Moins d’un an après la publication d’un ouvrage très controversé ‘’Pour l’honneur de la Gendarmerie’’, édité en deux tomes par l’Harmattan, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw revient sur scène. Il a en effet fini d’accoucher la dernière ligne d’un nouvel ouvrage, qui a une tonalité – bien différente du premier : ‘’Sécurité pour l’émergence du Sénégal’’. Le colonel Ndaw, qui est parti à la retraite le mois dernier, réfléchit cette fois sur une réforme globale de la Sécurité, à la lumière des nouveaux enjeux du monde, avec un clin d’œil appuyé et critique sur le fonctionnement du système.
L’ouvrage, rédigé durant la période des arrêts de rigueur, ‘’Sécurité pour l’émergence du Sénégal’’, s’étire sur 130 pages. Il est subdivisé en deux parties ; une qui fait une sorte d’audit de la Sécurité au Sénégal et une autre qui est un paquet de propositions à même d’améliorer le système. ‘’L’étude se veut globale, générale, mais ne saurait être exhaustive encore moins totale (…). Elle est une contribution à même de jeter les bases d’une nouvelle approche des enjeux de la sécurité et une volonté de faire ouvrir un débat large, critique et constructif’’, lit-on dans le texte introductif.
Un héritage bien lourd…
D’emblée, le colonel Ndaw avoue que ‘’le système tel que nous l’avons vécu depuis les années d’indépendance mérite un grand toilettage ou du moins une nouvelle initiative pour lui apporter des corrections essentielles’’. Le système hérité de la France ‘’présente deux types de police dont le statut, les règles d’emploi et les méthodes sont totalement opposés. La Police Nationale est un corps paramilitaire chargé de veiller à la sécurité des personnes et des biens. La Gendarmerie Nationale est un corps militaire chargé de veiller en tout temps et en tous lieux à la sûreté générale’’.
L’ancien numéro deux de la Gendarmerie estime aujourd’hui que les réformes doivent s’appliquer, d’autant plus que la qualité du service délivré par les forces supposées assurer la sécurité s’est beaucoup dégradée ces dernières années. ‘’Je me rappelle des “Chaka Zulu” des évènements de 1988 ou face à des hordes d’étudiants sopistes, la Gendarmerie a pu rétablir l’ordre sans blesser une seule personne. La Police avait réussi, malgré les évènements dits de la Police qui avaient décimé ses rangs, à interdire aux hordes d’étudiants de traverser la ligne représentée par l’avenue Malick SY, séparant le Plateau de la Médina’, rappelle le Colonel Ndaw. Qui estime du reste que la crise n’est pas seulement propre à la Police ou à la Gendarmerie. ‘’Le manque total de vision, de leadership, de valeurs, de vertus (…) frappent en général les Sénégalais, indique-t-il, ajoutant que ‘’le Sénégal est malade et très malade, parce que les fondamentaux qui ont prévalu depuis l’aube des temps se sont dangereusement fondus face à la montée des périls’’.
Les ingrédients de la crise
L’auteur qui s’inscrit dans une dynamique constructive, précise qu’il ‘’ne dénonce plus’’, mais ‘’donne’’ sa ‘’part de contribution à l’édifice national dans ce qu’il ‘’maîtrise le plus’’. Ce qui ne veut pas dire édulcoration de la réalité car l’analyse reste directe, tranchante, parfois à charge. Et ‘’le président de la République, qui a été ministre de l’Intérieur sait plus que tout le monde que la sécurité des Sénégalais pose problème’’. Pour le colonel Ndaw, Macky Sall ‘’a certes montré la volonté en faisant de la sécurité un domaine prioritaire. Après son élection, mille policiers sont recrutés par an. Mille gendarmes sont formés chaque année à Fatick. Il fait construire des commissariats un peu partout. Il a mis en place une Agence de la Sécurité de Proximité avec dix mille agents’’. Mais, nuance-t-il, ‘’j’ai peur qu’on ait mis la charrue avant les bœufs.
Analysant certaines failles qui rendent urgentes les ‘’assises de la sécurité’’ en général ; le Colonel Ndaw estime que ‘’le rattachement de la Gendarmerie au Ministère de l’Intérieur est un acte prématuré et dangereux pour la sauvegarde des institutions de la République’’. En effet, argumente-t-il, ‘’le président de la République est garant des Institutions’’ et ‘’la Gendarmerie est son bras armé pour lui permettre de garantir les Institutions de la République’’. Or, ‘’la Gendarmerie n’obéit qu’à la loi et ne dépend dans son emploi, que de la loi. Aucune autorité ne peut lui donner des ordres et des injonctions en dehors d’un cadre légal strictement réglementé’’. Conclusion : ‘’en plaçant la gendarmerie auprès des différentes autorités administratives, judiciaires et militaires, la loi ne donne aucun pouvoir hiérarchique à ces autorités sur la Gendarmerie.
Elle agit sur réquisition et sur demande de concours. Son service n’est commandé que par les autorités de commandement de la Gendarmerie que sont les Commandants de brigade et les Officiers de Gendarmerie. La réquisition et la demande de concours permettent à toutes les autorités qui ont besoin de la Gendarmerie de la faire agir dans un cadre formel et limitativement prévu par la loi’’, écrit le Colonel Ndaw.
Et si ce dernier estime que ‘’l’organisation de la Direction Générale de la Sûreté Nationale (…) ne demande pas trop de réformes, encore moins des changements très significatifs’’, ‘’le cadre des directions de services’’ est à parfaire ‘’en mettant en place au niveau des services centraux des bureaux d’analyse et de prospective qui prennent en charge les besoins du service dans le long terme’’. Pour le colonel, ‘’la DGSN n’est pas assez outillée pour mener à bien une analyse froide et sans état d’âme des différents phénomènes et facteurs qui ne militent pas en faveur de la sécurité des personnes et des biens’’.
Et dans le long terme, les failles deviennent visibles, car ‘’la prospective (…) commande de mettre en place une organisation capable de s’adapter dans le long terme sans se renier, ni choquer les générations futures’’. Or ‘’l’archaïsme qui illustre la formation des agents de police et de gendarmerie ne milite pas en faveur d’une adaptation correcte des différentes organisations’’.
Sans une bonne prise en charge de cette donne, ‘’le Directeur Général comme d’ailleurs le ministre de l’Intérieur se retrouve au plan organisationnel responsable de tout, sans être responsable de quelque chose de précis’’.
D’où l’urgence, de l’avis du colonel Ndaw, ‘’de créer les conditions d’un processus décisionnel infaillible’’.
Le Colonel Ndaw relève aussi d’autres problèmes au niveau des Renseignements généraux, relativement à l’amalgame souvent introduit avec ‘’la surveillance du territoire, qui est un ensemble de mesures à même de prévenir des menaces sur la sécurité nationale, donc du domaine du contre-espionnage, terrorisme, blanchiment, etc’’. Pour lui, cette complexification ‘’oblige à créer une nouvelle Direction des Renseignements Généraux’’.
Réarmement moral…
L’analyse implique de l’avis du colonel la nécessité d’un ‘’réarmement moral conséquent et multiforme pour créer les conditions du renouveau’’. Une opération qui passe par ‘’la mise en application sans délai, des nouveaux statuts des personnels de la Police Nationale’’. Mieux, ‘’ces statuts votés et promulgués devraient être un nouveau point de départ pour un réarmement moral conséquent des personnels’’. Cette opération est d’autant plus justifiée qu’elle‘’a un coût financier qui ne saurait en retarder l’application’’.
Le Colonel estime aussi que ‘’l’État a intérêt à inscrire la lutte contre la corruption dans les forces de sécurité dans son agenda et de déployer des efforts constants, réguliers et ciblés contre un tel fléau.’’ En effet, le métier de policier ‘’a des exigences très fortes en terme de moralité, de conduite et de vertus. La prise en compte par l’Etat de cette exigence doit conduire à payer gracieusement ceux ont choisi ce dur et très dur métier’’. Mais tempère-t-il dans l’analyse du fléau, ‘’une bonne partie n’a pas accès à ces méandres et cherche de façon pernicieuse à rejoindre le groupe des corrompus. N’y accédant pas, elle se morfond dans les dédales des problèmes quotidiens et dans un climat délétère d’abandon et de dégoût du métier’’.
La même exigence s’applique à la Gendarmerie. ‘’L’action de la Gendarmerie doit être claire, nette et transparente. Elle exclut les missions occultes et doit même refuser certaines missions qui sont équivoques comme la traque des biens mal acquis (…) Elle est le rempart de la Démocratie en veillant jalousement sur les institutions de souveraineté’’. Le Colonel pense que ‘’bien commandée et bien employée, cette jeune Gendarmerie est capable de rendre d’immenses services à la Nation. Il faudrait juste éliminer certains maux sénégalais qui étranglent les institutions : corruption, concussion et népotisme’’.