit d’augmenter, ils n’hésitent pas à le faire très vite, mais si c’est le contraire, ils tardent à s’exécuter’’, s’offusque-t-elle.
Comme la jeune fille, elle est au courant de la réduction sur certains produits mais ne maîtrise pas bien les nouveaux prix. ‘’Si je savais les prix, j’allais les imposer aux boutiquiers’’, promet-elle. Et de regretter que ceux-ci ‘’appliquent les mêmes prix comme s’ils se passaient le mot’’. Mais à l’instar de bon nombre de Sénégalais, elle préfère renoncer à ses droits plutôt que de les réclamer. ‘’Nous sommes obligés d’accepter ces prix. Nous ne pouvons pas faire autrement, sinon on risque de s’attarder sur des réclamations de 25 F CFA à n’en plus finir’’, dit-elle l’air résigné.