Le budget 2015 de l’Etat du Sénégal est celui de la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent, la base de la politique de développement du pays jusqu’en 2035. Les ambitions de ce plan ne se reflètent pas toujours dans le budget en question, dont d’ailleurs, sur certains points, la sincérité est mise en question. Dans un document qui s’impose petit à petit comme une référence, le cabinet Grant Thornton en montre les limites.
L’encours de la dette progresse actuellement de 1,5 à 2% du Pib par an. Bien qu’il n’atteindra cette année que 50% du Pib, ce qui est encore très loin de la limite des 70% du Pib imposée par les critères de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), la rapide progression de l’encours de la dette est assez inquiétante. Et le dernier dossier du cabinet Grant Thornton, intitulé, Budget 2015 : Objectifs de croissance et orientations budgétaires, n’a pas manqué de le relever. Le document note également que le service de la dette publique enregistre, comme en 2014, une forte progression de 14,25%. Et les rédacteurs du cabinet de relever que «le service de la dette et les dépenses de personnel, à eux deux, absorbent 66% des recettes ordinaires hors dons. Cette proportion reste préoccupante et offre un espace budgétaire restreint».
Le budget de 2015 est présenté comme celui qui verra le début des effets du Plan Sénégal émergent (Pse), l’épine dorsale de la politique économique du gouvernement de Macky Sall, entré enfin dans sa phase opérationnelle. Il est naturel qu’une structure internationale spécialisée comme le cabinet d’audit Grant Thornton, dont le bureau sénégalais est dirigé par Mansour Gaye, s’y penche et l’analyse, dans un document dont la vocation première est d’informer les investisseurs potentiels, «qui ont besoin de données économiques de qualité pour alimenter leurs business modèles en vue de soutenir leurs projets au Sénégal». Le document aide également à éclairer «les partenaires techniques et financiers qui pourront y trouver un condensé d’informations économiques susceptibles de donner une visibilité globale de la politique économique et sociale du pays».
Fiabilité du budget en question
Malheureusement, le métier d’auditeur empêche les experts-comptables d’émettre un avis sur les dossiers qu’ils traitent, se contentant de présenter des analyses. Néanmoins, il est assez aisé de voir que malgré les fortes ambitions dans la conduite du Pse, la fiabilité du budget 2015 est encore sujette à caution. C’est ce que l’on pourrait comprendre de cette analyse de la brochure : «Les dépenses de personnel du titre II sont prévues à 31,8% des recettes fiscales. Cependant, la prise en compte des salaires des corps émergents de l’éducation inscrits au titre III porterait le ratio à 37,2% des recettes fiscales, au-dessus du plafond Uemoa de 35%.» On se demande d’ailleurs, les corps émergents étant payés par le budget de l’Etat, ce qui d’ailleurs a poussé plusieurs fois le ministère de l’Economie et des finances à protester sur le poids des salaires de la Fonction publique sur le budget de l’Etat, ce qui justifie la non-prise en compte officielle de ces rémunérations dans le budget. Ce problème de fiabilité se pose même en ce qui concerne les chiffres sur lesquels sont élaborées les données du budget de l’Etat. Grant Thornton a été, à un moment, confronté au problème que Le Quotidien avait soulevé en avril de l’année dernière : «Dans la phase de collecte d’informations qui a précédé la rédaction de la présente brochure, Grant Thornton a été confronté à des chiffres contradictoires entre la Dpee et l’Ansd, notamment sur l’estimation du taux de croissance.» Et les auditeurs estiment : «Il est souhaitable que les différents services de l’Etat qui produisent des informations économiques et statistiques trouvent des convergences. De telles divergences entre différentes entités de l’Administration sont de nature à porter préjudice au Sénégal qui a toujours été vu comme un pays de référence pour la qualité de sa production statistique.»
Nonobstant cela, le document de Grant Thornton note avec satisfaction l’effort de clarté et d’ouverture réalisé par les concepteurs du budget de l’Etat : «Les autorités ont procédé, dans un souci de transparence, à des opérations de reclassement de certaines dépenses de fonctionnement improprement intégrées dans la rubrique des dépenses d’investissement. C’est le cas par exemple des dépenses de contrepartie de certains projets et programmes financés par les Ptf.»
Il faut néanmoins noter que les ambitions du Pse ont semblé bien trop importantes pour le budget 2015. Ainsi, dans la préparation du budget, les autorités ont tablé sur un taux du Pib de 5,4%, et qui sera porté par une reprise du secteur primaire et la consolidation des performances des secteurs secondaires et tertiaires. Le document de Gt note : «Cette prévision est toutefois substantiellement en retrait par rapport à l’objectif de 6,7% inscrit au Pse.»
D’autres éléments qui ont servi de base à l’élaboration du budget, les hypothèses d’une croissance du Pib à prix courant à 8,2%, un taux d’inflation à 1,4%, un niveau de pression fiscale de 19,4%, bien au-dessus des 17% préconisés par l’Uemoa, et surtout, un taux de déficit budgétaire de 4,5%, bien au-dessus de l’objectif des 3,9% antérieurement fixé, et qui est considéré comme le minimum indispensable pour maintenir un niveau de dette satisfaisant. L’objectif aurait été repoussé à 2017, pour se conformer au cadrage du Pse.