L’ancien Président appelle aujourd’hui Paris et Washington à «raisonner» Macky Sall. Pourtant, c’est le même Abdoulaye Wade qui avait pris ces puissances étrangères pour des «soutiens» de son adversaire à la Présidentielle de 2012. Mais, en sollicitant aussi des juges français et américains pour juger son fils, il oublie que c’est lui qui a rendu la Justice sénégalaise compétente pour juger un citoyen tchadien, Hissein Habré. Ce passé est toujours présent, mais surtout récent.
Abdoulaye Wade appelle Barack Obama et François Hollande à trancher son «différend» avec Macky Sall. C’est ce qu’on appelle de la délation. Mais il y a là une contradiction de l’ancien Président qui, pourtant, accusait et accuse toujours les Etats-Unis, la France, entre autres, de l’avoir combattu à la Présidentielle de 2012. N’est-ce pas le candidat Wade, mis en ballotage à la Présidentielle de 2012, qui avait qualifié son challenger au second tour d’être un «pion» des puissances étrangères ? «Au premier tour de la Présidentielle, je l’avais devancé de plus de 10 points. Par la suite, j’ai su que des gens l’instrumentalisaient, lui promettant leur soutien, s’il proclamait un gouvernement parallèle au mien. Aussi, lui ai-je dit de prendre le pouvoir et on verra ce qu’il allait faire. Ces puissances-là espéraient que le Sénégal devienne comme la Côte d’Ivoire», expliquait l’ancien chef de l’Etat lors du dernier meeting du Front patriotique pour la défense de la République (Fpdr). Comment peut-on donc faire appel à des pays qui voudraient voir un pays tomber dans une «sénégalité» comme «ivoirité» et dans une folie à la Gbagbo ?
Dans sa lettre de protestation contre la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) qui juge son fils Karim, Wade demande, en plus, à Hollande et Obama, de «raisonner» Macky Sall qui «veut diriger le Sénégal comme une monarchie, transformant par des actes quotidiens le système démocratique de notre pays qui a toujours été l’exemple phare de la démocratie en Afrique, de Léopold Sédar Senghor à Abdoulaye Wade en passant par Abdou Diouf, en système népotiste». Peut-être vrai, mais et si Washington et Paris lui rappelaient la tentative de dévolution monarchique avec le ticket déchiré le 23 juin, et en dépit de la médiation des diplomates occidentaux à l’époque !
Habré et Karim
Dans sa missive, l’ancien chef de l’Etat sollicite «dans le cadre de la coopération judiciaire» que les deux pays, acceptent d’envoyer «deux juristes qui seront membres d’un collège de juristes composé, par exemple, de deux Français, deux Américains, deux juges désignés par la Cedeao et un par l’Union africaine pour, à la lumière de tous les textes en vigueur au Sénégal et des normes internationales en matière de droit pénal, répondre à la seule question de savoir si la Crei est une juridiction fiable conforme aux normes juridiques internationales et capable de rendre une justice juste». Ainsi, comme à la suite de son appel à «délocaliser» le procès de Karim, le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais n’a pas confiance à «sa» justice. Comme si les textes sénégalais n’ont pas compétence de le faire. Faudrait-il rappeler que c’est le prédécesseur de Macky Sall qui s’était engagé, sur demande de l’Union africaine, à faire juger l’ancien Président tchadien au Sénégal. Il procèdera d’ailleurs à une réforme du Code pénal sénégalais afin de connaître des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Dans un entretien avec Rfi et France 24 en décembre 2010, Me Wade avait annoncé vouloir se débarrasser de la patate chaude Habré qui brûlait entre ses mains, après que la Cour de justice de la Cedeao avait décidé le 19 novembre de la même année que le Sénégal seul ne pouvait juger l’ex-Président tchadien pour crimes contre l’humanité, préconisant la création d’un Tribunal spécial. «Je peux très bien le renvoyer chez lui. C’est un Tchadien», avait-il menacé. Il ne le fera jamais. Et si la justice sénégalaise peut juger un Tchadien, il peut bien évidemment le faire pour ses propres citoyens. Qui peut le plus peut le moins ! Encore que Karim Wade n’est pas poursuivi pour les crimes reprochés à Hissein Habré pour mériter une justice ou des chambres extraordinaires composées de juges américains et français. Et en appelant «les deux pays, après la solution de la juridiction compétente qui sera appelée à juger les militants de l’opposition» à «suivre le cours du procès», parce que leur «simple présence sera, à la fois, un élément de dissuasion» pour Macky Sall et la justice, l’ancien Président remet en cause ce qu’il a toujours dénoncé : «l’immixtion» de ces mêmes puissances étrangères dans les affaires de notre pays et son statut de paladin du panafricanisme. «Ce n’est pas possible qu’un grand continent comme l’Afrique n’arrive pas à trouver un pays pour juger un Africain», disait-il.