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3 500 décès en 2014 : La Méditerranée, cimetière des migrants
Publié le jeudi 19 fevrier 2015  |  Le Quotidien
Naufrage
© Autre presse par DR
Naufrage de Lampedusa : cinq Sénégalais tués




Après le drame du 9 février pendant lequel plus de 300 migrants africains ont péri, on a connu ce week-end une nouvelle tragédie sur la Méditerranée. Près de 3 500 décès ont été enregistrés l’an dernier. Hécatombe.

Ils voulaient provoquer la chance. En voulant traverser la Mé­diterranée pour rejoindre Lam­pedusa, les migrants ouest africains ont mis leur vie en péril. Les personnes sauvées savourent encore cette chance de sortir sauves et indemnes de cette situation. Elles sont originaires de Côte d’Ivoire (41, dont deux mi­neurs), et les autres du Mali (23, dont un mineur), du Sénégal (neuf), de Guinée (sept), de Gambie (deux) et du Niger (deux). Les Ivoiriens représenteraient par ailleurs plus de la moitié des personnes ayant succombé après le sauvetage - 15 sur 29, les autres étant sept Maliens, cinq Sénégalais, un Guinéen et un Mauritanien.
Aujourd’hui, les organisations humanitaires continuent d’alerter les autorités européennes pour les pousser à agir. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Hcr) a déclaré qu’il s’attendait, selon Amnesty international, à ce que des migrants continuent à traverser la Méditerranée en 2015. Quelque 218 mille personnes ont effectué cette traversée en 2014, et les chiffres de janvier 2015 montrent une augmentation de 60% du nombre d’arrivées de migrants enregistrés en Italie par rapport à janvier 2014. Près de 3 500 décès ont été enregistrés l’an dernier, ce qui fait de cette traversée l’itinéraire le plus mortel au monde. «La faiblesse des ressources allouées par l’Union européenne (Ue) aux opérations de recherche et de sauvetage a contribué au nombre élevé de décès survenus après que quatre bateaux pneumatiques transportant des centaines de migrants ont envoyé un message de détresse par temps orageux depuis le sud de la Méditer­ranée la semaine dernière», révèle Amnesty international lundi 16 février après une visite à Lampedusa qui a dépêché une équipe de chercheurs après cette tragédie qui a coûté la vie à plus de 300 personnes.
Quelques jours après la mauvaise traversée de la Méditerranée des migrants, Amnesty international raconte avec une once de désolation les péripéties des secours. Lorsque l’appel de détresse a été reçu dimanche 8 février, le principal navire utilisé dans le cadre de l’opération Triton, pour la surveillance des frontières de l’Ue, était à quai pour entretien à des centaines de kilomètres, à Malte. Les grands navires militaires employés par Mare Nostrum, l’ancienne opération italienne de recherche et de sauvetage, n’étaient pas non plus utilisables et étaient en outre amarrés encore plus loin, en Sicile. «Les garde-côtes italiens ont réagi de manière admirable et avec un courage exceptionnel à l’appel de détresse, consacrant de longues heures au sauvetage alors que les conditions en mer étaient incroyablement dangereuses. Il est impossible de savoir combien de vies ils auraient pu sauver avec des ressources plus étendues, mais le nombre de victimes serait certainement moins élevé», a déclaré Matteo de Bellis, chargé d’action sur l’Italie à Amnesty international, qui vient de rentrer de Lampedusa.
«De très nombreux réfugiés et migrants continueront à mourir en mer si le vide laissé par l’opération italienne de recherche et de sauvetage Mare Nostrum n’est pas comblé.» D’après Amnesty, les départs de réfugiés et de migrants ont brusquement augmenté au cours du week-end et cela continuera à mesure que la Libye s’enfoncera dans la violence. Les garde-côtes italiens ont confirmé que des navires des autorités italiennes et de la marine marchande ont porté secours à plus de 2 800 personnes en tout, dans au moins 18 bateaux entre vendredi 13 et dimanche 15 février. Pour le seul dimanche 15 février, 2 225 passagers d’une douzaine de bateaux ont été secourus.
Cela survient à peine une semaine après la mort d’au moins 300 personnes en mer alors que quatre bateaux tentaient d’effectuer la traversée entre la Libye et l’Italie durant un temps orageux. Selon les témoignages des rescapés recueil­lis par l’organisation humanitaire, 400 migrants en tout, pour la plupart des hommes jeunes originaires d’Afrique de l’Ouest, tentaient de traverser la Méditerranée depuis la Libye à bord de quatre bateaux, lorsqu’ils ont rencontré des difficultés dimanche 8 février.
Ce fut un véritable moment plein de turbulences. Des passeurs les avaient gardés près de Tripoli en attendant le jour de la traversée, après leur avoir fait payer l’équivalent de 425 mille F Cfa. Dans la soirée de samedi 7 février, les passeurs, armés, ont conduit les migrants dans la ville portuaire libyenne de Garabouli, à 40 km à l’ouest de Tripoli, et les ont fait monter à bord de quatre grands canots gonflables. Tôt le lendemain, lorsque les bateaux sont partis à la dérive dans la Méditerranée au nord de la Libye, il était clair qu’ils étaient en grave danger. Faisant un compte rendu du tragique périple, Amnesty international explique que des garde-côtes italiens ont dit à qu’ils avaient reçu un appel à l’aide par téléphone satellitaire en début d’après-midi le 8 février, depuis une zone située à 120 miles nautiques (222 km) au sud de Lampedusa et 40 miles nautiques (74 km) au nord de la Libye. L’appel était en grande partie inintelligible, mais les fonctionnaires sont arrivés à distinguer les mots «dangereux, dangereux» en anglais. Les garde-côtes ont souligné que, compte tenu des circonstances, les migrants se dirigeaient vers une mort quasi certaine. Les prévisions météorologiques dans ce secteur de la Mé­diterranée étaient mauvaises pour la semaine toute entière. Les bateaux étaient propulsés par des petits moteurs hors-bord, et les passeurs n’avaient, semble-t-il, pas fourni suffisamment de carburant pour le trajet.
Selon les témoignages de certains rescapés, plus de 300 personnes ont péri. Les migrants, dont beaucoup étaient légèrement vêtus, ont été exposés à des conditions météorologiques extrêmes pendant près de deux jours, et notamment à des températures proches de zéro, à la pluie et même à de la grêle tandis que les bateaux étaient parfois ballotés sur des vagues faisant jusqu’à huit mètres de haut.
Les garde-côtes italiens intervenus en premier sont parvenus à secourir 105 passagers d’un des bateaux, le 8 février à 21 heures, mais 29 de ces personnes sont mortes d’hypothermie et d’autres causes après le sauvetage. Deux navires marchands se trouvant à proximité ont secouru neuf autres survivants sur deux autres bateaux. Les rescapés ont confirmé qu’il y avait quatre canots en tout, numérotés de 1 à 4. L’un des quatre n’est toujours pas reparu.

Opération de secours
Les garde-côtes italiens ont répondu à un appel de détresse le 8 février en envoyant un aéronef de recherche et quatre bateaux de patrouille - dont deux ont été dépêchés immédiatement, suivis par deux autres après que l’un des deux premiers bateaux a eu des problèmes de moteur.
Le responsable du centre des opérations de sauvetage des garde-côtes italiens a reconnu avec franchise que les ressources à leur disposition étaient limitées : «Pouvez-vous imaginer ce que cela signifie de couvrir cette distance avec un bateau de 18 mètres au milieu de vagues hautes de huit ou neuf mètres ? Nous craignions pour la vie des membres de notre équipage [...] Lorsque les traversées reprendront après l’hiver, nous ne serons pas en mesure de les récupérer tous, si nous restons les seuls à y aller.»

Il est urgent d’agir
Les résidents et responsables de Lampedusa sont sous le choc après la dernière d’une longue série de tragédies survenues en mer près de leur île. Le maire Giusi Nicolinini a déclaré à Amnesty international : «Lors­que les morts arrivent, on se sent vaincu. On se demande pourquoi rien ne change jamais. L’Eu­rope est complètement absente - on n’a pas besoin d’être un expert de la politique pour le comprendre.» Face à la succession de ces drames humanitaires, Amnesty international en—gage les pays de l’Ue à procéder à des opérations de recherche et de sauvetage qui soient collectives et concertées le long des itinéraires empruntés par les migrants, au moins au même niveau que ce qu’accomplissait Mare Nostrum. En attendant, l’organisation exhorte l’Italie à doter les services concernés de ressources d’urgence supplémentaires jusqu’à ce que cela se concrétise.


Ibrahim, 24 ans, rescapé malien
«A chaque vague, deux ou trois passagers étaient emportés»
«Dimanche, vers 19 heures, le bateau a commencé à se dégonfler et à se remplir d’eau. Des gens sont tombés dans la mer. A chaque vague, deux ou trois passagers étaient emportés. L’avant du bateau se soulevait, alors des gens se trouvant à l’arrière tombaient à l’eau. A ce stade-là, à peine une trentaine de passagers se trouvaient encore dans le bateau. Un côté du bateau flottait encore [...] et nous nous agrippions à une corde, car nous avions de l’eau jusqu’au ventre. Au bout d’un moment, nous n’étions plus que quatre. Nous avons continué à nous accrocher, ensemble, toute la nuit. Il pleuvait. Au lever du soleil, deux ont disparu. Pendant la matinée, nous avons vu un hélicoptère. Il y avait une chemise rouge dans l’eau ; je l’ai agitée pour qu’ils me voient. Ils ont lancé un petit bateau gonflable, mais je n’avais pas l’énergie nécessaire pour l’atteindre. Alors nous sommes restés, en nous cramponnant. Une demi-heure plus tard, un cargo est arrivé. Ils ont jeté une corde pour que nous montions à bord. Il était environ 15 heures [lundi 9 février].»

Lamine, rescapé malien
«Notre bateau s’est plié en deux emportant tous les corps»
«Nous étions 107 [à bord]. En haute mer, les vagues jetaient le bateau vers le haut et vers le bas. Tout le monde avait peur. J’ai vu trois passagers tomber à l’eau. Personne ne pouvait aider. Ils essayaient de s’accrocher au bateau, mais n’y arrivaient pas. Et puis, beaucoup d’autres personnes sont mortes, peut-être en raison du manque d’eau et de nourriture. C’est impossible pour moi de dire combien sont mortes. Quand un gros navire marchand est venu nous secourir, nous n’étions plus que sept. Nos sauveteurs ont lancé une corde et nous ont fait monter à bord. Pendant le sauvetage, [notre] bateau s’est plié en deux et a coulé, emportant tous les corps.»
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